« Judas and the Black Messiah » de Shaka King, diffusé sur Canal +, est un film assez complaisant qui idéalise le mouvement des Black Panthers aux Etats-Unis. Critique.
« Judah and the Black Messiah » a sauvé l’honneur Black Lives Matter avec l’Oscar du meilleur second rôle attribué à Daniel Kaluuya. Le film idéalise les Black Panthers mais son côté édifiant est plutôt moins caricatural que d’habitude, malgré une symbolique un peu lourde.
Toute fiction s’inspirant de la réalité – biopic ou récit d’après un fait divers – a besoin de vérité à laquelle s’adosser. Mais celle-ci fuyant à toute allure n’est généralement rattrapée que dans les images finales d’archives ou les bancs titres sur écran noir qui clôturent le récit, fondus avec ralenti. Un « ceci a bien été », précipité de moralité hollywoodienne, que l’on peut garder avec soi en sortant de la salle comme un petit caillou dans la chaussure. En ce cas, la fiction ne se suffit jamais à elle-même. On en a une fois de plus la preuve avec « Judah and the Black Messiah » de Shaka King.
Les faits sont simples, une bavure policière, diligentée par J. Edgar Hoover lui-même, où Fred Hampton, un charismatique militant Black Panther de 20 ans est assassiné chez lui dans son sommeil – ainsi qu’un de ses camarades – après un assaut qui aurait pu donner lieu à un véritable carnage : on retrouva 99 douilles, une seule balle avait été tirée par les occupants de l’appartement et la femme de Hampton, enceinte de huit mois était présente. Pour aborder cette histoire emblématique en ces temps indéfinis de Black Lives Matter, King a trouvé un axe, celui-ci tout entier contenu dans son titre : Hampton est Jésus ; Bill O’Neal, malfrat recruté par le FBI pour intégrer les Panthers, est pour sa part Judas. On reconnaît également là l’argument de BlacKKKlansman de Spike Lee, transposé en drame dans le camp adverse.
Métaphore christique
Pour mener à bien son projet, King est tenu d’adoucir sérieusement la figure des Panthers, il s’y prend de deux façons : en gommant toute zone d’ombre du personnage de Hampton, héros univoque qui ne sera même pas tenté au Désert (mais il cite Mao à une reprise, ce qui pour un Américain moyen vaut bien le Diable) et en limitant les actions des Black Panthers à des distributions de petits déjeuners gratuits aux enfants (exit le Black Power, bonjour les Rice Krispies). On voit bien Hampton éduquer ses militants et haranguer les foules façon gospel, mais c’est toujours dans le sens de la justice sociale ; les Panthers, par son intermédiaire, tentent de fédérer toutes les communautés (y compris les blancs racistes), avec un succès grandissant hélas stoppé par sa mort, ce qui n’est pas sans évoquer notre bonne vieille intersectionnalité des familles (« Allo ? Allo ? 2021, vous me recevez ? »).
L’importance du Verbe est manifeste dans les rapports de Hampton avec sa bien-aimée, militante à la fois transparente et raide, comme à peu près toutes les autres figures du Bien présentées par le film. Leurs propos se limitent à des échanges de citations de discours ou de poèmes extrêmement fades et peu avares en leçons de vie. Hampton est présenté comme un homme de parole plus que d’action. Les armes de ses seconds parlent de leur côté, mais c’est qu’ils doivent se défendre aussi.
Black Panthers idéalisés
Le lien entre ces Black Panthers idéalisés et les ignominieux policiers se fait par l’intermédiaire du Judas malgré lui, O’Neal, formidablement interprété par LaKeith Stanfield. C’est un personnage réduit à sa seule fonction – comme au fond tous les autres – mais vu qu’il fait office de pivot entre l’ordre et le désordre, cette réduction se voit plus. Solitaire et sans sexualité, on ne sait rien de lui, à part que c’est un arnaqueur minable embarqué contre son gré.
Avec une certaine malignité, Shaka King colle le surnom péjoratif – « pigs » – aux policiers, et choisit pour les incarner des acteurs qui soit ressemblent effectivement à des cochons (Jesse Plemons qui joue l’agent traitant de O’Neal), soit qui ont un caractère porcin avec l’ajout de prothèses (Martin Sheen en J. Edgar Hoover).
Le but final de « Judah and the Black Messiah », édifier les foules, passera évidemment par une Passion, resserrée et détournée, avec Pietà reconfigurée en fonction de l’espace à disposition – une chambre, un matelas. La lance du soldat devient le double-éclair de deux coups de feu, alors que la caméra s’attarde au premier plan sur le visage digne et forcément inexpressif d’une Madeleine déjà veuve, suffisamment pour verser dans le sulpicien au rabais.
Ne reste plus qu’à fermer la boucle entamée par une invraisemblable émission télévisée où, 20 ans après les faits, le traître se confiait aux caméras de télévision. D’abord lancé par une question au faux O’Neal joué par Stanfield en amorce du récit : « Que diriez-vous à votre fils sur vos activités des années 60 et 70 ? », le film est clôturé par le vrai O’Neal du document vintage laissant l’Histoire – la grande – juger la sienne – la petite. Shaka King n’a plus qu’à fermer le ban avec une phrase sibylline narrant le suicide de O’Neal le lendemain de la diffusion du documentaire. Bien mal acquis etc.
Après l’édification par le sadisme (« Detroit »), par le didactisme (« Les 7 de Chicago »), voici l’édification par l’Évangile : les noces de Hollywood et de Black Lives Matter ne sont décidément pas près de s’achever.
Judas and the Black Messiah (Shaka King, 2020). Actuellement sur Canal +.