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Pourquoi Téhéran refuse des négociations informelles avec Washington

Bras de fer entre l'Iran et la Maison-Blanche


Pourquoi Téhéran refuse des négociations informelles avec Washington
Président de la République islamique d'Iran Hassan Rohani © /AP/SIPA Numéro de reportage : AP22557990_000001

La Maison-Blanche a exprimé sa déception face au refus de l’Iran de participer à une réunion informelle visant à relancer l’accord sur le nucléaire. « Mais nous sommes prêts pour une diplomatie visant un retour réciproque des engagements dans le cadre des Accords de Vienne sur le nucléaire iranien », a déclaré un porte-parole de la Maison-Blanche le 28 février 2021.


Le moment n’est pas opportun

Saïd Khatibzadeh, le porte-parole iranien du Ministère des affaires étrangères, a déclaré qu’en raison des positions et actions récentes des États-Unis et de trois pays européens, la République islamique d’Iran ne considérait pas le moment opportun pour tenir une réunion informelle.

On trouve de plus amples explications dans le quotidien téhéranais Siyasat-é Rouz. « L’Occident a de nouveau eu recours au scénario répétitif consistant à déclencher de l’insécurité en Iran [référence aux récentes émeutes dans la province du Baloutchistan] pour affaiblir notre position dans les négociations sur le nucléaire. Ils espèrent contraindre l’Iran à accepter leurs demandes excessives concernant son programme nucléaire, ses activités régionales et sa technologie de missiles. Toute la propagande médiatique et les activités récentes des groupes d’opposition iraniens à l’étranger pourraient être considérées comme des efforts visant ce même objectif. » C’est ainsi que le journal met en avant la thèse officielle d’un « triangle » qui se trouverait derrière les récents soulèvements sociaux en général et celui du Baloutchistan en particulier : le premier angle est formé par les Moudjahidine du peuple (OMPI), ennemis jurés du régime iranien et d’autres dissidents. Le second angle est composé par les médias étrangers qui diffusent des informations sur la révolte au Baloutchistan dans les médias occidentaux et sur les réseaux sociaux. Le troisième angle est constitué par les responsables occidentaux, s’agissant en particulier de la déclaration du nouveau secrétaire d’État américain Antony Blinken, qui accuse le régime de violations des droits de l’homme pendant le soulèvement.

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Après le soulèvement de mi-novembre 2019, Khamenei avait imputé également la responsabilité à ce trio, prétendant que les Américains et les Israéliens avaient planifié les émeutes et que l’Arabie Saoudite et les États du Golfe persique les avaient financées.

Il est désormais clair que le refus du régime iranien de participer à des pourparlers informels est motivé par le soulèvement du Baloutchistan. Khamenei pense que le rapport de forces pourrait le forcer à accepter les demandes des pays occidentaux.

Le principal désaccord de l’Iran avec les pays du P5+ 1 

Le régime iranien souhaiterait que les États-Unis reviennent à l’accord signé en 2015, qui favorisait Téhéran. Il s’agit de l’accord dit JCPoA (Joint Comprehensive Plan Of Action) signé en 2015 entre l’Iran et les P5+1 (les cinq pays membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU) plus l’Allemagne. Mais les pays P5+1 prévoient d’inclure dans les négociations d’autres préoccupations, comme le programme de missiles de l’Iran, son influence régionale et peut-être les droits humains. Ils exigent que ces points fassent partie de l’éventuel accord final. Ce changement est la principale source de désaccord de l’Iran avec les pays du P5+1. Pourtant, ce changement de position occidental s’explique en partie par le fait que le rapport de force au Moyen-Orient, en Europe et dans le monde n’est plus ce qu’il était en 2015.

Les changements géopolitiques dans la région

L’économie iranienne a été gravement affaiblie. Sa monnaie est en chute libre. Le gouvernement Rohani a reconnu que 60 millions d’Iraniens vivent au-dessous du seuil de pauvreté, un chiffre qui ne cesse d’augmenter. Le chômage élevé, la flambée des prix, la corruption des institutions et bien d’autres facteurs similaires ont entraîné deux grands soulèvements généralisés en 2017 et en 2019.

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L’influence régionale de l’Iran en Irak, au Liban et en Syrie a été remise en question. Les manifestations populaires en Irak et au Liban, l’assassinat de Soleimani, l’icône de l’influence du régime dans la région, la pression de la Russie sur l’Iran pour réduire son influence en Syrie, l’alliance d’Israël avec certains pays arabes de la région qui ont formé un nouveau bloc contre l’Iran, sont autant de raisons pour lesquelles la géopolitique de la région a changé et c’est pour cela que les pays du P5 + 1, en plus de l’Arabie saoudite et d’Israël, ne sont plus disposés à revenir à l’accord de 2015.

Par conséquent, l’administration Biden n’est pas prête à desserrer la pression sur l’Iran, à moins que la relance de l’Accord de Vienne (JCPoA) ne tienne compte de la réalité de ce nouvel équilibre géopolitique et des préoccupations du P5 + 1 sur le programme de missiles balistiques qui menace les pays de la région, en particulier Israël.

Les défis du Guide suprême

Le régime iranien est conscient du ras-le-bol des Iraniens à l’égard du pouvoir et du fait qu’une révolte couve. Les émeutes du Baloutchistan pourraient être considérées comme un bon exemple de ce potentiel caché. Le parlement iranien a officiellement déclaré que 60 des 80 millions d’Iraniens vivent dans la misère. Pour retarder la prochaine éruption de colère qui entraînerait inévitablement un changement radical, le régime a besoin de la levée des sanctions. Par conséquent, il doit se soumettre au nouveau JCPoA en 2021 pour éviter sa destruction.

Fondée sur le pouvoir absolu du Guide Suprême, la théocratie a toujours reposé sur les deux piliers que sont la répression intérieure et la création de crises hors de ses frontières. Si l’un de ces piliers s’effondre, l’existence du régime prendra fin. Par conséquent, ses programmes nucléaires, de missiles et d’incitation à la guerre dans la région, font partie intégrante de la stratégie de Khamenei, et il ne peut y renoncer.

Le Guide suprême sait que si l’Iran se soumet à de nouvelles exigences et assouplit sa position, le résultat en sera – comme il l’a dit le 20 février – que  « chaque jour, il y aura de nouvelles exigences : un jour les droits humains, un jour les armes nucléaires, un jour les missiles et un jour les questions régionales. »  Selon Khamenei, la possible politique de recul de l’Iran équivaudrait à une « dégradation infinie ». Cette politique ne ferait qu’ouvrir la voie à des soulèvements sociaux en Iran de la part de la population privée de ses droits fondamentaux depuis 42 ans. Chaque jour, des Iraniens meurent en grand nombre à cause du coronavirus. Leurs proches ont été emprisonnés, torturés et exécutés. Cette voie mène à la chute inévitable de la théocratie et à la victoire du désir de liberté des Iraniens.

Le régime préfère le statu quo et insiste sans relâche pour relancer le JCPOA de 2015 sans aucun changement. L’agitation sociale en Iran l’empêche clairement d’imposer ses exigences aux pays occidentaux. La conclusion est donc que ni Washington ni Téhéran ne fera le premier pas. Jusqu’où le régime se battra-t-il pour maintenir son pouvoir aux dépens du peuple iranien?



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Hamid Enayat est un analyste iranien basé en Europe. Militant des droits de l'homme et opposant au régime de son pays, il écrit sur les questions iraniennes

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