Citoyen français, Michel Atangana a été laissé dans un cachot camerounais pendant 17 ans pour un délit fictif. Depuis sa libération, il n’a toujours pas été réhabilité et peine à récupérer sa dignité dans son propre pays. Il publie Otage judiciaire, 17 ans de prison pour rien (Le Cherche Midi, 2021).
Nul n’ignore qui est Florence Cassez. Alors compagne d’une des têtes d’un cartel mexicain versé dans les extorsions, séquestrations et tortures, elle est arrêtée en 2005 pour suspicion de complicité et passe sept ans dans une geôle mexicaine. Suite à sa libération très médiatisée, elle est reçue pour un festin à l’Élysée avec Nicolas et Carla Bruni Sarkozy. Mais qui a entendu parler de Michel Thierry Atangana ?
17 ans de cachot!
Débarqué en Bretagne à l’adolescence, ce personnage bien moins médiatique renonce à la nationalité camerounaise pour embrasser celle de son pays d’adoption à l’âge de 22 ans. Inconditionnel des messes catholiques aux aurores, passionné par le commerce et par Roland Garros, il décroche un DESS en finances avant que Nestlé, Mitsubishi ou Caterpillar ne s’arrachent ses services. Alors qu’il n’a même pas trente ans, ce gendre idéal semble voué à une florissante carrière d’ingénieur financier aux costumes bien taillés. C’était sans compter sur sa lubie de redresser le Cameroun, un retour aux sources qui sonne le début d’une très longue descente aux enfers. En 1994, un comité de treize entreprises françaises et américaines le charge de superviser le suivi de grands travaux routiers au pays de Paul Biya. Trois ans plus tard, au sortir de l’église en compagnie de son épouse, Michel Atangana est violemment arrêté au volant de sa voiture par des dizaines de soldats. Sans la moindre preuve, il est alors accusé de complicité d’un détournement de 150 milliards de francs CFA (pas moins de 230 millions d’euros) avec le médecin Titus Edzoa, ministre de la Santé entré en dissidence venant de se porter candidat à la présidence. « Une somme terrifiante », nous commente l’ingénieur financier près d’un quart de siècle après sa capture.
Bien qu’il ne soit guère versé dans la politique, le gouvernement l’accuse alors d’être le directeur de campagne du médecin dissident. Pour sauver la vie de cet ambitieux politicien, Michel Atangana refuse de témoigner contre lui. Un sacrifice qui lui vaudra dix-sept ans de sa vie à croupir au sous-sol du Secrétariat à la défense du Cameroun, alternant entre la compagnie des rats et celle des cafards, cris de prisonniers torturés, humiliations des geôliers, gaz d’échappement infiltrés et fausses accusations lors de procès kafkaïens. Un cauchemar dont « il est impossible d’invoquer une base légale et qui revêt donc un caractère arbitraire », rapporteront les conclusions de l’avis d’un groupe de travail des Nations Unies adressé à l’État du Cameroun en 2013. Des âmes s’en seraient-elles offusquées au sein même des hauts cercles camerounais ? Toujours est-il que peu après son arrestation, des écoutes téléphoniques émanant des services de renseignements camerounais sont dévoilées sur les ondes d’Africa n°1. On y entend le secrétaire général de la Présidence et le ministre des Finances camerounais se réjouir de la cabale qu’ils sont en train de monter. Lors de son second procès, Atangana utilisera d’ailleurs ces enregistrements.
Quand le Quai d’Orsay ne répond pas
Pour l’heure, Atangana est alors condamné à quinze ans de prison. Les années passent. Confiné dans son sous-sol, il espère que l’on va un peu se pencher sur lui. Rien. Depuis sa cellule, il entend pourtant Nicolas Sarkozy aller libérer au Tchad les très médiatisés gourous de L’Arche de Zoé ou se mettre en quatre pour Ingrid Betancourt en Colombie. Interrogés sur le cas Atangana, Kouchner puis Juppé s’abritent derrière des communiqués invoquant le principe de non-ingérence. Durant treize ans, ce citoyen français incarcéré à l’étranger n’a donc bénéficié d’aucune protection consulaire. Il faut attendre 2009, année de la nomination de Bruno Gain à l’ambassade pour qu’on se penche un peu sur son sort. « Bruno Gain a rétabli la protection consulaire à mon égard et il ne s’est pas fait que des amis au Quai d’Orsay », me souffle l’ancien prisonnier. La même année, Le Canard Enchaîné lance l’alerte par le premier article en France sur son cas. En 2012, Atangana est à nouveau condamné, à vingt ans de prison cette fois.
