Le 12 septembre, Manuel Valls affirmait : « S’attaquer à une religion, c’est s’attaquer à la République ». La veille, une mosquée de Limoges avait retrouvé ses portes souillées d’excréments.
Le 14 septembre 2012, le même Manuel Valls sortait d’un entretien avec Monseigneur Barbarin et déclarait au sujet du mariage homosexuel : « L’opinion est mûre et favorable à cela, nous parlons là de mariage civil, il s’agit là d’une évolution majeure pour la société, c’est un engagement du président de la République. Personne ne doit se sentir atteint dans sa conviction. Cette loi s’imposera à tous ».
Entre les quarante-huit heures qui séparent ces deux faits, un incroyable bouillonnement de mensonge s’est déchaîné sous le ciel de France.
Le premier mensonge est assez facile à débusquer : il est de l’ordre de la vérité historique. Sachant ce que la République inflige à la religion depuis 1789, il est scandaleux d’entendre Valls claironner que « S’attaquer à une religion, c’est s’attaquer à la République ». Les républicains sont les grands champions du massacre de religieux, par la chair et par l’esprit. En France, mais aussi au Mexique, en Espagne ou en Russie, le bilan est extrêmement lourd dans les paroisses et les monastères qui ont vu passer la République. La répression antireligieuse qui s’abat aujourd’hui très durement sur le christianisme possède une nature idéologique diffuse et insidieuse qui nous baigne dans l’idée que les cathos sont ringards, coincés, pédophiles, responsables de l’épidémie de Sida en Afrique, etc. Bref, tout cela entretient soigneusement un discrédit malhonnête sur l’Église.
Ce qui est assez amusant, c’est qu’aucun Mélenchon ni aucun Poutou ne s’est levé pour signaler l’erreur de Valls. Moi, si j’étais un bon Mélenchon, j’aurais sauté sur l’occasion pour bouffer du Valls ; j’aurai dit quelque chose du genre « Cet âne de Monsieur Valls prétend que s’attaquer à une religion c’est s’attaquer à la République, or je rappelle tout de même à ce monsieur à cravate crème que, justement, la grandeur de la République repose sur des fondements qui sont, non pas la superstition archaïque telle qu’on l’admettait sous l’Ancien Régime, mais la Raison, les Lumières, n’est-ce pas ! Et il est donc du devoir naturel de la République de chasser la religion et les religieux, de s’opposer le plus fermement possible à leur obscurantisme ! Monsieur Valls fait des effets de moulinets pour noyer le poisson et détourner les citoyens de la vraie question qui est celle des inégalités. » Mais je ne suis pas Mélenchon.
Le second mensonge est beaucoup plus subtil : Valls affirme qu’il est d’une certaine façon indigne que la République s’attaque à une religion ; or, en faisant la promotion du mariage homosexuel, il s’attaque clairement à un fondement chrétien majeur de notre société.
La subtilité de ce mensonge n’est pas évidente pour tout le monde, car la République, en s’appropriant les lois du mariage pour déshabiller l’Eglise et se revêtir de ses effets, s’escrime à faire oublier le véritable propriétaire du mariage monogame, hétérosexuel, fidèle, à secours mutuel des conjoints dans l’épreuve, à consentement libre et bilatéral, devant témoins, à but d’éducation responsable et exclusive de sa progéniture, et consigné dans un registre sous l’autorité d’un officier qui rend l’acte social, public, et historique. Parce que le détenteur de ce copyright-là, c’est tout simplement l’Église. Priés de croire qu’ils vivent dans un système universel infiniment supérieur à tous les autres régimes, notamment grâce à l’invention de la laïcité, les Français se se rendent absolument plus compte que le mariage civil est la photocopie en noir et blanc d’une institution profondément chrétienne.
Pourquoi cet oubli ? Parce que l’Église a mangé son chapeau en se pliant devant la République. La communauté musulmane de France pratique de façon régulière le mariage religieux hors de tout mariage civil, ce que, docilement, l’Église catholique ne commet pas par goût de l’honnêteté et refus petit-bourgeois du scandale. Je ne dis pas que les musulmans ont raison, mais il est clair qu’ils ont beaucoup moins l’intention de se laisser déposséder de leurs coutumes et de leurs convictions que ne l’ont consenti les chrétiens depuis ces deux derniers siècles.
Si le mariage homosexuel est sur le point d’être instauré, je crois que la faute en revient hélas largement à l’Eglise elle-même, et ce pour deux raisons majeures :
1. L’Église a adopté le discours sentimentaliste et romantique du « mariage d’amour » au lieu d’invoquer des devoirs moraux et anthropologiques de bien plus grande ampleur. Puisque seul l’amour fonde le mariage, alors toutes les unions sont légitimes. Philippe Muray annonçait la tombée du tabou de l’inceste, nous nous y dirigeons à très grands pas. Je vous rappelle qu’en 2012, nous voyons des femmes porter les enfants de leur propre fille, c’est à dire la semence de leur beau-fils, au nom de l’altruisme et de l’amour. Et les gens ne voient pas où est le problème, puisque c’est par amour.
2. L’Église a accepté de donner des pans entiers de son manteau à Marianne, estimant naïvement que le Bien Commun français porterait pour l’éternité des vertus chrétiennes qui ne se perdraient pas en route. Ce qui s’est avéré totalement illusoire. Il est d’ailleurs complètement hallucinant d’entendre des prêtres célébrer des mariages en mentionnant les vertus du mariage civil par lequel les jeunes époux sont passés avant de se retrouver devant l’autel. Cette attitude me fait immédiatement penser à un pauvre homme exproprié de son palais, et qui se mettrait à chanter les louanges de celui qui l’a mis dehors à coups de pieds au cul et qui s’acharne maintenant à fondre tous les ors et à brûler tous les lambris. Une sorte de syndrome de Stockholm, en somme, à tel point qu’on entend tous les dimanches des prêtres vous enseigner le programme du Parti Socialiste en guise d’homélie.
Monseigneur Barbarin a évoqué récemment la possibilité de passer outre le mariage civil pour marier les couples chrétiens, je crois qu’il a infiniment raison, mais je crois surtout qu’il n’aurait jamais dû en être autrement ! Voilà des années que j’annonce, la mort dans l’âme, le retour des chrétiens aux catacombes ; cette perspective se rapproche à très grands pas. Si je me réjouirai que l’Église prenne des décisions couillues en bravant une République trop longtemps endurée, je redoute en contrepartie une nouvelle scission des chrétiens qui ferait de la France une sorte de République Populaire de Chine, avec d’un côté les fidèles au Pape, prêts à la clandestinité, et de l’autre côté les fidèles à une Eglise du Gouvernement, officielle et bien-pensante. Nous ne sommes pas sortis de l’auberge.
Pour en revenir au caca répandu sur la porte des mosquées, on se demande vraiment à qui profite le trafic de la stigmatisation quand on fait le compte des profanations quotidiennes qui ont lieu sur les sites chrétiens. Sûrement pas à Sainte Catherine de Sienne, en tout cas.
*Dessin : Jossot.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !