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Méfions nous toujours des utopistes coercitifs

La roue woke


Méfions nous toujours des utopistes coercitifs
La statue de Winston Churchill, sur Parliament Square à Londres, vandalisée par des militants antiracistes, 3 juin 2020. © Manuel Balce Ceneta/AP/SIPA

À la chute du régime soviétique, le célèbre dissident Vladimir Boukovsky, ayant eu accès aux archives secrètes du parti, écrivit le fameux Jugement à Moscou, en tirant les leçons du communisme. Le portrait qu’il en tire, cependant, correspond parfaitement à notre époque, où le wokisme n’est que la poursuite de cette grande utopie coercitive.


Vladimir Boukovsky fut un des plus célèbres dissidents soviétiques. Il fut, pendant plus de dix années, hébergé au Goulag comme dans les hôpitaux psychiatriques où, dans sa grande bonté, la patrie des prolétaires rééduquait ses opposants. Échangé en 1976 contre un chef communiste chilien, il se rendit à Moscou en 1991, dernière année du soviétisme, et accéda aux archives les plus secrètes du régime. Il en résulta un livre passionnant, et glaçant, sur les méthodes du PCUS, sur la naïveté des opinions occidentales « de gauche » face aux savantes manipulations du politburo, sur la servilité des partis communistes occidentaux (et notamment du PCF) et sur la longue passivité des gouvernements de l’ouest. Une magistrale démonstration du machiavélisme soviétique dont la propagande, qui savait habilement se faire relayer par les intellectuels et les artistes occidentaux, idiots utiles de cette idéologie, a tellement formaté les esprits qu’elle produit encore ses effets aujourd’hui. Tout le substrat idéologique d’une grande partie de la gauche s’appuie sur le verbiage de cette époque destiné à diaboliser tout ce qui n’était pas communiste : « capitalisme, impérialisme, colonialisme, bellicisme ». Ces concepts diffusés en continu par l’URSS qui se présentait au contraire comme agent de paix soutenant la quête de libération des peuples (palestiniens, vietnamiens, cubains…) restent aujourd’hui opérants pour beaucoup. 

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Un constat actuel

Mais ce qui a le plus retenu mon attention, en relisant ce livre, titré Jugement à Moscou, indispensable à qui veut comprendre une des plus gigantesques arnaques intellectuelles du siècle passé, c’est son diagnostic final sur l’état du monde. Ce constat, écrit au milieu des années 90, et c’est vraiment troublant, décrit  véritablement ce que nous vivons aujourd’hui :

« C’est parce qu’ils ont toujours eu du mal à accepter la nature humaine que les utopistes n’ont jamais pu réaliser leurs rêves sans violence et que leurs résultats sont toujours l’exact contraire de leurs objectifs proclamés. Ils s’appuient sur l’idée fausse et déshumanisante que l’homme est infiniment malléable et que, sous réserve de lui donner les conditions sociales appropriées, il est perfectible, c’est-à-dire modifiable dans le sens que l’on veut… » Nos modernes apôtres de la cancel culture ne sont-ils pas animés par cette absurde conviction que l’on peut et que l’on doit formater l’espèce humaine pour l’orienter dans le bon sens, comme ceux que Boukovsky appelle dans son livre les « utopistes coercitifs » ?

« Même l’économie mondiale n’est pas libre aujourd’hui du concept utopiste de redistribution des richesses entre les pas dits riches et les pays dits pauvres… comme si notre expérience du demi-siècle passé ne nous avait pas appris que des injections massives de fonds occidentaux dans le tiers monde n’avaient fait qu’y développer une énorme bureaucratie corrompue. Des milliards de dollars et un demi-siècle plus tard pouvons-nous nommer un seul pays que ces injections aient contribué à développer ?…Dans le même temps, dans le monde occidental lui-même, le concept utopiste d’état providence s’est réalisé… Mais la vraie catastrophe, selon de nombreux experts, c’est l’effet destructeur qu’a cette assistance sur la famille. L’augmentation spectaculaire des grossesses chez les adolescentes, et des familles sans père, phénomène directement imputable à la politique d’assistance de ces trente dernières années, est indirectement responsable de l’explosion actuelle de la délinquance juvénile, de la culture de la drogue, et de la croissance rapide d’un quart monde assisté… Si l’on ajoute deux victimes de plus longue date de l’expérience utopiste : un système d’éducation pratiquement détruit, l’accent étant mis sur le jeu et le plaisir plutôt que sur l’étude et la discipline, et un système judiciaire dans lequel les procédures et les détails techniques on cassé plus que préservé la justice, le tableau qui se dégage est proprement apocalyptique. » 