En 2014, une rencontre de sa défense avec un certain Éric Dupond-Moretti permet d’échauffer une grâce de la part de l’intouchable Paul Biya. Accordée la même année, celle-ci lui permet de renouer avec le grand air. Qui sont les quatre ambassadeurs qui se sont succédé à Yaoundé avant la nomination de Bruno Gain ? En fonction lors de l’arrestation, Philippe Selz est l’auteur d’un ouvrage au titre prometteur, La diplomatie expliquée à une jeune fille du XXIème siècle. Nommé en avril 1998, Jean Paul Veziant est pour sa part un vrai collectionneur de médailles : chevalier de l’ordre national du mérite en 1984, chevalier de la Légion d’honneur en 1998, officier national de l’ordre du mérite cinq ans plus tard ! Ambassadeur en poste à Yaoundé de 2003 à 2006, Jean-François Valette n’a rien d’un pétochard : il est l’auteur d’un rapport salé de l’Union Européenne sur la présidence d’Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire) qui a fait grand bruit. Quant à son successeur Georges Serre, réputé très proche du même Ouattara, il se consacre désormais à conseiller le transporteur maritime français CMA CGM sur l’Afrique.
« On a fait de moi un apatride »
Tandis que Michel Atangana était sous terre, ces amoureux de la francophonie n’étaient guère en train de se prélasser sous le soleil de Yaoundé. Alors pourquoi aucun d’entre eux n’a daigné rendre visite à leur compatriote durant tout ce temps ? « Ça arrangeait peut-être tout le monde de considérer comme un Camerounais ce ressortissant français », estimait Dupond-Moretti dans le documentaire « Michel Thierry Atangana, scandales d’États » il y a deux ans. « Depuis 25 ans que je me pose la question, je ne vois aucune raison valable au fait qu’on m’ait oublié et qu’on ne m’accompagne pas après. Je suis convaincu qu’il y a eu une erreur monumentale d’appréciation à mon égard », nous confie pour sa part l’intéressé. Alors que Jean-François Valette n’a pas donné suite à notre sollicitation, CMA CGM nous a assurés que George Serre vient de les quitter sans laisser de numéro. Quant à la Toile, elle ne contient nulle trace de quelque déclaration venant des anciens ambassadeurs au sujet de l’ingénieur emmuré. Peu après son arrestation, les documents attestant de la nationalité française de Michel Atangana se volatilisent étrangement de l’ambassade de France.
De mauvaises langues chuchotent que George Serre en personne aurait sciemment embarqué les fameux papiers dans une valise diplomatique, des dires impossibles à vérifier. « Le vrai scandale, c’est qu’on a fait de moi un apatride », souligne pour sa part le rescapé. « Pour justifier la non intervention de la France, il fallait dire que je n’étais pas français. On a donc fait disparaître des papiers d’expatriation et de nationalité française. Je me suis seulement retrouvé avec ma carte de séjour comme Français au Cameroun et j’ai été inculpé par le Cameroun pour falsification d’identité avec mandat de dépôt ». La première organisation à se pencher sur l’étrange incarcération est Freedom House, une ONG qui nous vient d’Outre atlantique, à la suite de quoi le prisonnier apprend qu’il a été reconnu prisonnier politique par le département d’État américain depuis… 1999. Cette lueur d’espoir sera suivie de l’attention de La Croix rouge, de celle d’Amnesty International puis de celle des Nations Unies. La France a-t-elle agi parce qu’elle n’avait plus vraiment le choix ? Toujours est-il que fraîchement élu, François Hollande adresse à son compatriote un courrier d’une inconsistance mémorable : « quels que soient les crimes que vous avez commis, la peine qui vous a été infligée est particulièrement lourde ».
Double peine ?
En 2014, Michel Atangana est enfin libéré. Après avoir eu droit à son festin à l’ambassade du Cameroun, il apprend qu’il est tenu de payer de sa poche son billet de retour pour Paris. Rappelons qu’il y a deux ans, le gouvernement préparait (sans s’en vanter) un rapatriement de quelque 250 djihadistes de Syrie avec deux avions et frais de vol inclus. À Paris, il est enfin reçu par François Hollande en personne à l’Élysée. « Pas plus de dix minutes », avertit le président. Si la rencontre dure finalement une demi-heure, aucun média n’y a été convié. « Vous êtes le doyen des Français détenus par un État étranger. Cela ne doit plus jamais se reproduire », lui lance un Hollande à l’abri des regards et des caméras. Pour pouvoir retrouver ses droits sociaux (et les joies du fisc), Michel Atangana a besoin d’un document du Quai d’Orsay justifiant ses dix-sept années hors des radars français. Alors sous l’égide de Laurent Fabius, le ministère des Affaires étrangères refuse catégoriquement d’y préciser que cette détention a été qualifiée d’arbitraire par les Nations Unies au motif, est-il inscrit sur la lettre de refus, d’un « respect dû à la souveraineté des États ». Nous avons aussi consulté l’attestation. Cachetée par le ministère, elle indique simplement que « ce ressortissant français a été détenu au Cameroun du 12 mai 1997 au 24 février 2014 ».
