Le 11 septembre, une foule évaluée à 1,5 million de personnes, selon une police et des organisateurs faisant cause commune, défilait dans les rues de Barcelone. Le slogan le plus populaire était : « Yes, we Cat ! » Non, ce n’était pas un rassemblement d’amateurs de félins domestiques, mais des partisans enthousiastes de l’indépendance de la Catalogne, dont « Cat » est l’apocope familière. Si l’on considère que la population totale de la province s’élève à 7,5 millions d’habitants, on ne peut que constater que l’immense majorité des Catalans est favorable à un divorce avec Madrid. À l’échelle française, imaginons une manifestation rassemblant 12 millions de personnes à Paris : quel que soit son objectif, il serait impossible au pouvoir en place de ne pas en tenir compte.[access capability= »lire_inedits »]
La revendication nationale catalane ne date pas d’hier : elle a pu se manifester au grand jour dès la fin du franquisme, aboutissant à l’octroi, en 1977, d’un statut d’autonomie pour la province. Celui-ci a été régulièrement élargi au fil des années, la Generalitat (région) obtenant toujours plus de compétences, sans toutefois aboutir à une autonomie fiscale semblable à celle qui fut concédée au Pays basque. Madrid perçoit toujours directement une partie des impôts des Catalans et doit, en retour, leur fournir les services publics correspondants. Et c’est justement là où le bât blesse, comme dirait un ânier de cette province qui est le berceau de la plus belle des races de bourriques européennes[1. L’âne catalan ou ruc català, dans l’idiome local, est un animal de belle prestance (1,65 m au garrot), à la robe noire, sauf autour de la bouche et des naseaux. Les catalanistes revendiquent le ruc català en tant que symbole catalan, en opposition au taureau, symbole de l’Espagne]. Avec 15% de la population espagnole, la Catalogne assure près du quart du PIB, et une proportion encore plus grande des exportations. Aujourd’hui, elle est la province la plus endettée d’Espagne, avec 22% de son PIB, et les partisans de l’indépendance estiment que ce déficit est la conséquence de la ponction excessive effectuée par Madrid sur la riche province au bénéfice des régions plus pauvres du Sud de la péninsule.
L’Espagne offre donc un cas classique de « nationalisme patrimonial », où l’on voit des nations se défaire en raison du refus des provinces riches d’aider les régions pauvres. Ce comportement a provoqué l’éclatement de la Yougoslavie en 1991, lorsque la Slovénie et la Croatie sont sorties de la fédération, en estimant qu’elles avaient tout à gagner en abandonnant à leur triste sort les républiques moins bien dotées, comme la Bosnie ou le Monténégro. On connaît la suite.
En Espagne, la crise économique et la diète radicale à laquelle la population est soumise ont réveillé en sursaut le sentiment nationaliste catalan. Ces dernières années, les nationalistes avaient concentré leurs efforts sur l’autonomie culturelle de leur province : la langue catalane est désormais la principale utilisée dans l’enseignement primaire et son usage, fortement réprimé sous le franquisme, est vigoureusement promu par le gouvernement provincial. Présidé par Artur Mas (droite nationaliste modérée), celui-ci vient de décider, à la suite de la manifestation du 11 septembre, d’avancer de deux ans les élections provinciales, fixées au 25 novembre. « Il est temps, pour la Catalogne, d’exercer son droit à l’autodétermination », a précisé Artur Mas en annonçant ce scrutin anticipé.
Le choix est donc clair : si les partis séparatistes l’emportent nettement, le président de la Generalitat s’estimera autorisé à organiser un référendum sur l’indépendance de la province. Les sondages montrent que les partisans de la séparation gagnent régulièrement du terrain dans l’opinion : aujourd’hui, cette option séduit 51% des sondés, alors que 18% y sont fortement opposés, le reste de l’échantillon se déclarant hésitant ou sans opinion. Cette situation a incité le roi Juan Carlos à sortir de la discrétion qu’il s’était imposée depuis ses déboires cynégétiques en Afrique[2. En avril 2012, le roi Juan Carlos avait été victime d’une fracture de la hanche lors d’une chasse à l’éléphant au Botswana. Cette expédition cynégétique n’était pas destinée à être rendue publique, et l’opinion espagnole avait été choquée par les dépenses engagées par le roi à cette occasion, alors que le pays s’enfonçait dans la crise]. Dans une lettre à ses sujets, le souverain les met en garde contre une « division des forces » et une stratégie consistant à « poursuivre des chimères » tout en « ravivant des blessures ». Autant dire qu’à Madrid, on juge la situation sérieuse, alors que le gouvernement de Mariano Rajoy doit déjà affronter la colère des victimes de la crise financière, de l’austérité budgétaire et du chômage.
