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Rencontre avec Nicoletta

Nicoletta publie "Soul Sister - 50 ans de scène"


Rencontre avec Nicoletta
Nicoletta, 2020 © Jacques BENAROCH/SIPA Numéro de reportage : 00975215_000030

Nicoletta: «La seule Blanche avec une voix de chanteuse noire»


Ainsi parlait Ray Charles à propos de chanteuse mythique de la variété française qui sort un livre sur ses 50 ans de scène. Rencontre avec la Soul Sister…

Peu importe les paroles, une chanson de Nicoletta est une page blanche où se jouent nos souvenirs. Elle a mis des mots, des sonorités, des rythmes et une gestuelle sur nos fringales buissonnières. De Mamy Blue à Fio Maravilla, ses tubes ont traversé les générations. Ce n’est pas si fréquent.

«On ne joue pas avec toi, car ta mère est folle» lui disait-on à l’école. «Ma mère était déficiente mentale, elle avait le cerveau d’une petite fille de 8 ans, je lui ai appris à écrire, je lui faisais faire de la copie, je lui faisais dire tutu, titi, toto, tata… Vers 13, 14 ans c’est moi qui suis devenu sa petite maman». Comme tout un chacun, elle se construit par ses manques et comprend que le bonheur et le malheur sont frères jumeaux. On pense à la légendaire réplique d’Orson Welles: «En Italie, pendant les trente-cinq ans de règne des Borgia, il y a eu la guerre, la terreur, des crimes, du sang versé, mais cela a donné Michel Ange, Leonard de Vinci et la Renaissance. En Suisse, il y a eu l’amour fraternel et cinq cents ans de démocratie et de paix …. et qu’est-ce que ça a donné ? La pendule à coucou !». Elle a été conçue sous une vigne un 14 juillet d’un père inconnu: «A 8 ans, ma petite marraine, la boulangère du village me dit: – Tu sais, celui-là, dans la maison d’en face, c’est ton père.  Le lendemain matin, je croise cette silhouette et lui dis bonjour. Il m’a répondu une chose merveilleuse: -Et merde !» En une phrase, elle avait tué le père! Résister aux fantômes, c’est aussi devenir soi-même.

Elle grandit chez les bonnes sœurs dans une France de clochers, de chaumières et de calvaires semés aux carrefours des chemins. «J’ai raté ma fugue pour une raison de dénivellement auvergnat… tu cours, tu cours, tu crois qu’il y a un autre versant, et non tu te pètes la figure, ma copine s’est cassée la cheville ».

Sa jeunesse conjugue au futur simple les ambitions les plus déraisonnables et elle devient une jeune femme impétueuse, incertaine, invivable sans doute, mais qui au moins ne doute pas de son destin.

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«Je suis arrivée à Paris, je me suis fait déposer au Flore, puis j’ai été dame pipi au King’s club.» C’est pour elle la découverte abrupte que l’humanité est animalité, mais aussi qu’au-delà d’une tristesse sourde, existent ces moments de grâce, de désespoir et d’érotisme, cette sensation unique d’un voile opaque qui se déchire: bref, cette révélation soudaine de ce qu’est la vie, ses saloperies et ses épiphanies.

«Une nuit, au King’s club, j’ai croisé Richard Bennett, le directeur artistique de Nino Ferrer. J’ai chanté «Loving you» d’Elvis. Il n’en croyait pas ses oreilles. Immédiatement il m’a fait signer un contrat de six mois avec une succursale de Barclay.» Elle se rappelle alors cette petite phrase insolente qui avait hanté sa jeunesse: «Tout est possible». Elle voulait faire de sa vie une chevauchée impromptue, comme une aventure: «Mai 1965: mon premier 45 tours sort, le succès fut immédiat, 60 000 ventes en quelques semaines, avec Mireille Mathieu, nous marquions le grand retour des chanteuses à voix. »

 Adamo, Johnny, Claude François… et Ray Charles

D’octobre 67 à mars 68, Nicoletta fait la première partie d’Adamo, avec un autre débutant, Michel Fugain. «Adamo m’a appris à respecter les gens, à m’assoir, à faire des dédicaces.» Beau voyage de bringues, sur les routes françaises, à l’aurore de jours nouveaux. Nicoletta aime cette tournée, cette familiarité douce qui s’insinue entre les choses.

