N’est-ce pas Jacques Chirac qui parlait autrefois de « bruit et [d’]odeurs » pour évoquer les difficultés de la coexistence culturelle ? Vous qui parliez de « liberté de l’esprit », ne faites-vous pas preuve d’un certain conformisme lorsque vous assimilez, comme toute la gauche, toute discussion sur l’islam et l’immigration à une abominable droitisation ? Vous savez bien que ces questions préoccupent les gens !
Il ne s’agit évidemment pas de le nier, et je ne crois pas que toute discussion sur ces sujets soit mauvaise. Tout est affaire de tessiture : l’UMP de Jean-François Copé a une voix trop métallique pour les aborder. En France, la politique a quelque chose d’à la fois charnel et rassembleur. Pour autant, je ne suis ni béat ni naïf sur les questions d’autorité, d’immigration, de délinquance, ou d’éducation…[access capability= »lire_inedits »] On prête d’ailleurs à De Gaulle des formules assez fortes comme, par exemple, le risque de voir son village devenir « Colombey-les-Deux-Mosquées ». En même temps, je trouve paradoxal que les héritiers de l’Algérie française soient aujourd’hui anti-islam. Si l’Algérie était restée française, la France serait un pays majoritairement musulman. Il y a une sorte de schizophrénie qui prospère sur ces feux mal éteints de la mémoire française et révèle bien le désarroi de notre pays par rapport à tout ce qu’il a vécu depuis 1940.
Posons la question autrement. À quoi a-t-on assisté depuis trente ans ? Pourquoi a-t-on vu le Front national, partant de 4 % en 1984, atteindre aujourd’hui 15 % à 20 % de l’électorat ? Parce que tous les sujets dont il s’était emparé, sur un mode évidemment discutable, ont été soustraits au débat. La gauche a joué là-dessus et la droite s’est laissé intimider. « Continuer à faire cadeau du réel au FN », pour reprendre l’expression de Finkielkraut, n’est-ce pas tout faire pour que l’équilibre entre l’UMP et le FN s’inverse ?
Depuis 1983-1984, nous souffrons simultanément d’angélisme et de machiavélisme. L’angélisme consiste à refuser de prendre ces sujets à bras-le-corps au motif qu’ils ont été, comme vous le dites, préemptés par le Front national. Et le machiavélisme, c’est le jeu formidablement efficace de la gauche sur ce sujet. Je ne pense pas seulement à la gauche intellectuelle qui distribue les anathèmes, mais aussi à la gauche politique, et notamment à François Mitterrand. Quand on change la loi électorale six mois avant les élections législatives dans le but évident de faire entrer le FN en force à l’Assemblée nationale, quand on demande aux patrons de chaînes de télévision de donner la parole à Le Pen, on retrouve exactement la situation décrite par l’apostrophe de Malraux à Mitterrand, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 1965, au moment du ralliement de Tixier-Vignancour : « Vous êtes le candidat unique de quatre gauches, dont l’extrême droite. »
Compte tenu de tout ce que vous venez de dire, il doit parfois arriver que, sur certains sujets, vous vous sentiez plus proche de députés de gauche que de certains qui appartiennent à votre famille politique. Dans ces conditions, quel peut être l’avenir de la droite ?
Il y a l’avenir idéologique et l’avenir politique et tout l’enjeu, pour nous, est de faire en sorte que les deux se recoupent. On ne fera pas l’économie d’une refondation idéologique qui permettra de définir notre projet et de tracer nos lignes rouges. C’est d’ailleurs ce que j’essaye de faire à travers les différents textes que je rédige depuis quelques années. Ma nervure est évidemment le gaullisme, mais je reconnais que cela ne suffit pas. Il ne faut surtout pas se dire, comme certains de mes collègues, que l’échec de Hollande et d’Ayrault suffira à nous faire gagner.
Qui, de Jean-François Copé ou de François Fillon, est le plus à même de mener à bien cet énorme travail ?
Je soutiens très clairement François Fillon, et ceci pour trois raisons. D’abord, c’est un homme d’État, qui a derrière lui un parcours ministériel et primo-ministériel que beaucoup peuvent lui envier. Ensuite, ayant commencé jeune, il a également une expérience d’élu local qui fait qu’il connaît la France dans sa diversité. Et enfin, il est, d’après moi, le plus apte à former l’arc-en-ciel le plus large possible pour gagner.
Si l’on vous comprend bien, il est possible de continuer la route avec le même attelage ? La cohabitation entre vous, la Droite populaire et les autres courants du parti est-elle possible alors que tant de choses vous séparent ?
La question qui se pose est celle de l’incarnation. Fillon comme Juppé, que j’aurais soutenu s’il s’était présenté, tient un discours d’autorité incontestable malgré le procès en mollesse qu’on lui fait avec une certaine mauvaise foi. Les électeurs du Front national peuvent se retrouver dans ce discours. Mais il est également apte à rassembler le plus largement possible.
Vous ne nous dites pas vraiment comment, mais passons. Au sujet de l’avenir du FN, il y a deux hypothèses : soit il reste accroché à la vieille culture de l’extrême droite française qui est celle de Jean-Marie Le Pen, soit il connaît une évolution à l’italienne pour incarner une forme de néo-populisme sans doute plus proche de Marine Le Pen. Auquel cas, on voit mal ce qui, à terme, empêchera un rapprochement…
Oublions, l’espace d’un instant, le jugement moral que l’on peut porter sur un héritage d’extrême droite qui me révulse, ainsi que la question des personnes. Si l’on s’en tient au programme du FN, je ne pense pas qu’il faille sortir de l’UE, remettre en cause l’euro. D’autre part, les problèmes de la France ne se résument pas à la seule question de l’islam. C’est un sujet qu’il faut traiter, mais ce n’est pas l’alpha et l’oméga des problèmes de la France.
