Accueil Politique La lutte contre la pandémie est une chose trop grave pour être confiée aux médecins

La lutte contre la pandémie est une chose trop grave pour être confiée aux médecins

Emmanuel Macron n'écoute plus les médecins, certains enragent...



Un texte de Nicolas Leblond, maître de conférences de droit privé et Éric Desmons, professeur de droit public



Assiste-t-on à un coup d’État des personnels de santé ? À une tentative de putsch médical, malgré la résistance tardive du président de la République aux oukases du Conseil scientifique ?  Depuis la décision présidentielle, annoncée par le Premier ministre, de ne pas confiner la population française pour une troisième fois, l’offensive de certains médecins médiatiques dénonçant ce qu’ils estiment être une folie et réclamant urgemment un nouveau confinement a repris, justifiée désormais par l’objectif « zéro Covid ». Pourtant, les décideurs publics n’obtempèrent plus, ou en rechignant, et en jetant un œil inquiet sur une société civile à bout de nerfs. C’est même un dialogue de sourds qui semble s’instaurer. D’un côté les courtisans ébahis louent les lumières du chef de l’État (« un jour, il pourra briguer l’agrégation d’immunologie », s’extasie le président de l’Assemblée nationale). De l’autre on campe sur ses positions : la faculté, qui sait bien mieux que tout le monde, ne se laissera pas faire. On croirait entendre Céline dans sa thèse de doctorat en médecine sur l’hygiéniste Semmelweis : « Quant à répondre point par point aux arguments qui paraissent tous décisifs à nos détracteurs, il faut y renoncer, car nous ne parlons pas le même langage ». Le langage de l’épidémiologie n’est pas celui de la politique, mais il n’échappe à personne que certains médecins veulent s’en saisir.

Intubation d'un patient atteind par le coronavirus, septembre 2020, Marseille © Christophe SIMON / AFP.
Intubation d’un patient atteint par le coronavirus, Marseille, septembre 2020 © Christophe SIMON / AFP.

Les experts pestent de voir le pouvoir leur échapper

Pour appuyer leur revendication, les médecins qui sont partisans du reconfinement n’hésitent pas à convoquer l’argument d’autorité : la Vérité scientifique ne saurait mentir et ce confinement est nécessaire parce qu’il est inéluctable. Il serait en effet seul en mesure de contrecarrer l’épidémie (même si certains scientifiques comme le professeur Ioannidis ont pu montrer l’inefficacité de cette stratégie). Ces médecins prennent néanmoins la précaution de dire que la décision ne leur appartient pas et qu’évidemment, d’autres aspects doivent être pris en compte comme les questions économiques, sociales, psychologiques… Mais on ne peut s’empêcher de voir dans leurs réactions et revendications la frustration de ceux qui ayant eu le pouvoir et le voyant leur échapper, tentent de le récupérer. L’occasion leur est donnée de prétendre à un rang supérieur – ou jugé tel – à celui de simples techniciens de la santé.

La décision qu’ils réclament à cors et à cris met sous une lumière crue les rapports entre la médecine – et l’on pourrait dire la science en général – et l’art de gouverner, en période exceptionnelle. On observe à cette occasion non seulement une confusion entre les domaines de la politique et de la médecine, ce qui est normal jusqu’à un certain point si l’on s’en tient à l’objet sur lequel portent les décisions à prendre, mais qui l’est moins lorsqu’est invoquée l’autorité de la science pour imposer des choix stratégiques. Mutatis mutandis – et ce n’est pas pour rien qu’un temps le président de la République se plut à parler de guerre contre le virus -, on retrouve les problématiques qui se posent en temps de conflit, entre tactique et stratégie, autorité militaire et autorité civile : qui des militaires ou des civils doit arraisonner la direction politique de la guerre ? On connaît la réponse que fit Clemenceau pour réaffirmer la supériorité de l’autorité politique dans la conduite des opérations ainsi qu’une forme de séparation des pouvoirs, garante du fonctionnement démocratique des institutions : celle des experts et celle des politiques, de la supériorité de ces derniers, notamment parce qu’ils ont, normalement, à rendre compte des décisions qu’ils prennent. 