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La France, championne du monde d’un assistanat qui s’étend par ailleurs à tous ceux qui franchissent, illégalement ou non, ses frontières, n’est-elle pas aujourd’hui exemplaire de cet utopisme délirant, avec en récompense de ses bonnes œuvres des banlieues qui flambent chaque nuit ? Comme le souligne le brave Boukovsky : « Notre contrat social n’a pas de sens. De quoi l’état moderne vous protège-t-il ? Des criminels ? Même pas. Aujourd’hui, si vous vous faites agresser ou cambrioler, vous priez Dieu pour que vos agresseurs ne se fassent pas prendre. Car, s’ils le sont, le contribuable que vous êtes va être obligé de se saigner aux quatre veines pour payer une procédure judiciaire longue et inutile, au terme de laquelle les criminels ont des chances de rentrer chez eux ».

Le wokisme, fils du communisme

Dans tout cet épilogue, Boukovsky décrit en détail ce qui allait devenir le mouvement « woke ». Mais là où c’est particulièrement intéressant, et que la lecture de son livre éclaire parfaitement, c’est de voir combien l’utopie coercitive d’aujourd’hui est simplement la poursuite de celle du communisme : « Mais aussi fou que ce meilleur des mondes puisse être, ceux qui le créent ne sont pas des malades mentaux. Pourquoi ont-ils un tel pouvoir sur nous qu’ils peuvent nous obliger à vivre dans le monde de l’absurde ? Si ces foules sont peut-être encore constituées de ceux-là même qui défilaient pour le désarmement unilatéral au début des années 80, où est le nouveau Politburo qui les guide à présent ? Car ne nous y méprenons pas, nous vivons une nouvelle guerre froide, avec une nouvelle race d’utopistes coercitifs qui s’efforcent de modifier notre culture, de contrôler notre comportement, et à la fin des fins nos pensées… Seule la novlangue est neuve aujourd’hui : « diversité culturelle », « politiquement correct », « droits à la procréation ». Nous sommes actuellement les témoins d’une attaque massive contre les fondements mêmes de notre civilisation, présentée ouvertement comme une culture d’ « européens blancs morts » qui, si elle réussit, nous replongera au Moyen-Âge. Voire pis, à cette époque au moins Shakespeare était libre d’écrire et de monter ses pièces. Aujourd’hui, la plupart de ses travaux seraient interdits pour non-conformité politique, Othello serait raciste, La Mégère Apprivoisée sexiste, et Roméo et Juliette –pour citer les termes d’une prof britannique très progressiste qui a refusé d’emmener ses jeunes élèves à une représentation- se verrait qualifier de spectacle éhontément hétérosexuel.

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Malheureusement nous n’avons pas su saisir l’occasion inespérée qu’a été la mort du communisme : nous n’en avons pas éliminé les tenants, nous n’avons pas dénoncé leurs crimes, nous n’avons pas jeté le discrédit sur leurs rêves et, surtout, nous n’avons pas appris à résister à leur peste moderne. Mais même si nous parvenons à être verts, bleus et daltoniens, nous n’arriverons pas à acheter la paix, parce que ces gens-là ne se soucient pas plus de leurs « minorités » que les communistes ne se souciaient des prolétaires. Elles ne sont que des véhicules pour atteindre le pouvoir ultime de dicter, contrôler, détruire notre être, décrit dans certains textes obscurs sous le nom d’ »âme humaine ».

La leçon ratée

Pour Boukovsky, en étant incapables de tirer les leçons de la catastrophe communiste, nous faisons que cette tragédie n’a pas plus de sens qu’un gigantesque séisme naturel qui aurait fait des centaines de millions de morts. Dure leçon mais qui invite à se méfier des utopistes coercitifs. Jugement à Moscou est un livre d’histoire passionnant sur les méthodes cyniques des gouvernements successifs de l’URSS, qui lui ont permis de mener par le bout du nez les utopistes occidentaux comme leurs gouvernements, leur instillant habilement un sentiment de culpabilité qui reste un des ressorts majeurs du mouvement progressiste. C’est aussi un livre pour comprendre notre présent, car il semble que rien n’ait vraiment changé.

Le livre, édité en 1995 chez Robert Laffont, ne semble plus être édité, mais on peut le trouver en occasion, y compris en livre de poche, sur les grands sites de vente par internet.

Jugement à Moscou: Un dissident dans les archives du Kremlin

Price: 28,93 €

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