Vous avez précisé qu’on ne pouvait pas additionner les choux et les navets, l’électorat de l’UMP et celui du Front national. Mais si vous ne parvenez pas à faire revenir au bercail umpiste des électeurs frontistes et que vous ne passez aucune alliance de l’autre côté, vous n’êtes pas près de revenir au pouvoir…
On verra bien ce que l’avenir nous réserve. Reconquérir les voix et les cœurs des électeurs est notre exigence politique. Quant à la question de l’alliance avec le Front national, de mon point de vue, elle ne se pose pas. D’abord parce que nos divergences portent sur des éléments dirimants et fondamentaux. Ensuite, une telle alliance, si d’aventure elle était décidée alors que je la récuse, serait un jeu perdant- perdant car la moitié de nos électeurs partirait. Les choses sont claires : il n’est ni question d’alliance ni de procès en sorcellerie. Je m’en tiens à une stricte analyse de nos positions idéologiques.
Quid de la Droite populaire ?
Ses membres ont le droit de s’exprimer et on les entend beaucoup, car ils sont médiatiquement très talentueux et parce que cela arrange beaucoup de vos confrères de leur tendre le micro, plus qu’à moi par exemple. Il ne faut néanmoins pas surestimer le poids de cette mouvance.
En tant qu’ancien ministre des Finances, quel est votre analyse de la crise économique ? Votre camp ne porte-t-il pas une responsabilité dans la situation de la France ?
Soyons honnêtes : la crise actuelle s’apparente à un virus qui frappe un corps déjà malade d’un endettement excessif depuis le début des années 1980. Notre incapacité à regarder en face la situation objective du pays a aussi joué. À mes yeux, le vrai sujet est « France-Allemagne ». Au moment où l’Allemagne réformait en profondeur le marché du travail et la sécurité sociale pour conforter sa puissance fragilisée par la réunification, nous, gouvernements de gauche comme de droite, avons eu une politique de facilité, notamment avec les 35 heures.
À vous entendre, Chirac a donc plombé la France, puisqu’il était alors au pouvoir ?
Non ! En 1997, il était Président de cohabitation. C’était la gauche qui était au pouvoir, et Chirac s’est opposé aux 35 heures comme il a pu. Cela dit, concernant l’endettement, il faudrait être malhonnête pour affirmer que seule la gauche ou seule la droite en est responsable. Nous le sommes tous.
Que pensez-vous de la stratégie économique du gouvernement actuel ?
Ce gouvernement est coupable de faire le contraire de ce qu’il a dit pendant la campagne électorale. Il déclarait alors que tout était de la faute de Nicolas Sarkozy et de sa prétendue politique de cadeaux aux riches. Il y a donc eu une sorte de déni de la réalité qui n’aide pas la démocratie, car les citoyens s’en rendent compte. C’est la même chose avec le plan Juppé. La gauche a cogné sur ce plan pendant la réforme de la sécurité sociale, puis une fois Jospin élu, en 1997, les socialistes n’ont pas annulé ce plan mais l’ont appliqué.
En parlant de la crise, vous avez évoqué l’Allemagne, pas l’Europe. Or, on a l’impression d’être au milieu du gué : la monnaie unique nous impose un certain degré d’intégration que nous sommes incapables de mettre en œuvre faute d’un peuple européen…
Dans la situation mondiale actuelle, marquée par la montée des pays émergents, l’échelon européen permet de peser. Ce n’est pas un discours maurrassien sur la France qui permettra de faire face aux défis du nouveau monde qui est en train de se construire sous nos yeux. En même temps, l’Europe doit se construire en tant qu’entité politique commune avec un budget autonome pour la zone euro.
Vous êtes à la fois gaulliste et européiste ? On a un peu de mal à suivre…
Je suis euro-réaliste, c’est-à-dire que je ne suis ni un eurolâtre béat, ni un europhobe crépusculaire. Alain-Gérard Slama disait que les pères fondateurs de l’Europe étaient des « Lotharingiens malades du foie, toujours entre deux purges ». C’est une bonne définition.
Vous avez tous les défauts de la terre puisqu’en plus d’être gaulliste, vous êtes catholique ! Comment vous situez-vous dans le débat sur le « mariage et l’adoption pour tous » pour reprendre les termes de notre Premier ministre ?
J’attends de voir le projet précis du gouvernement sur ce sujet. Comme Benjamin Constant, je pense que la politique doit s’arrêter là où commence « la jouissance paisible de l’indépendance privée ». Au-delà de la question du « mariage gay », j’estime que l’ensemble des sujets dits « de société » relèvent de choix individuels dans lesquels le politique n’a pas à s’immiscer. Ce n’est pas parce que je suis député de la nation que je me sens autorisé à donner des leçons et à édicter des normes sociétales. C’est un sujet très compliqué.
Et en prime, vous êtes père de famille nombreuse. L’avenir de vos enfants est-il en France ?
La jeunesse pense que ce pays ne l’aime pas. En matière d’insertion sur le marché du travail, ce que vivent les jeunes est terrible par rapport à ce que les générations précédentes ont connu. Ils ont l’impression d’avoir un plafond de verre qui les bloque dans de nombreux domaines. L’avenir de la jeunesse doit être LA priorité de notre génération politique. Cela dit, je n’ai pas aimé la tribune publiée par Libération intitulée : « Barrez-vous ! ». Je trouve très bien que les jeunes puissent connaître le vaste monde avec les programmes de type Erasmus et qu’ils aillent rouler leur bosse à l’étranger. Mais il faut qu’ils reviennent ‒ mes enfants comme les autres ![/access]
*Photo : FonDaPol.
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