Nicoletta fait ensuite la première partie de Johnny. «Dès que j’arrivais, le public scandait son nom avec une telle force que je perçois encore l’écho de cette foule en délire dans mes oreilles: Johnny! Johnny! Johnny… » Durant les concerts, les filles hurlent comme à quinze ans, elles aiment cette véhémence qu’insuffle le rythme, ces fringales de paroxysme, ces invitations à la fugue. Elles brûlent comme des torches devant les coups de gueule et les coups de reins.

Nicoletta nous raconte ce jour de première partie de Claude François: «Je fous presque mes tripes dans le micro, tellement j’avais mal au ventre pour chanter, ma voix était toute serrée à l’intérieur, je n’avais plus d’aisance respiratoire, j’étais paniquée… Claude François m’a coupé l’écho, tous les effets qui améliorent la voix, j’en pleurais en sortant de scène, j’entendais les gens dire -Ah Nicoletta, c’est pas la voix du disque. »

«La radio ne voulait même pas d’«Il est mort le soleil», une nuit Ray Charles m’appelle pour la reprendre et la chanson est traduite en 140 langues. Il m’emmène dans les bars à putes de Harlem. Elles le touchaient et l’appelaient Genius; tous les taxis avaient peur et aucun ne s’arrêtait; on marchait avec chacune Ray Charles dans un bras en manteau turquoise de cuir d’Astrakan». Marcher avec Ray Charles: divaguons un peu …. L’air est tiède… le jazz frelaté… mais on déambule sous la dentelle des balcons, quelque chose du Deep South flotte encore…

Une garçonnière pour Delon et un mariage de trois heures avec Ronet

L’appartement de Nicoletta fait office un temps de garçonnière pour Alain Delon, après sa rupture avec Nathalie. «Quand je reviens chez moi, la concierge me raconte: «Oh ce monsieur Delon… Elle était bien la petite blonde, la petite brune, la petite rousse.» Pour Nicoletta, Delon est resté un infidèle qui aspire à la constance, un cynique tendre, un écorché vif.

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«J’ai aussi été mariée trois heures avec Maurice Ronet chez Castel, pour rire. Ronet, je l’ai vu en mai 68, le whisky à la main, en costume trois pièces sur les barricades hurlant «Vive le Général! Vive la République»… Que dire de ce suicidé perpétuel, condottiere désabusé, tué deux fois par Delon, feu follet passionné par l’OAS, les chants grégoriens, Dominique de Roux et les varans de Komodo?

1983: Bernard Lavilliers désespère de trouver une choriste avec qui marier sa voix pour Idées Noires: «D’emblée j’adorais, mais je me dis: si tu mets ta grosse voix là-dessus tu vas fracasser la sienne. Très rapidement, j’ai trouvé la solution en sautant une octave dans ma partie musicale et, ô miracle, ma voix devint fine et légère, car elle était en voix de tête.» Le succès fut immédiat: 1 million d’exemplaires! Commence alors une amitié avec cet explorateur des confins, chevaucheur de chimères, conquistador de l’inutile avec l’ombre de Nicoletta pour seul parachute. Et toujours cette envie d’être ailleurs, implacable, d’effacer ses propres traces.

«En 1995, j’ai décidé de faire un virage à 180 degrés: partir sur les routes de France avec une chorale de gospel à travers les églises et les cathédrales de France. » Dieu sera au rendez-vous, ou pas. Quand sonne l’angélus, la France des clochers regarde le ciel, et les étoiles qui s’y allument ne sont pas de chez nous, mais d’une contrée sans frontières. Encore faut-il des clochers pour que ces épousailles du sol et du sens soient fécondes.

45 millions de disques vendus

Comment résumer 45 millions de disques vendus ? Nicoletta a tout connu, tout regardé, au long des continents, avec ses yeux intrépides, et ce toucher subtil qui laisse pourtant glisser entre ses doigts le sable du temps. Autant de chansons de Nicoletta, autant d’égéries dégustées, effleurées ou rêvées, autant d’ambitions déçues, d’exaltations qui tournent court.

Et quand elle entonne encore aujourd’hui Mamy Blue, c’est un autre moi qui naît chez celui qui écoute, un autre moi venu d’on ne sait où, un moi qui communie dans la soul la plus pure.

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Nicoletta invitée de Simon Collin dans l’émission les Clochards célestes sur YouTube

 



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