L’amour dans un climat glacé, et au temps du chacun pour soi : comme son titre le laisse deviner, Une distance folle, le petit roman d’Éric Alter, peut se lire comme une autopsie du sentiment amoureux dans une société en miettes. Une société où l’on vit à Paris, où l’on grandit à Boston, où l’on étudie à New York, où l’on travaille épisodiquement à Los Angeles, où la famille pulvérisée n’est plus ni un recours, ni un cocon, ni un objectif. Les frères sont des étrangers et les parents des inconnus, mais les usagers des transports en commun détaillent en public leurs rapports intimes sur leur téléphone portable, où la trahison, le mensonge et le double jeu sont de tous les instants.
Damien, qu’on a de mal à qualifier de héros, est tombé follement amoureux de Claire, une journaliste. Ils se rencontrent, ils dînent, ils couchent. Au bout d’une semaine elle s’installe chez lui. Ils se parlent peu. Elle se lasse, et à la veille de partir en reportage à l’autre bout du monde, elle lui déclare tout à coup qu’elle ne reviendra pas, qu’elle est désolée, mais que c’est comme ça, qu’elle aussi estime « avoir droit au bonheur ». Damien s’affole, lui propose le mariage, mais elle n’en a pas envie. Tout ce qu’elle veut, c’est être heureuse.
Elle : « J’ai besoin de retrouver les images, les odeurs, les gestes. Bref, tout ce qui m’a un jour bouleversée ». Tout ce qu’elle pense ne plus pouvoir trouver avec lui. D’un coup, l’abîme se creuse. Une distance folle, c’est-à-dire, une distance qui rend fou. Alors qu’elle a déjà tourné les talons, indifférente, allant sans plus y penser vers d’autres corps, vers d’autres béances, vers d’autres mensonges, Damien se prend à espérer l’impossible. Et à tourner en rond, comme le chien trouvé qui servait de compagnon à sa soeur, dans son pavillon de banlieue, et qu’elle finit par perdre ; comme ses copains, qui vont noyer dans l’alcool la faillite de leur couple ; comme ses associés qui s’apprêtent à le trahir, ou comme les maîtresses de rencontre dont il finit par apprendre qu’elles n’ont couché avec lui qu’à la suite d’un pari idiot.
Tourner en rond pour constater que, décidément, on est vraiment seul. Au total, une brève mais lancinante méditation sur un amour défunt, dans un univers aussi désespérant que ceux de Houellebecq.
Eric Alter, Une distance folle, Pascal Galodé, 2012
*Photo : Speculum Mundi.
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