Un récent volume propose un choix des lettres échangées entre Flaubert, l’oncle et Maupassant, le neveu. Apprentissage de l’existence, de l’écriture et croquis d’époque. Une lecture revigorante en haine de la bêtise.
« C’est à Flaubert que Maupassant devra sa tenue d’écrivain, son indépendance d’esprit, son mépris des honneurs » affirme Paul Morand dans sa Vie de Guy de Maupassant. La précieuse correspondance échangée sept ans durant entre ces deux misanthropes, le jeune Guy de Maupassant et Gustave Flaubert, illustre cette intuition. L’aîné signe « votre vieux solide » des missives au cadet taxé de « lubrique auteur » ou d’ « obscène jeune homme » qui témoignent d’une affection toute paternelle envers le fils de sa vieille amie Laure, qui se trouve aussi être le neveu d’Alfred Le Poittevin, son regretté ami de jeunesse qui lui fit découvrir Sade et Byron.
Prenez-garde à la tristesse, c’est un vice
L’aîné, Gustave, invite son cadet à déjeuner les dimanches de la belle saison et le comble de conseils littéraires ou stratégiques, d’exhortations au travail (« Un homme qui s’est institué artiste n’a plus le droit de vivre comme les autres »), de règles de vie (le fabuleux « Les honneurs déshonorent ; le titre dégrade ; la fonction abrutit », ou encore « Prenez garde à la tristesse. C’est un vice »).
De son côté, Maupassant sollicite l’appui de Flaubert pour accélérer son passage du Ministère de la Marine et des Colonies, où il périt d’ennui onze heures par jour, à celui de l’Instruction publique. Un moment inquiété pour « outrage aux mœurs » pour des vers licencieux, Maupassant demande aussi à Flaubert d’écrire en sa faveur dans la presse.
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Le jeune auteur joue alors le rôle de documentaliste pour le boulimique Flaubert (à propos des falaises d’Étretat entre autres, pendant la rédaction de Bouvard et Pécuchet) et d’intermédiaire avec ses éditeurs ou avec tel ministre pour une pension d’écrivain.
Sans tricherie, ni calcul
Tous deux communient dans le mépris de « la basse envie démocratique », de la bêtise humaine et des classes dirigeantes de leur temps (« noyer les beaux messieurs crétins avec les belles dames catins »). Le lecteur y décèle les premières traces du mal qui emportera Maupassant tout en assistant à ses premiers succès littéraires, quand sa nouvelle Boule de suif, qui lance Maupassant, émerveille le vieux Flaubert.
Entre ces deux génies existe une amitié, filiale ou paternelle, en tout cas d’une réelle profondeur : tous deux ont bien le cœur pris par l’autre, sans tricherie ni calculs.
Une magnifique correspondance, dont je livre cet aphorisme de Flaubert, pour la route : « La poésie, comme le soleil, met de l’or sur le fumier ».
Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, La terre a des limites, mais la bêtise humaine est infinie, Correspondance 1873-1880, Le Passeur.
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