« Comment pourrais-je trouver un emploi avec un casier judiciaire aussi chargé ? », s’indigne poliment l’ancien captif. « L’État voudrait que je me débrouille avec le RSA. Il me l’a proposé et j’ai dit non car je ne veux pas m’abreuver de l’État providence. On m’a ôté ma dignité ». Si certains hauts gradés du Cameroun ont été écartés suite à l’iniquité avérée de la justice de Paul Biya envers Michel Atangana, celui-ci n’y a toujours pas été légalement déclaré innocent et le Cameroun ne lui a pas restitué les biens qui lui ont été saisis après son arrestation. « S’il le souhaitait, l’État français pourrait entamer une négociation diplomatique avec l’État camerounais pour que Paul Biya aille jusqu’au bout de son engagement et réhabilite Michel Thierry Atangana. Des rapports faits par les services camerounais attestent du caractère arbitraire de cette détention et du fait qu’il a été une victime collatérale de manœuvres politiques », souligne Laurent Bigot, ancien diplomate au Mali et désormais chroniqueur pour Le Monde.
En vertu d’une commission rogatoire camerounaise que la police judiciaire française demande aux banques françaises d’appliquer, Michel Atangana ne peut même pas avoir de compte bancaire. Ce n’est pas tout. En 2014, il se présente devant un guichet de la Sécurité sociale avec son numéro pour mettre à jour son dossier afin d’aller chez le dentiste. On lui dit et lui répète alors qu’il n’est pas Michel Atangana. Et qu’en conséquence, il n’a pas le droit d’utiliser son propre numéro de sécurité sociale – alors que ses droits de sécurité sociale sont toujours à jour. S’ensuit un parcours du combattant jusqu’il y a deux ans. « Il a fallu qu’un médiateur de la République se mette en colère pour que je puisse avoir accès à mon propre dossier », confie-t-il. D’une façon générale, l’ingénieur que toutes les entreprises s’arrachaient est aujourd’hui sans le sou, sans possibilité de travailler ou de solliciter quelque crédit pour démarrer une nouvelle vie.
1500 Français emprisonnés à l’étranger
Suite à l’épisode de la fameuse attestation d’incarcération (qui ne stipule pas que celle-ci a été qualifiée d’arbitraire par les Nations Unies), le département d’État américain a proposé à Michel Atangana de l’arracher à notre inertie pour lui attribuer la nationalité américaine. L’intéressé a dit non. « Je ne changerai pas ma nationalité. La France correspond à ma culture et à mes valeurs », lâche-t-il simplement, loin de céder aux sirènes du ressentiment. Qu’en pense Emmanuel Macron ? À ce jour, il ne s’est pas exprimé publiquement sur ce sujet. Le bout du tunnel pourrait pourtant venir de ses troupes. Député marcheur de l’Essonne, Pierre Alain Raphan porte une proposition de loi visant à « améliorer la mise en œuvre effective avec les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies ». « On entend très peu de cas d’Américains ou de Russes qui sont enlevés et pas libérés. Quand vous enlevez un Américain, l’Amérique va venir le récupérer sur place quitte à le juger dans son pays s’il a fait une faute, il y a une approche de la protection du citoyen qui est au cœur de la politique. Moi j’aimerais qu’en tant que pays des Droits de l’homme, on dise que vous ne touchez pas à un seul cheveu d’un Français !», tonne-t-il au bout du fil.
D’ici-là, la France a-t-elle les moyens de contraindre le Cameroun à réhabiliter ce citoyen français ? « Le fait est qu’il y a un manque de volonté politique. On nous oppose un principe d’immunité étatique », glisse-t-on du côté du cabinet d’Antoine Vey, avocat désormais en charge du dossier. « Les Américains n’ont pas proposé à Atangana de prendre la nationalité américaine pour ses beaux yeux. Contrairement à nous, ils ont vu les enjeux politiques et ont compris que ce dossier permettrait de faire pression sur Paul Biya. Mais chez nous, un problème ne vient sur l’agenda politique que lorsqu’il est médiatique. S’il y avait une pression médiatique, l’exécutif serait sans doute déjà contraint d’agir », analyse pour sa part Laurent Bigot.Au 31 mai 2020, 1500 Français étaient emprisonnés à l’étranger selon le Quai d’Orsay. Si près d’un quart sont détenus pour des affaires de stupéfiants et 40% pour des raisons de droit commun, un tiers est en geôle pour des motifs inconnus… En attendant de retrouver une vie un peu normale, Michel Atangana vient de signer Otage judiciaire (Le Cherche-Midi). De procès iniques en bureaucrates grotesques, on y trouve des situations auxquelles même Franz Kafka n’aurait pas songé.
Otage Judiciaire, Michel Thierry Atangana, Le Cherche-Midi