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Napoléon, Edmond Rostand et la France

Dans la pièce "l'Aiglon", Rostand contait les dernières années et la mort du fils de Napoléon Ier. Sarah Bernardt, travestie, y tenait le rôle titre...


Napoléon, Edmond Rostand et la France
Edmond Rostand, dramaturge français (1868-1918) © COLLECTION ANTOINE/SIPA Numéro de reportage : 00291565_000001

Il y aura 200 ans, le 5 mai prochain, Napoléon mourait à Sainte-Hélène. 


Passons sur les indigénistes qui ne veulent pas célébrer l’un des derniers grands hommes d’une histoire — la nôtre — qui jusque-là n’en manquait pas : ce sont les mêmes qui aux États-Unis veulent débaptiser les écoles George-Washington ou Abraham-Lincoln, sous prétexte que l’un et l’autre eurent des esclaves. Quitte à oublier que sans le premier, il n’y aurait pas eu d’États-Unis, et que sans l’autre, ils en seraient encore à ramasser le coton en balbutiant des « Oui, m’dam’ Sca’lett » mémorables. Soyons précis : Napoléon a rétabli l’esclavage pour tenter de damer le pion face à la perfide Albion, qui n’en faisait pas moins, et n’a interdit la traite que pour brimer la France dans ses « îles à épices ». Les vrais enjeux étaient là, à l’époque — pas dans d’hypothétiques « droits de l’homme »… À noter qu’aujourd’hui, ces mêmes Droits de l’homme sont pris en otages de nos relations avec la Chine — alors même que tout le monde se fiche des Ouïghours, fanatiques parmi d’autres.

Bien sûr, en tant que Corse, j’ai des sentiments mêlés pour l’Empereur. Il a délégué dans l’île l’infâme général Morand, chargé de mater les paolistes, et responsable peut-être de la torture et de l’assassinat de quelques-uns de mes ancêtres. 

Dégâts collatéraux de la construction de l’Empire… Faut-il que je demande une compensation ? Un remboursement ? Des génuflexions ? L’ancien autonomiste que je fus sait bien que lorsqu’il fustigeait « l’État colonial », c’était façon de parler. Et que le facteur économique est déterminant en dernière instance. Tant pis si nombre de mes amis sont morts d’excès de rhétorique — et de balles de M16 ou de Glock 26.

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Pour bien évaluer l’ombre portée de Bonaparte, je passerai par l’Aiglon, la pièce avec laquelle Edmond Rostand assit définitivement sa renommée, en 1900 — avec Sarah Bernhardt dans le rôle-titre. 

Et pour parler de l’Aiglon, j’évoquerai d’abord Cyrano. Si, tout se tient.

Rostand était alors ce qu’on appelle dans le jargon du théâtre un « auteur tombé ». Aucune de ses pièces précédentes — malgré Sarah B*** — n’avait marché. Et vous n’en connaissez d’ailleurs aucune. Il était au bord du rouleau et du gouffre, moral et financier. Ce ne sont pas les poèmes rose bonbon de Rosemonde Gérard, sa digne épouse, qui allaient faire bouillir la marmite. Il a donc osé un pari très risqué : écrire une pièce contre toutes les esthétiques de son temps, réalisme, naturalisme ou symbolisme, en pariant que le Romantisme n’était pas mort en France.

Pourtant, Louis-Philippe, le « roi-bourgeois », et surtout Napoléon III, idole de tous les Monsieur Homais de l’Hexagone, avaient fait de leur mieux pour briser la fibre romantique héritée de l’Empire : se rappeler le début de la Confession d’un enfant du siècle, où Musset évoque cette « génération ardente, pâle et nerveuse » : « De temps en temps, dit-il, leurs pères ensanglantés apparaissaient, les soulevaient sur leurs poitrines chamarrés d’or, puis les posaient à terre et remontaient à cheval. » Sauf quand, soûls perdus, ils tombaient dudit cheval et se brisait le crâne, comme le papa de George Sand.

Après 1815, quand l’ordre metternichien du Congrès de Vienne restructure l’Europe, il n’est plus permis de rêver que par écrit — et encore ! Napoléon III a senti dans la seconde moitié de son règne qu’il lui manquait la consécration militaire ; il est allé la chercher en Italie, en Crimée et au Mexique — mauvaise pioche. Puis à Sedan — idée fatale.

Hugo avait bien compris à quel point Napoléon Ier manquait aux Français. C’est sur cette idée qu’il a écrit Napoléon-le-Petit, et « l’Expiation », dans les Châtiments.

La France d’Edmond Rostand, assommée par la perte de l’Alsace-Lorraine, espère un sauveur. Rostand, avec Cyrano, lui procure un panache que les brasseurs d’affaires de Suez et de Panama étaient bien en peine de lui fournir. 

Cyrano était une métaphore totale, survolant trois siècles. L’Aiglon l’explicite : quand au dernier vers Metternich ordonne « Et vous lui remettrez son uniforme blanc », rhabillant le prince défunt en archiduc d’Autriche, pour effacer l’Empire et la République, parce qu’il sent que la République et l’Empire vont contaminer l’Europe entière (et de fait, en 1848…), le public entier était en larmes. Comme à la fin de Cyrano, où il attendit cinq minutes avant d’applaudir, parce qu’il refusait qu’une telle pièce fût finie…

C’est ce qu’a senti Rostand. Il a écrit les pièces de la revanche. Évoquer l’Empire, c’est appeler à une nouvelle guerre (et de fait, en 1914…). Napoléon était le nom de la grandeur de la France. Il l’est encore. « Lui encore ! Lui toujours ! » disait Hugo.

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Ceux qui célèbrent aujourd’hui Napoléon refusent que la France s’achève — malgré les collaborateurs de Metternich-Merkel, malgré les petits marquis de la vague Woke, et malgré Napoléon IV-le-Minuscule. Ils refusent de rendre les armes. 

Tant qu’à faire, ils refusent que la République soit enterrée sous la pseudo-démocratie, le destin collectif ramené à une histoire de masques par des médecins qui se croient des prophètes, et la jeunesse sommée de choisir entre le canapé, la barrette de shit et un emploi instable chez Uber ou Deliveroo. Il nous faut De Gaulle. Il nous faut Napoléon.

Je sais bien qu’on ne trouvera pas tout de suite un second Bonaparte. Seules des situations désespérées, des guerres étrangères ou civiles, engendrent ce type d’hommes. Mais nous pourrions déjà nous souvenir que Napoléon, obscur lieutenant, est sorti de la « levée en masse » décrétée par la Convention, quand il a fallu sauver le pays des envahisseurs qui se pressaient à nos portes et des conspirateurs qui minaient la Révolution de l’intérieur. C’est de cette levée générale que nous avons besoin — et cela dépasse, et de beaucoup, les intérêts électoraux de tel ou tel parti.

Il est significatif que l’exécutif hésite à célébrer Napoléon. Non pour ce qu’il fut, mais pour ce qu’il risque de représenter aujourd’hui : un homme qui a unifié l’Europe sous sa houlette, et qui, au passage, a neutralisé l’énorme dette de l’Ancien Régime. Si vous voyez ce que je veux dire.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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