Le confinement réduit la vie à sa dimension biologique

Puisqu’il s’agit de politique, il convient d’identifier l’objectif que ces apôtres du confinement poursuivent. Bien sûr, de façon immédiate, ils affirment qu’ils veulent éviter à la fois des décès et la saturation du système de santé. Qui pourrait être contre un tel objectif ? En écoutant et en lisant ces médecins, on s’aperçoit qu’ils prennent pour modèle la Nouvelle-Zélande, l’Australie ou certains pays asiatiques qui eux, poursuivent explicitement l’objectif « 0 Covid ». Toutefois, outre que les pays pris en exemple sont des îles ou des pays moins soucieux des libertés que le nôtre, le SARS-Cov-2 appartient à la famille des coronavirus dont l’histoire a montré qu’ils sont endémiques. Il n’y a pas de raison qu’il en soit autrement du SARS-CoV-2. Dans ces conditions, le confinement et la stratégie « 0 covid » que ces médecins réclament apparaissent sous un autre jour : face à ce virus qui persistera, il faudra se résoudre à confiner sans cesse et à restreindre considérablement nos libertés les plus élémentaires. Loin d’un modèle humaniste, ces médecins proposent un projet social fondé sur la réduction de notre vie à sa dimension biologique. Certes, ces médecins disent du confinement qu’il n’est pas la solution et que celle-ci réside dans la vaccination. Mais dans le même temps, ils indiquent que la vaccination pourrait ne pas être efficace face aux nouveaux variants et qu’en conséquence, il faudra continuer à pratiquer ces fameux « gestes barrières », au premier rang desquels se situe la « distanciation sociale » et donc, le confinement. On comprend alors que si ces médecins réclament si fortement le confinement, c’est qu’il leur apparaît comme une panacée et un nouveau modèle social : celui d’un monde dépourvu de maladies et donc, de malades.

A lire aussi, Sophie de Menthon: Passeport vaccinal: une menace de plus pour notre liberté

Pour reprendre Michel Foucault, nous sommes arrivés à l’âge de la « bio-politique », celui où « le biologique se réfléchit dans le politique » : le pouvoir s’exerce désormais davantage sur des corps que l’on discipline que sur des sujets auxquels on commande ; il « prend en charge la vie », qui devient ainsi l’enjeu des luttes politiques et la valeur cardinale des sociétés contemporaines (d’où les enjeux considérables autour de la santé publique). Comme Hobbes l’avait parfaitement analysé au XVIIe siècle, la conservation de soi, au sens biologique du terme, est désormais la finalité du contrat social puisque la plus puissante des passions individuelles sur laquelle se construit la politique est la peur de la mort, ou le désir de se conserver en vie. Dans l’ordre des préoccupations, la vie nue prend le pas sur la vie qualifiée et le « vivre bien » se réfugie dans la bonne santé. Ce projet, pavé de bonnes intentions, apparaît comme une sorte d’extension de la politique du care – du « soin mutuel » – dont la science médicale révèlerait la loi naturelle, comme jadis les jurisconsultes le faisaient pour le droit. Mais il faut voir que ce que promet ce despotisme éclairé et hygiéniste n’est pas un projet émancipateur : on préconise en effet d’enfermer plutôt que libérer, de contrôler plutôt que d’émanciper. Hobbes prend le pas sur Rousseau, en somme. Et, pour s’en inquiéter, l’on pourrait ici plagier ce dernier : on peut vivre en bonne santé dans un cachot, mais « en est-ce assez pour s’y trouver bien ? ».

Un précautionnisme bourgeois ?

Ce modèle, par l’ampleur de ce qu’il modifierait dans nos vies, doit être assumé pour être discuté, et l’argument d’autorité complètement évacué. Cela est d’autant plus nécessaire que les mois qui viennent de s’écouler l’ont montré : la vérité scientifique n’existe pas et la politique des experts est toujours partielle, voire partiale. Or, on peut justement déceler un jeu de pouvoir dans la posture adoptée par ces médecins : certains, souvent les plus médiatisés, ne renoncent pas à faire croire que leur science permet de trouver « la » solution à la pandémie qui nous menace. Il y a à n’en pas douter un réflexe corporatiste dans cet appel au confinement face à un pouvoir qui par ses décisions, essaie de ménager les autres aspects de la vie sociale et économique. Pour faire passer le remède, ces médecins « confinistes » jouent sur la corde de l’émotion et de la peur pour rendre légitime la mesure qu’ils préconisent : c’est que des gens meurent, ce que personne ne contestera – dans quelles proportions, il est en vérité difficile de l’évaluer, malgré les décomptes officiels quotidiens dont le moindre des effets est d’entretenir un climat d’angoisse permanente. 

Mais si les décès dus au covid sont insupportables à ces médecins, comme ils aiment à le dire, quels sont ceux qui, à leurs yeux, sont au contraire supportables ? Quelle est finalement, d’après eux, la bonne façon de mourir ? On en vient même à s’interroger sur le caractère tout simplement acceptable de la mort pour ces médecins. Cette volonté de confiner à tout prix révèle en creux une peur de la vie et de ses risques, en même temps que le rêve d’une société enfin domestiquée, au sens profond du terme. C’est ce que le philosophe Matthew Crawford nomme le « précautionnisme », à savoir « la détermination à éliminer tout risque de la vie, […] sensibilité nettement bourgeoise ». Caricature pourront répondre ces médecins. Possible… Mais s’ils ne veulent pas qu’on leur prête ces mauvaises intentions, qu’ils tombent enfin le masque ! Et qu’ils méditent encore Céline, toujours dans sa thèse de médecine : « L’heure trop triste vient toujours où le Bonheur, cette confiance absurde et superbe dans la vie, fait place à la Vérité dans le cœur humain »

Semmelweis

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