Après avoir particulièrement souffert du coronavirus au début de l’épidémie en 2020, la capitale espagnole fait désormais le choix de laisser commerces, restaurants, bars ou cinémas ouverts jusqu’à 23 heures, sous l’impulsion de la présidente régionale de droite, Isabel Díaz Ayuso.
Officiellement détecté pour la première fois en Espagne sur l’île de La Gomera (Canaries), le 31 janvier 2020, le coronavirus de Wuhan apparaît en péninsule Ibérique le 24 février suivant. L’histoire est désormais bien connue : en quelques semaines, l’épidémie s’emballe, touchant de plein fouet un pays qui s’y était mal préparé. À la mi-mars 2021, un peu plus de 72 000 personnes sont décédées en Espagne de ce virus.
Dépassé par les événements, le gouvernement de Pedro Sánchez (Parti socialiste ouvrier espagnol) et Pablo Iglesias (Unidas Podemos) décrète le 15 mars l’un des confinements nationaux les plus durs au monde. Il finit par le lever le 21 juin. Dans l’intervalle, les images en provenance d’Espagne font le tour du monde. La situation dans la capitale semble particulièrement alarmante car sa région administrative, la Communauté de Madrid, encaisse le choc le plus rude de cette première vague en tant que porte d’entrée du pays. Une guerre politique éclate alors entre gauche et droite d’un côté et entre région et État central de l’autre. Elle aboutit d’une certaine façon aux événements du mois de mars 2021, au cours desquels la présidente régionale de droite, Isabel Díaz Ayuso (Parti populaire), dissout le Parlement madrilène et appelle à de nouvelles élections pour obtenir une majorité plus confortable.
Un « miracle » sur le Manzanares?
La fin du confinement national marque le retour à la gestion de la santé publique par les communautés autonomes espagnoles, qui en ont la compétence exclusive depuis la fin des années 90.
C’est justement la stratégie mise en place par les autorités madrilènes qui interpelle aujourd’hui. Du Financial Times aux agences de presse allemandes en passant par les journaux espagnols, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur l’étrange « miracle » qui caractérise la cité du Manzanares et son aire urbaine après le 21 juin 2020 : les citoyens circulent librement jusqu’à 23h ; tous les commerces sont ouverts ; restaurants et bars fonctionnent malgré certaines restrictions ; musées, théâtres, cinémas, etc. continuent d’accueillir du public… et le coronavirus n’affecte pas davantage Madrid que d’autres communautés autonomes espagnoles. Mieux encore : alors que l’économie espagnole ne rebondit que de 0,4 % au dernier trimestre 2020 (après avoir subi un grave choc), la Communauté de Madrid croît de plus de 4 % sur la même période. Elle est d’ailleurs l’une des seules capables de créer de l’emploi.
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Certes, la région est celle qui affiche le plus grand nombre de cas de coronavirus au total (605 000 au 16 mars 2021) mais elle n’atteint « que » 213 décès par tranche de 100 000 habitants, moins que la Castille-La Manche, la Castille-et-León, l’Aragon et La Rioja – quatre régions qui ont largement paralysé leur activité. Isabel Díaz Ayuso insiste à de nombreuses reprises sur ce sujet, parfois pour mieux défier la gauche qui la presse de fermer la plupart des lieux publics : il s’agit de limiter le moins possible la liberté de se déplacer, d’acheter, de vendre, d’entreprendre, de se divertir – au fond, de vivre « normalement ».
Quelques pistes de réflexion
Mais comment la Communauté de Madrid obtient-elle des résultats économiques encourageants et affiche-t-elle en même temps des statistiques sanitaires moins inquiétantes qu’ailleurs en Espagne ?
La réponse n’emprunte rien au miracle que certains pointent et repose sur un ensemble de facteurs:
- Une grande réactivité politique, puisque Díaz Ayuso est, en février 2020, l’une des premières dirigeantes régionales espagnoles à demander au gouvernement central de prendre des mesures fermes contre le virus (mais aussi car elle prend acte des difficultés de l’exécutif de Pedro Sánchez à se fournir en masques et en matériel l’année dernière en ayant recours de façon efficace à ses propres réseaux de livraison) ;
- Une planification sanitaire qui la pousse à distribuer des masques FFP2 dès l’été 2020 (ce qui lui vaut les critiques de l’État central, avant que ce dernier ne se mette à en acheter lui aussi en 2021), à généraliser les tests rapides en pharmacie et à démocratiser précocement l’accès à la technologie antigénique ;
- La construction en un temps record (environ six mois) d’un centre de soin en dur, l’hôpital Isabel-Zendal, conspué par certains pour son coût et ses carences supposées mais qui permet d’absorber une large partie de l’onde de choc de la troisième vague de coronavirus ;
- La création de zonas básicas de salud (ZBS), qui facilitent la mise en œuvre de contrôles localisés (à l’échelle d’une commune ou d’un quartier lorsqu’ils sont très touchés par la maladie) sans confinement mais avec une surveillance spécifique ;
- Une campagne de vaccination massive dans des stades, des palais omnisports ou des salles de concerts afin d’accélérer la cadence en 2021 ;
- Plus globalement, une confiance accordée aux citoyens et à leur bon sens, le tout afin de ne pas bloquer l’activité sociale et économique.
Bien entendu, la vie n’est pas un long fleuve tranquille pour la Communauté de Madrid, secouée par la démission de plusieurs autorités sanitaires régionales et des scandales liés, par exemple, à la gestion des maisons de retraite durant la pandémie. Néanmoins, cette autonomie s’en sort globalement mieux que ses consœurs espagnoles. Elle attire même depuis fin 2020 de nombreux touristes français en quête de culture et de convivialité autour d’un verre ou d’un plat.
Entre temps, Isabel Díaz Ayuso (qui remet son poste en jeu le 4 mai prochain) a acquis l’image d’infatigable avocate des libertés individuelles, pour le pire et le meilleur. Elle se voit même acclamée et citée en exemple par les restaurateurs d’autres régions (comme la Catalogne), auprès desquels elle défend sa vision de la liberté en période de crise.
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