L’éditorial de mars d’Elisabeth Lévy
La nouvelle a été accueillie par des cris de victoire des associations. La France va rattraper, enfin, un coupable retard. Non, il ne s’agit pas – pas encore – de la reconnaissance d’un troisième sexe (et de tous les autres), mais de la gratuité pour les étudiantes des protections périodiques, promise le 23 février par Frédérique Vidal pour la rentrée 2021. Depuis le temps qu’on attendait.
Peut-être la ministre a-t-elle été sommée de changer de sujet après une semaine de brouhaha sur l’islamo-gauchisme, au cours de laquelle on a appris que le problème n’était pas la chose et sa progression, mais le mot, qui froisse tous les bons esprits de la Macronie et d’ailleurs, très à cheval sur la précision sémantique. Le moindre solécisme en parlant les irrite, mais ils en font bien d’autres étranges en conduite.
Pour les nouvelles féministes, les productions corporelles comme les souffrances psychiques ont vocation à être montrées en place publique
Puisqu’il a été acté à la satisfaction générale que l’islamo-gauchisme n’existait pas (d’ailleurs, l’islamisme non plus, la preuve par Trappes), Frédérique Vidal peut se consacrer aux vrais problèmes et, au premier chef, à ce que la langue populaire appelle les « ragnagnas » et la langue victimaire la « précarité menstruelle », expression prouvant que nous tenons là une nouvelle perle enfilée sur le collier des injustices faites aux femmes. Toute différence y compris biologique devient une discrimination – à sens unique, car nul n’aurait l’idée de parler précarité pileuse pour les hommes condamnés au rasoir à vie. D’ailleurs, le premier privilège mâle est de pouvoir uriner debout, scandale auquel certaines chapelles féministoïdes entendent bien mettre fin en imposant à toutes-et-tous la position assise. En attendant qu’on intente un procès à Dame Nature et qu’on oblige les hommes à avoir leurs règles, il convient au moins de faire de celles-ci un sujet de pleurnicherie. Le vrai privilège masculin, c’est de ne pas être traité en victime.
Vérification faite sur le site d’un supermarché, les protections hygiéniques coûtent quatre euros par mois, soit moins de 50 par an, ce qui pour quarante ans, revient à 2 000 euros. On aimerait savoir où doit s’arrêter l’assistanat. Pourquoi ne pas financer les chaussures, tout aussi indispensables, ou la mousse à raser ? Perso, je préférerais qu’on me rembourse mes paires de bas, parce qu’à raison de quatre ou cinq par semaine entre octobre et avril, l’addition est salée.
Je vous entends d’ici. Tu badines parce que tu as la chance d’avoir du travail, mais la pauvreté étudiante, tu en fais quoi ? Surtout quand il n’y a plus de petits boulots ni de restau U, on aimerait t’y voir. D’accord, si notre système social laisse sur le carreau des étudiants désargentés et déprimés, qu’on leur accorde une aide d’urgence. Mais de grâce, qu’on nous épargne de savoir si elle sera convertie en nouilles, bières, sextoys (dont la vente explose, paraît-il) ou protections hygiéniques. Les fonctions naturelles n’ont rien de honteux, mais elles n’ont pas non plus à être un sujet de « pride » permanente. Pareil pour la sexualité. Je ne veux pas plus entendre parler de règles que de la main de X dans la culotte de Y – et ce n’est pas une clause de style, l’accusatrice de PPDA ayant cru bon de révéler les détails de l’attentat.
C’est sans doute le plus funeste renversement inventé par une époque qui en prodigue à foison. L’exhibition qui était naguère une transgression, une façon d’épater le bourgeois puritain, est devenue une vertu citoyenne – et, par la même occasion, la marque de fabrique d’un nouveau puritanisme qui, ne voyant le mal nulle part, finit par le débusquer partout. Rien n’est moins érotique, en effet, que cette mise à nu appelée transparence qui prive l’imaginaire de nourrissants mystères.
Désormais, rien de ce qui est intime ne doit être caché. Pour les nouvelles féministes, les productions corporelles comme les souffrances psychiques ont vocation à être montrées en place publique. Aussi évoquent-elles avec une gourmandise assez dégoûtante leurs flux et sécrétions, croyant faire preuve d’audace et de liberté d’esprit. Au demeurant, à en juger par la facilité avec laquelle la plupart des gens discourent sur leurs maladies à la télévision, elles sont loin d’être les seules.
S’agissant des souffrances psychiques, il faudra un jour demander des comptes à tous ces croisés de la « parole libérée », qui ont encouragé des victimes de violences sexuelles à se livrer à un déballage public qui, à terme, pourrait se révéler aussi douloureux que les violences elles-mêmes. Le malheureux étudiant qui s’est pendu dans sa chambre universitaire de Nanterre après avoir accusé deux élus communistes de viol avait abondamment libéré sa parole sur les réseaux sociaux. À l’évidence, cela ne l’a pas aidé. Paix à son âme et condoléances à ses proches.
Que ce soit volontairement que des individus, égarés par le désarroi ou l’air du temps, renoncent à leur droit à la vie privée ne rend pas la chose moins grave. Car demain, nous serons tous sommés d’exposer la nôtre. Or, comme le disait Malraux, « pour l’essentiel, l’homme est ce qu’il cache : un misérable petit tas de secrets ». Alors, qu’on nous laisse les conserver par-devers nous.
À tous ces apôtres du déballage, on rappellera donc que qui n’a rien à cacher n’a rien à montrer et surtout, qu’un peu de pudeur, de réserve, de quant-à-soi, est la condition du vivre-ensemble. Nous avons le droit de ne pas savoir ce qui se passe dans le lit et la salle de bains de nos contemporains. Le corps est encore une affaire privée.
P.-S. Les heureux abonnés de ce magazine ont eu la joie de recevoir, avec ce numéro, L’arnaque antiraciste expliquée à ma sœur, l’essai allègre et féroce dans lequel Cyril Bennasar répond à Rokhaya Diallo. Tous les nouveaux abonnés auront ce privilège. Mais n’hésitez pas à offrir à vos amis cet argumentaire implacable contre l’une des folies de l’époque. Ou un abonnement à Causeur.