En Belgique, après deux ans de crise gouvernementale, une accalmie dans l’affrontement Flamands-Francophones était intervenue en décembre 2011 avec l’investiture d’un gouvernement de coalition, dirigé par le socialiste wallon Elio di Rupo, et l’adoption de réformes institutionnelles souhaitées par les partis flamands. Au prix de concessions sur le statut des Francophones de la périphérie bruxelloise, les Wallons et Bruxellois francophones avaient obtenu que la riche Flandre continue à accepter des transferts financiers vers le Sud, concernant notamment les dépenses d’assurances sociales. Le parti séparatiste flamand NVA, dirigé par le charismatique Bart De Wever, était rejeté dans l’opposition à un gouvernement fédéral regroupant la gauche, la droite et le centre, flamands et francophones.
Cependant, Bart De Wever ne restait pas inactif. Il s’est d’abord soumis à une cure d’amaigrissement spectaculaire : en six mois, il a perdu près de 60 kilos, passant de 140 à 83 kg. Le livre où il raconte son combat titanesque contre l’obésité comme « régime le plus marrant du monde » est un best-seller en Flandre. Les intentions de vote en faveur de la NVA aux élections municipales du 14 octobre évoluent de manière inversement proportionnelle à son tour de taille : ses amis pourraient recueillir 40% des suffrages en Flandre, soit davantage que tous les autres partis fédéralistes réunis (démocrates-chrétiens, socialistes, libéraux). Le poste de bourgmestre d’Anvers, la principale ville de Flandre ne devrait pas échapper à De Wever lui-même, qui s’est porté candidat contre le sortant, le socialiste Patrick Janssens.
Ce scrutin pourrait donc avoir des conséquences dévastatrices pour l’avenir du gouvernement fédéral. Dans une conjoncture où tout le monde doit se serrer la ceinture, aiguillonnés par le vote De Wever, qui manifeste clairement le refus des Flamands de payer pour les feignants francophones, les autres partis flamands ne pourront que durcir leurs positions. La fin de la solidarité interrégionale serait alors le prélude à la fin de l’État belge. Aussi grande soit l’habileté tactique d’Elio Di Rupo, elle pourrait se révéler impuissante à enrayer la machine à diviser le royaume.
Les séparatistes catalans et flamands réclament également, pour le cas où ils obtiendraient l’indépendance, le maintien automatique de leurs pays respectifs dans l’Union européenne. Or, aucun article des traités régissant l’UE ne prévoit ce cas de figure ! Les experts estiment qu’en l’état actuel des institutions, la province sécessionniste se verrait appliquer les règles prévues pour les pays candidats à l’adhésion : ouverture de négociations, vérifications des critères démocratiques et autres procédures longues et complexes… C’est pourquoi, à la Commission, au Conseil européen et au Parlement, on fait tout ce qui est possible pour dissuader les peuples des provinces irrédentistes de se lancer dans des aventures qui risquent de mettre à mal les équilibres communautaires. Cette attitude n’est pas de nature à conforter la popularité des institutions européennes dans les régions concernées, mais les Bruxellois ont déjà montré qu’ils pouvaient aisément se passer des peuples, ces emmerdeurs.
1. L’âne catalan ou ruc català, dans l’idiome local, est un animal de belle prestance (1,65 m au garrot), à la robe noire, sauf autour de la bouche et des naseaux. Les catalanistes revendiquent le ruc català en tant que symbole catalan, en opposition au taureau, symbole de l’Espagne.
2. En avril 2012, le roi Juan Carlos avait été victime d’une fracture de la hanche lors d’une chasse à l’éléphant au Botswana. Cette expédition cynégétique n’était pas destinée à être rendue publique, et l’opinion espagnole avait été choquée par les dépenses engagées par le roi à cette occasion, alors que le pays s’enfonçait dans la crise.[/access]
*image : SBA73/Flickr
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