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Pitié pour la langue!


Pitié pour la langue!
© A. Paviot - Causeur.fr

Faire de notre langue, en la prétendant viciée, le théâtre de combats idéologiques, ouvre des abîmes qui ne sont pas que de perplexité.


L’égalité homme-femme n’a rien à voir dans cette galère. Tant de femmes ont fait de la langue française le véhicule de leur émancipation et de leur identité singulière qu’il est étrange et insultant pour elles d’y voir siéger la persistance d’une domination masculine sournoise.

Que le masculin serve grammaticalement à fusionner, dans un genre « neutre », le genre humain relève du même usage que l’emploi du mot « homme » – qui réfère à homo sapiens, sans considération de sexe,  tout en désignant par ailleurs l’humain de sexe mâle.

Cette convention n’aliène en aucun cas la femme dans une sous humanité inféodée à l’ordre masculin. Un tel fantasme hystérise la langue qui est, tout au contraire, le siège de la raison.

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À l’inverse, on peut voir dans la langue telle qu’elle existe un hommage à une forme d’ubiquité féminine. D’une certaine manière, la femme peut habiter le féminin et l’humanité générique. Elle peut dire : « je suis heureuse d’être avec vous ce soir, et nous sommes, tous, très heureux, je crois, d’être ensemble ». La langue propose ainsi des équilibres subtils qui tiennent plus de l’équité que de l’égalité bête et méchante.

Il serait tout autant absurde de torturer ces noms épicènes qui n’ont pas de masculin (sentinelle, vedette, victime…), au motif qu’il faut féminiser ceux qui n’ont pas de féminin.

Les prémisses d’un saccage en règle ?

« J’ai toujours honoré ceux qui défendent la grammaire et la logique. On se rend compte cinquante ans après qu’ils ont conjuré de grands périls », écrivit Proust, ignorant à quel point sa phrase deviendrait prophétique.

Si la langue doit devenir le siège de toutes les luttes sociales, nous vivons là les prémisses d’un saccage en règle. Pourquoi, en effet, s’arrêter en si bon chemin. Que faire pour les non-genrés ou transgenres ? Ne méritent-ils pas un « non-genre » à eux, gravé dans la langue, piétinés qu’ils sont par cette foutue-vieillotte-poussiéreuse langue française ?

Et pourquoi ne pas aller plus loin dans la dénonciation des inégalités qui sourdent dans la langue : l’homme, c’est l’humain ; femme, étymologiquement, renvoie à l’allaitement et à l’enfantement. D’un côté, donc, les hommes captent l’essence du genre humain dans leur dénomination, de l’autre, les femmes sont réduites par ce signifiant à une fonction maternelle. Changeons toutes ces appellations d’un autre âge puisque la mode est au vocabulaire « ethnicisé », « genré », purifié.

Jusqu’où faudra-t-il aller dans le saccage de la beauté formelle de notre langue ? 

Une approche réductrice de la langue

L’écriture inclusive ressemble à l’enlaidissement des paysages, quand ils sont oubliés derrière les usages que nous faisons de nos espaces.

Cette approche purement fonctionnelle de la langue, en écho à des revendications sociales, l’appauvrit terriblement. Elle s’inscrit, d’une certaine façon, dans la culture du sms et dans la promotion implicite d’un globish mondialisé (la langue anglaise, où le genre n’est pas marqué dans les articles et les participes passés, simplifie le « problème »).

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Il est cocasse que des dictées d’écriture inclusive soient désormais organisées, au moment où le niveau de maîtrise de la langue n’a jamais été aussi piteux. Peu importe les fautes, pourvu que le dogme inclusif soit respecté.

La langue est le siège de l’immémorial. Elle constitue une forme de sacré, c’est-à-dire de transcendance. Elle a à voir avec la Loi et la filiation des savoirs. Elle exprime un principe d’autorité qui s’impose à tous et par lequel nous apprenons à faire société. Elle unifie, elle rallie, elle ouvre. Elle ne divise pas.

Laissons le mot de la fin au sage Jean-François Revel, qui fut aussi le mari de la pétillante Claude Sarraute : « La société française a progressé vers l’égalité des sexes dans tous les métiers, sauf le métier politique. Les coupables de cette honte croient s’amnistier (ils en ont l’habitude) en torturant la grammaire. Ils ont trouvé le sésame démagogique de cette opération magique : faire avancer le féminin faute d’avoir fait avancer les femmes. »

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Associé-fondateur chez Comfluence, président d’Opinion Valley

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