Ça pour être violent, il fut violent le discours d’Harlem Désir au congrès socialiste de Toulouse. Tous les commentateurs l’ont remarqué après sa prestation d’hier. Ce que tous les commentateurs oublient -peut-être parce que comme les autres Français, à ce qu’en disait un officier supérieur depuis déchu, ils ont la mémoire courte-, c’est qu’on a vu bien pire, en matière de violence – et pas toujours verbale – dans un congrès socialiste : Qui se souvient du congrès de Pau, en 1975 et de Jean Poperen qualifiant l’ancien chef du PSU, alors juste rallié au PS, de « Rocard d’Estaing » ? Qui se souvient du congrès de Rennes en 1990, où les jeunes militants jospinistes et fabiusiens en vinrent plus d’une fois aux mains ? Et du dernier congrès, à Reims, qui aurait dû se clore devant les tribunaux pour fraude électorale si Ségolène avait tenu parole. Bref, les congrès, c’est pas les plateaux télé, c’est un exercice old school où la violence verbale chasse le temps d’un week-end le spleen du militant, surtout quand il est bien emmerdé d’être enfin au pouvoir…
Mais rien de tout cela dans la Ville Rose où toute la haute cléricature socialiste portait des lunettes de la même couleur pour cause de synthèse – un mot qui vaut à la fois pour les accords bidons de façade et pour les hallucinogènes chimiques genre ecstasy ou LSD.
Si donc violence il y eut, elle fut exclusivement réservée aux voisins d’en face, les méchants de l’UMP, derniers vestiges du sarkozysme honni pourtant balayé le 6 mai dernier par le peuple français sur le score sans appel de 48,6% des votants en faveur de François Hollande. Car il se trouve que non seulement les dirigeants de l’UMP n’ont pas eu la décence élémentaire de procéder, après cette défaite historique, à un seppuku collectif dans leurs somptueux locaux de la rue de Vaugirard, mais qu’en plus il persistent dans l’erreur, ce que le pointilleux Harlem ne saurait tolérer.
Première contrevérité pointée par le nouveau boss du PS – ou disons, par celui qui se croit l’être – la sarkonostalgie dont arguent maints dirigeants de l’UMP. C’est bien sûr, nous dit Harlem, un artefact forgé dans les cabinets noirs de la droite et repris en chœur par les sondeurs et plumitifs aux ordres. Personne ne saurait regretter Sarko, et le Premier secrétaire va le prouver scientifiquement à la tribune. Pour ce faire, il ne s’appuiera pas sur léger sentiment de cocufication d’un million de salariés spoliés de 40 à 100 euros mensuels d’heures sup depuis quelques mois, mais élèvera le débat : »Mais de quoi les Français devraient-ils être nostalgiques ? Du yacht de monsieur Bolloré ou de celui de monsieur Takkiedine ? Du soutien à Ben Ali ou de la tente de Kadhafi plantée dans les palais officiels en plein Paris? Des interviews dans Minute de Nadine Morano ou des Auvergnats de Brice Hortefeux ? »
C’est-y pas envoyé, ça ? D’autant plus que ce premier placage en appelle immédiatement un autre : la dénonciation virulente de la néofachisation de la droite tradi, à commencer par celle de son collègue encore en poste, pour au moins quelque temps, à l’UMP : « Quant à monsieur Copé, monsieur Fillon est peut-être en train de lui voler son pain au chocolat, mais ce n’est pas une raison pour empoisonner toute la France en jouant avec les peurs, les amalgames et les préjugés. »
La conclusion s’imposait d’elle-même, et croyez-moi, c’est grand comme du Jaurès : « Ça suffit la droite UMP-FN! Ça suffit la lepénisation de la droite ! Mais où sont les républicains de droite? Pourquoi se taisent-ils ? »
Et ben justement, puisqu’Harlem parle de se taire, peut-être qu’il aurait dû aussi se taire lui-même, ou au moins (re)lire son discours avant de l’ânonner en scène. Car c’est bien beau de traquer la lepénisation des esprits quand on convoque soi-même une image choc aussi tangentiellement raciste que celle d’un chef d’Etat arabe qu’on laisse planter sa tente « dans les palais officiels en plein Paris ». Bien sûr que les faits évoqués sont réels, et pouvaient légitimement choquer. Mais était-il vraiment indispensable de les présenter ainsi (et en oubliant au passage le contexte touchy de la libération des infirmières bulgares et des ses contreparties, désagréables, mais probablement obligatoires, car faisant partie du deal, pour Nicolas Sarkozy)?
Si c’est seulement la collusion de Sarkozy avec un dictateur qu’Harlem voulait vilipender, sans prendre le risque de lui-même flirter « avec les peurs, les amalgames et les préjugés », il aurait été tellement plus simple –et plus propre- de parler de « réception en grande pompe », de « tapes dans le dos », voire de « honte pour la France ». Mais non, pour faire peuple, Désir s’est vautré dans le lieu commun fantasmatique du bougnoule qui squatte impunément l’Hôtel Marigny avec –qui sait ?- ses chameaux et son harem. Car c’est bien avec ça qu’a joué le Premier Secrétaire et c’est bien ça qu’ont applaudi les congressistes déchainés. Tsss-Tsss…
Sommes-nous amusés par cette grossière contradiction? Voui ! Sommes-nous surpris? Meu non ! Pour être gentil, nous commencerons par dire en termes euphémiques ce que tout le monde sait au PS : Harlem Désir n’est pas spécialement réputé pour ses talents d’orateur. Ni d’ailleurs pour ses dons de théoricien, ou de tacticien, ou d’homme de terrain (toutes ses tentatives de candidature aux législatives se sont soldées par des catastrophes électorales. Son mandat populaire de député européen, il le tient par la grâce du scrutin proportionnel, où il a été deux fois tête de liste PS dans la circonscription Île-de-France en 2004 et 2009, année où il est réélu député européen avec le score fabuleusement minable de 13,58 % des voix, en recul de 11,45 points par rapport à 2004.
Cette légère légèreté fut-elle un handicap dans son accession au fauteuil de Premier secrétaire ? Que nenni, elle lui a ouvert une voie royale vers les sommets : Harlem, contrairement à sa prédécesseuse Martine, ne risque pas faire de l’ombre à Hollande et Ayrault. Et contrairement à son concurrent Cambadélis il ne profitera de son poste pour ourdir manœuvres, embuscades et complots. Voilà pourquoi Harlem aura été, malgré son lourd passé aubryste, le seul candidat adoubé par l’Elysée.
Depuis le congrès d’Epinay en 1971, la liste des premiers secrétaires du Parti n’est pas si longue : en quarante-et-un ans ils ont été neuf en tout à occuper ce poste : François Mitterrand, Pierre Mauroy, Laurent Fabius, Michel Rocard, Henri Emmanuelli, Lionel Jospin, François Hollande, Martine Aubry, Harlem Désir. Cherchez l’erreur.
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