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Deux belles gueules, une histoire picarde

Édouard et Emmanuel, premiers temps


Deux belles gueules, une histoire picarde
Emmanuel Macron et Edouard Louis © Francois GRIVELET/Opale via Leemage – John Foley/Opale/Leemage.

Dans Deux jeunesses françaises, Hervé Algalarrondo retrace les enfances picardes d’Emmanuel Macron et d’Édouard Louis. L’histoire de deux ruptures avec les origines, de deux espoirs de monde nouveau. Et de deux culs-de-sac?


À la fin de Deux jeunesses françaises, Hervé Algalarrondo se définit comme « indéfectiblement social-démocrate » et confie avoir voté Macron en 2017, mais le regretter désormais, déçu par celui qu’il voyait réconcilier la France, et qui s’est conduit au bout du compte en « pompier pyromane », notamment depuis les Gilets jaunes, un Macron qui a fini par « morceler » le pays comme jamais. L’auteur serait donc sans doute surpris que l’on qualifie son livre de… barrésien.

Expliquons-nous : dans Deux jeunesses françaises, il suit les destins parallèles d’Édouard Louis, la star littéraire de l’extrême gauche intersectionnelle, et d’Emmanuel Macron, la star des start-up, adepte d’un ni gauche ni droite qui s’est terminé en ni gauche ni gauche. Quoi de commun entre ces deux hommes que quinze ans séparent, Édouard Louis naissant au début des années 1990 et Macron étant un enfant des Trente Glorieuses finissantes ?

Les deux hommes sont construits sur la transgression avec les codes propres à leur milieu

Je vous le donne en mille : un terroir et ce terroir, c’est la Picardie qui est le troisième personnage du récit documenté que nous donne Algalarrondo, lui-même Picard d’origine. Ce qui unit, pour l’auteur, l’actuel président et un de ses ennemis les plus acharnés, c’est cette région qui a toujours existé dans l’Histoire, dont la langue aurait très bien pu, au Moyen Âge, se substituer au français pour devenir la langue nationale. Mais c’est aussi une région dont la forte identité s’est dissoute administrativement, coincée entre Paris et le Nord-Pas-de-Calais avant de finir noyée dans les Hauts-de-France. Une région que les Rastignac en herbe ont toujours voulu fuir, plus qu’aucune autre, car elle n’offre, dans son mélange de terres agricoles et d’industries en déclin, que la beauté de ses rivages entre baie de Somme et baie d’Authie en passant par les falaises d’Ault et la mélancolie des innombrables cimetières militaires de la Somme.

Pour le reste, tout oppose Macron et Édouard Louis, depuis la petite enfance. Mais ce hasard géographique, pour Algalarrondo, permet de mettre habilement en perspective ce qu’en d’autres temps on appelait des destins de classe. Macron naît dans la bonne bourgeoisie amiénoise, fréquente l’enseignement privé dès la sixième, vit dans un monde protégé d’avenues calmes et patriciennes, celles du quartier d’Henriville, tandis qu’Édouard Louis, qui s’appelle encore Eddy Bellegueule, vit dans un village du Vimeu, enfant d’un milieu populaire. On pourrait, pour Deux jeunesses françaises, imaginer ainsi le célèbre générique d’Amicalement vôtre, à cette différence qu’Édouard Louis et Emmanuel Macron, contrairement à Dany Wilde et Lord Brett Sinclair, ne seront jamais amis, bien au contraire.

Pour les deux hommes, il s’agit d’abord d’échapper à des déterminismes différents, mais puissants. À Macron, la maison pleine de livres, la grand-mère institutrice qui a pour son petit-fils la certitude d’un destin hors pair et joue dans sa formation un rôle essentiel. À Édouard Louis, un entourage qui regarde comme un vilain petit canard ce garçon efféminé qui préfère le théâtre (comme Macron) au foot et baigne dans une famille qui écoute la télé 24 h/24 h pour oublier les fins de mois difficiles. Même si Algalarrondo montre, témoignages à l’appui, à quel point dans En finir avec Eddy Bellegueule, il a noirci le tableau et blessé sa propre famille, ses enseignants ou ses amis – encore un point commun avec Macron, plus surprenant, un même mépris pour les classes populaires.

Les deux hommes vont d’ailleurs se construire sur la transgression avec les codes propres à leur milieu. Cette transgression s’appellera Brigitte Trogneux pour Macron et Didier Eribon pour Édouard Louis. Louis, peu de temps avant ses 19 ans, rencontre Eribon alors qu’il est un moment maître-assistant à Amiens. Quand la famille Macron hâte l’exfiltration vers Paris du fils amoureux de sa professeure de théâtre plus âgée pour éviter le scandale, Édouard Louis trouve enfin en Eribon un mentor qui a connu un destin similaire au sien, l’homo en rupture avec son milieu d’origine, et qui va lui servir de guide, ce qui va aboutir très vite au trio vedette Édouard Louis-Lagasnerie-Eribon qui fait régner désormais un magistère féroce dans les milieux de la gauche radicale.

Tout l’intérêt de ces Deux jeunesses françaises est dans la manière dont Algalarrondo montre que le déracinement, autre thème barrésien, est un reniement nécessaire pour ces deux hommes qui incarnent aujourd’hui une assez peu sympathique modernité où le désir d’accomplir un destin ne se conjugue pas au désir d’émanciper les autres. C’est que, chacun à sa manière, les deux Picards veulent tracer les contours d’un nouvel ordre politique et moral, sans doute bien plus impitoyable que l’ancien.

Hervé Algalarrondo, Deux jeunesses françaises, Grasset, 2021.

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Mars 2021 – Causeur #88

Article extrait du Magazine Causeur




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