Malgré tout, j’aime vivre en Région parisienne. Bien sûr, la nature y est soumise et sans relief, ni belle ni sauvage. Je ne serai jamais ébloui dans ses modestes forêts comme aux sommets des volcans du Cantal. On n’y produit que du blé et des champignons fades. La pollution cache souvent les étoiles et on y a un peu trop de voisins. Mais l’atout majeur de ma région natale est qu’on n’y est pas accablé par le poids des imbéciles heureux qui sont nés quelque part.
Le charme des régions est indéniable, mais discutez avec les autochtones et vous verrez. Le discours est invariable. Ils sont nombreux à être fiers d’être sortis de ce trou paumé-ci plutôt que de coin perdu-là. Aux quatre coins de l’Hexagone (je sais), le provinciau, pour faire vivre la culture de son terroir, bombe le torse, danse en rond avec ses sabots sur de la musique qui couine avant d’aller vomir son chouchen, sa gueuze ou son riesling.
L’Alsacien, puisqu’on en parle, vous savez, celui qui a pris la sage habitude de se retrouver à la fin de chaque guerre dans le camp du vainqueur, vous affirmera que la saucisse de Strasbourg surclasse de loin celle de Morteau, de Montbéliard ou de Toulouse. Mais je vous laisse deviner la réponse si vous interrogez les habitants des autres saucisses…
Le problème s’aggrave quand certains poussent le chauvinisme régional jusqu’à demander à la République de se retirer et de les laisser croupir dans leur folklore et leur patois. Certes, le Breton en est revenu. Après une crise existentielle F.L.Boum, il semble surtout occupé aujourd’hui à combattre les ravages de l’alcoolisme et de l’eau au nitrate. Un peu comme le Ch’ti qui, lui, se débat entre alcoolisme, inceste et non reconnaissance aux Césars.
Mais de l’indépendantiste, quand y’en a plus, y’en a encore : le Basque, qui comme son demi-frère espingoin, feint de se croire encore sous Franco et pousse le désir d’autonomie jusqu’au gendarmicide. Ou le Corse, qui préfère le règlement de comptes mafieux mais ethniquement pur à l’état de droit continental et qui, en homme d’honneur sans doute, descend un préfet d’une balle dans le dos et prend le maquis.
Aussi, quand du fond de mon Bassin parisien surpeuplé et surpollué, j’observe le spectacle navrant des velléités micro-indépendantistes, je me sens définitivement jacobin. Si le sort des Chouans vous a émus, ne me laissez jamais devenir ministre de l’Intérieur car l’envie de ramener dans le giron républicain quelques ploucs récalcitrants à coups de trique me démange souvent. Je le confesse, dans ces moments d’énervement, j’endosserais volontiers l’uniforme blanc du feldmaréchal Trotsky pour faire goûter aux pécores séparatistes le knout de la centralisation.
Pourtant ce matin-là, quand un insurgé antillais (avec cet accent facilement imitable, il suffit d’essayer de parler français avec un boudin créole dans la bouche) est venu jusque dans ma salle de bains via ma radio parler de « situation coloniale » et dire : « Malheureusement, je suis français » et « la seule solution à nos problèmes c’est l’indépendance », j’ai été gagné par un sentiment étrange et nouveau pour moi : la tolérance.
Je lui ai répondu (oui, je réponds parfois à ma radio, et je me retiens souvent de lui mettre mon poing dans la gueule) : « Banco ! Vas-y Frankie, c’est bon l’indépendance! T’as qu’à demander aux Comoriens ! »
La tolérance, vous dis-je ! Et la curiosité aussi.
Combien de temps pour que le désir d’indépendance assouvi se change en demande de visas ?
Combien de temps pour que ces chers départements qui ressemblent, parait-il, à la Rhodésie d’hier se transforment en Zimbabwe d’aujourd’hui ?
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