Il n’y a pas la Grèce dans la vie, il y a aussi l’Espagne qui prend aimablement le chemin du cauchemar austéritaire. Deux faits divers viennent nous rappeler ce qui fait désormais le quotidien des Espagnols, soumis eux aussi à des plans de rigueur en rafale, plans qui ne règlent rien mais qui conditionnent les aides pour renflouer le secteur bancaire. Un secteur bancaire qui a joué au casino en finançant un boom immobilier totalement artificiel avec des produits plus toxiques qu’une décharge chinoise de composants électroniques usagés.
Le premier de ces faits divers, au Pays basque, concerne une ancienne élue socialiste (on croyait pourtant que tous les politiques étaient corrompus) âgée de 53 ans. Elle s’est jetée du balcon de l’appartement qu’elle habitait. Elle est morte. On allait l’expulser. Des manifestations ont eu lieu à Madrid, aux cris de « Banquiers assassins ! ». Les gens sont d’un méchant. On va encore parler de chasse aux riches, de ressentiment, sans doute. Il faut dire que Amaya Egana n’est pas la seule à avoir répondu de cette manière à la vague d’expulsions qui sévit comme une épidémie de grippe (espagnole ?) ces temps-ci. Les morts s’empilent et il semblerait, ce lundi, que les banques aient décidé d’un moratoire de deux ans dans les expulsions de propriétaires surendettés qui sont surtout, de fait, propriétaires de leur surendettement.
Les journaux devraient commencer à recenser dans une nouvelle rubrique ceux qui tombent désormais quotidiennement au champ d’horreur de la guerre économique contre les peuples. Des peuples pour qui, par la grâce d’instances supranationales, la nation n’est même plus une ultime tranchée. Il n’y aurait d’ailleurs pas que les suicides à comptabiliser.
Nous en arrivons à notre second fait divers et d’Ibère. Une chômeuse espagnole menacée de se faire expulser de son logement avec sa fille propose à la vente tous les organes qui ne seraient pas indispensables à sa survie. Elle a même pris contact avec un médecin de Melilla pour voir comment s’y prendre. La loi espagnole pourrait la punir de douze ans de prison. Pourtant, elle ne fait qu’appliquer, sans le savoir sans doute, ce qui est préconisé par l’économiste libertarien Wheeler qui vit dans le monde merveilleux de la propriété et de l’échange contractuel : « Supposons que vous ayez besoin d’un rein et moi d’un bras. Vous disposez d’un bras dont vous pouvez vous passer et j’ai un rein disponible. Si nous avons tous deux un droit d’user de nos corps […], il semble que nous puissions échanger une partie contre une autre, en utilisant un bras pour obtenir le rein et vice versa. » Bref, vendez aux banques ce qui n’est pas strictement nécessaire à votre survie pour rester chez vous. Votre cerveau, par exemple, là où siège en théorie le sens critique, celui de l’injustice et de la révolte.
Pourtant, en l’occurrence, ce dont certains auraient besoin, à la Troïka ou dans les salles des marchés, c’est d’un coeur. Mais il n’y en pas actuellement en magasin.
La crise, on vous dit, la crise
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