Accueil Culture L’art de la comédie douce-amère à la française

L’art de la comédie douce-amère à la française

Monsieur Papa, Trocadéro bleu citron, Clara et les chics types, Envoyez les violons



Sélection de quatre DVD avec Anémone, Isabelle Adjani, Nathalie Baye et Anny Duperey pour en finir avec l’hiver


C’était quoi la France au mitan des années 70 et 80 ? Je répondrais d’abord une teinte, oui, une couleur, sorte de rideau de pluie où la mélancolie se chamaille avec la comédie, une grisaille qui ne plomberait pas l’atmosphère, un fond d’incertitudes qui ne virerait pas à la neurasthénie, un voile pudique sur les sentiments d’alors. Nous avions trop peur de les déflorer. Nous gardions nos distances avec le malheur, sans angélisme, ni gourmandise. Tout le contraire de notre époque actuelle qui s’apitoie sur son sort avec une délectation sournoise. Les pleurnicheries modernes ont l’indécence des crises sanitaires, elles sont fourbes et tenaces, elles sapent le moral. 

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En ces temps bénis des chocs pétroliers, les réalisateurs avaient inventé un entre-deux, étroit couloir où le rire effleure l’émotion, où l’amour n’a pas besoin d’un zoom pour exister, où les acteurs ne geignent pas de douleur à l’écran, où la ville suinte d’un ennui serein, où les commerces ressemblent encore à des commerces et où les hommes ne sont pas encore des automates. Ces films légers en apparence ne forçaient pas l’intimité du spectateur au pied de biche. Le cinéma n’avait pas la volonté d’instrumentaliser ou de rééduquer. On savait divertir intelligemment et filmer avec tact. Il y avait une fraîcheur dans ces comédies désarticulées, une absence de moraline et surtout une forme de romantisme avancé, c’est-à-dire expurgé de toutes niaiseries mercantiles et cependant, laissant entrevoir un espoir raisonnable. On ne peut regarder ces films (parfois oubliés) sans avoir le cœur serré ou l’œil humide, sans avoir la certitude que nos sociétés ont, à un moment, vrillé dans le sordide. 

Claude Brasseur, été 77

Un peu désorientés et amers, nous nous rendons compte de ce que nous avons perdu en une quarantaine d’années, une forme de poésie de la routine, le sens du bavardage, un toucher de pellicule, une capitale terreuse aux murs noircis, la courtoisie de ne pas caricaturer les existences simples, de ne surtout pas salir la beauté d’un geste ou d’un élan. « Monsieur Papa » signé Philippe Monnier sort à l’été 1977. Cette adaptation du roman de Patrick Cauvin décrit le quotidien d’un père divorcé (Claude Brasseur), entre l’éducation de son jeune garçon et les difficiles accommodements avec une nouvelle compagne interprétée par Nathalie Baye. Cette comédie de mœurs a le charme désuet d’un trench-coat froissé, elle cabote sur les variations intimes d’un couple naissant et les ajustements de la vie familiale. 

Elle habille élégamment des personnages véritablement incarnés et parle si bien de cette lointaine époque où le travail, le zinc, l’école, les vacances n’étaient pas des prétextes à sociologiser nos comportements. Brasseur roule en Renault 30, Nathalie en Renault 5, ils quittent leurs arrondissements respectifs pour manger un plateau d’huîtres en Normandie, sur un coup de tête ; ils s’embrassent et se déchirent avec bienveillance. Ressort de ce film une sensation douce, celle d’un bonheur esquissé, avec une pointe d’aigreur sur un lit de bonté nostalgique. On se régale aussi de revoir l’exquise Catherine Lachens en robe du soir, le bourru Moustache et l’étrange André Valardy, ainsi qu’un Daniel Auteuil en apprenti-voleur des PMU. 

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Un an plus tard, en 1978, « Trocadéro bleu citron » de Michaël Shock nous amène sur les hauteurs du Trocadéro où deux gosses d’une dizaine d’années tombent amoureux et dévalent en skate-board. La joliesse du propos, sa maladresse convaincante et le parfum d’insouciance qui plane sur Paris, emportent le spectateur dans une rêverie. Anny Duperey, la mère célibataire du garçon a la souplesse et la force des mères d’avant. Le même désenchantement apprivoisé, elles faisaient face en pantalon ou en déshabillé, au volant d’une Mini ou d’un tout-terrain américain. Et puis quel plaisir d’assister aux dialogues du couple bourgeois formé par Henri Garcin et Martine Sarcey, leur dissonance réjouit.

Adjani: la reine Isabelle

L’arrivée de Mitterrand au pouvoir et l’avènement du Splendid concordent, à quelques mois près, avec « Clara et les chics types » de Jacques Monnet. Ce chef-d’œuvre scelle une rencontre impromptue entre des trentenaires paumés qui cherchent une lueur d’espoir dans leur malaise. De nos jours, le même thème serait martelé, matraqué, ridiculisé par la frénésie des idéologies. La justesse de leurs errements, la fin d’une jeunesse programmée et surtout Isabelle Adjani, la reine Isabelle, séduisent follement. Elle fut la madone de notre adolescence, elle n’avait comme personne d’autre, le sens du sacrifice et cette gaieté ébréchée en héritage. Avec des modèles d’une beauté aussi incandescente, nous ne pouvions sombrer dans la vulgarité. Ils étaient déjà tous parfaitement accordés, Clavier dans sa jalousie éreintante, Balasko en routière perdue ou Lhermitte en playboy fissuré. La comédie douce-amère à la française perdura jusqu’à la fin des années 80. On en trouve encore la trace en 1988 dans « Envoyez les violons » de Roger Andrieux où le couple Anconina et Anémone jouent au chat et à la souris. Anconina a la précision d’un Dustin Hoffman et Anémone, notre tragédienne des Eighties, illumine par ses fêlures et son sex-appeal. Fabienne Perineau, Michel Galabru et Martin Lamotte complétaient la distribution de cette dernière tentative de faire rimer comédie et profondeur, avant que les rieurs et les moralisateurs prennent définitivement la pose.

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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