L’institution universitaire la plus atypique du pays – et probablement du monde – vient de faire une recrue du même métal : le Collège de France a nommé le compositeur et pianiste Karol Beffa titulaire de la chaire de création artistique pour l’année académique 2012/2013.
Quoique nommé aux dernières Victoires de la musique classique, celui-ci est pourtant encore peu connu du grand public, malgré son parcours hors-normes. Après une carrière d’enfant acteur (c’est, dit-il, en jouant, à huit ans, le Mozart de Marcel Bluwal que lui est venue la vocation), ce touche-à-tout a été reçu premier à Normale Sup, où il étudia l’Histoire, la philo et les maths (il est diplômé de l’ENSAE) pour finalement décrocher en 1996 l’agrégation de musique – où il est reçu premier, comme d’hab.
Titulaire de nombreux premiers prix du Conservatoire de Paris, ce garçon d’à peine 39 ans est aussi assez virtuose dans le maniement des idées, y compris celles qui risquent de sonner comme un couac aux oreilles des zélateurs de l’Eglise de Boulezologie. Ainsi cet admirateur passionné de Steve Reich et György Ligetti a confié sans ambages à nos confrères de Piano Bleu quelques vérités bien senties : « Si le public reste étranger à 80% de la musique contemporaine, il faudrait se demander si c’est à cause du public ou de la musique contemporaine… Il me semble qu’à vouloir se priver de toute balise perceptive, de tout thématisme et de tout sentiment harmonique, certains compositeurs y perdent plutôt qu’ils n’y gagnent en pouvoir d’expression… et il ne faut pas s’étonner si le public a du mal à suivre.»
On risque fort, donc, de ne pas s’ennuyer durant les leçons du professeur Beffa, où seront abordés des sujets aussi peu convenus que « Comment accompagner un film muet ? » ou « Musique et imposture ». Sa leçon inaugurale, elle, aura pour thème « Comment parler de musique ? » et débute par ces mots : « L’art meurt du commentaire sur l’art. Aujourd’hui, le commentaire envahit tout – souvent, hélas, au détriment de l’œuvre. L’artiste, dont la raison d’être est de créer, est trop souvent sollicité pour présenter, expliquer, décortiquer son œuvre… L’œuvre, censée se suffire à elle-même, ne s’apprécie plus qu’assortie d’un commentaire. Pire : d’accessoire, le commentaire est devenu central comme le pilier d’un art qui peinerait désormais à tenir debout tout seul ou qui, faute d’émouvoir, exigerait pour être senti filtres, écrans, médiations. » Voilà ce qui s’appelle donner le la.
*Photo : Sophie Le Roux/sophiejazz2009.
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