Mathieu Bock-Côté est un samouraï, un boxeur et un fin décrypteur de notre époque. Véritable manuel de guérilla à l’usage des universalistes, son dernier livre (La révolution racialiste, Les Presses de la Cité, 2021) recèle de précieuses munitions pour combattre la révolution racialiste. Le temps presse, car en attendant qu’elle dévore ses enfants, elle fait tomber de nombreuses têtes.
Mathieu Bock-Côté n’est pas seulement un penseur, c’est un guerrier. Et ça tombe bien, dans la guerre des idées qui fait rage, nous avons furieusement besoin des deux. Pour combattre, il faut comprendre. Bock-Côté ne se contente pas d’élaborer des concepts avec précision et clarté. Il va au contact de ses adversaires, pratique l’agit-prop comme on boxe sur tous les rings où se fabrique l’opinion. Il est particulièrement réjouissant sur les plateaux de télé, où on envie son éloquence, servie par un débit en rafales – lorsqu’il est emporté dans une démonstration, on dirait qu’il n’a plus besoin de respirer.
Le wokisme, exacerbation des revendications des minorités
Confiné à Montréal, au printemps dernier, lorsque les protestations après la mort de George Floyd ont viré au procès planétaire de l’Occident raciste et que le comité Traoré défiait l’État à Paris, le samouraï québécois (ne le traitez jamais de Canadien) fulminait quotidiennement à la lecture d’une presse adhérant avec ostentation à la nouvelle foi. Sa compagne, lassée par ses récriminations, lui a dit : « Arrête de râler et écris un livre ! » Et cela a donné ce manuel de guérilla à l’usage des universalistes, deux cents pages nerveuses, mêlant anecdotes et pistes théoriques pour baliser et décrypter un phénomène à la fois omniprésent et insaisissable. Le tour de force de Bock-Côté, c’est de rendre intelligible l’inexplicable : comment des nations qui se sont promis d’en finir avec le racisme peuvent-elles, non seulement adhérer à une conception raciale de l’humanité et des rapports sociaux, mais encore l’appeler « Progrès » ? De même que le dépérissement de l’État exigeait d’abord sa toute-puissance, l’avènement d’une société post-raciale passe par l’exacerbation fanatique des identités raciales.
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En quelques années, les dingueries hilarantes des livres de Muray sont devenues des sujets de thèses. Et dans la vraie vie, c’est nettement moins drôle, surtout pour les nombreuses victimes de la fièvre épuratrice. Même quand on y échappe, on a le sentiment glaçant de vivre dans le monde d’Orwell où « le mensonge, c’est la Vérité », tandis que le débat public ressemble à une interminable Minute de la Haine.
Le wokisme, fléau américain
Au fil des pages, on découvre les dernières nouvelles du woke, toutes plus effarantes les unes que les autres. Quelques échantillons : la Petite Sirène du port de Copenhague a été affublée de l’inscription « poisson raciste »; le Parlement écossais a discuté (sans le voter) un projet de loi proposant que les propos haineux (racistes et phobes en tout genre), interdits dans l’espace public, le soient aussi en privé, permettant par exemple aux enfants de dénoncer leurs parents; aux États-Unis, des cadres et des étudiants doivent subir un test de dépistage de leurs pensées coupables et, le cas échéant, « des formations pour déconstruire leurs préjugés » – et cela arrive en France, comme à Radio France, où les salariés peuvent suivre des stages pour se délivrer de ce qu’on n’appelle pas encore leur « sexisme systémique », mais cela ne saurait tarder; le Parlement européen a voté une résolution interdisant tout propos qui pourrait « saper ou affaiblir le mouvement Black Lives Matter et en diluer la portée » – propos assimilés à du suprémacisme blanc; une pétition demande le renvoi d’une professeur de New York, parce qu’elle s’était endormie pendant une réunion zoom sur l’antiracisme, « le somnoleur est un dissident qui s’ignore, un traître ronfleur à punir ». Dans un autre registre car « l’absolutisme de la subjectivité » concerne toutes les caractéristiques humaines, l’actrice Anne Hathaway a été attaquée pour avoir joué une « méchante sorcière à trois doigts, représentation vexante pour les personnes victimes d’ectrodactylie dans la vie réelle » (que l’ami Mathieu soit remercié pour nous apprendre un nouveau mot).
Le wokisme contre le mal blanc
Si MBC ne cherche pas à forger un qualificatif français pour désigner le progressisme woke (mot qui signifie « éveillé »), ce n’est pas par paresse sémantique mais, précise-t-il, pour que le langage conserve la trace de l’origine américaine de ce fléau. Il en retrace à grands traits la généalogie, pour en dévoiler la cohérence. Nous assistons bien à une révolution qui, ajoute-t-il, « bascule maintenant dans la terreur » : « Après 1793 en France, 1917 en Russie et 1966 en Chine, la tentation totalitaire […] resurgit dans l’histoire à l’aube des années 2020. Nous ne sommes pas seulement devant des militants radicaux ivres de vertu […], mais face à une idéologie toxique et déjà dominante dans bien des domaines. »
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Derrière ses manifestations variées quoique répétitives, le woke est un bloc. Il part du principe que l’oppression, le racisme, la discrimination, l’exploitation des dominés-racisés-colonisés-esclavisés (vocable nouvellement arrivé dans le paysage) ne sont pas des accidents de l’histoire occidentale, mais sa logique interne, son principe vital. Pour créer un homme nouveau, doté d’un nouvel imaginaire et d’un langage purifié, il faut réécrire tout le passé, en faire apparaître le caractère intégralement criminel. La révolution woke vise donc à « extraire les sociétés occidentales de leur histoire pour les délivrer du mal blanc ». Dans le rôle de Goldstein, de l’ennemi du peuple, du koulak, on trouve toujours la même figure honnie du Blanc, raciste et privilégié par nature, tandis que, face à lui, il y a une cohorte de victimes à qui tout est permis : « Tout comme le racisé ne saurait être raciste, le minoritaire ne saurait être haineux. » Et c’est ainsi que « la haine du réactionnaire passe pour la forme achevée de l’amour de l’humanité. »
Le wokisme, ennemi à combattre
Si la branche antifa, « version milicienne de l’idéologie diversitaire » recourt volontiers à la force et à l’émeute pour intimider les récalcitrants, la nouvelle terreur préfère la pression sociale à la violence physique – pourquoi se salir les mains et payer des prisons. Pour le reste, elle utilise les bonnes vieilles méthodes. La délation devient « l’expression militante d’une nouvelle morale publique » et tous les citoyens sont appelés à exprimer bruyamment leur adhésion: « l’organisation de l’enthousiasme » est, selon le mot de Élie Halévy cité par Bock-Côté, une « marque distinctive du totalitarisme ». Le silence est une faute, comme l’ont compris les multinationales américaines. Quant à l’autocritique, elle s’agrémente fréquemment d‘un suicide symbolique, le repenti appelant à sa destitution et à son remplacement par une personnalité « racisée ».
En attendant que cette révolution dévore ses enfants, elle fait tomber des têtes à tour de bras. Que ce soit pour la survie de la civilisation occidentale ou pour défendre sa propre liberté, il est urgent de contre-attaquer. Avec Mathieu Bock-Côté et les munitions intellectuelles qu’il fourbit passionnément, on partira à la guerre idéologique les yeux fermés. On se surprend même à penser qu’on pourrait la gagner.
Mathieu Bock-Côté, La Révolution racialiste et autres virus idéologiques, Les Presses de la Cité, 2021.
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