Une des grandes dames du roman noir aurait eu cent ans. L’occasion de voir qu’elle a toujours dépassé les frontières du genre pour se révéler un écrivain majeur.
À l’occasion du centenaire de la naissance de Patricia Highsmith (1921-1995), les éditions Calmann-Lévy republient Ripley entre deux eaux. Ce roman, sorti en 1991, est le cinquième et dernier tome de la série des Ripley, du nom de son personnage central, incarné au cinéma notamment par Alain Delon dans le film Plein soleil de René Clément. Depuis quelques années, Ripley entre deux eaux était devenu introuvable, car il ne figurait pas dans le volume de chez « Bouquins », qui ne comprend que les quatre premiers titres. C’est donc une excellente chose de disposer désormais de tous les Ripley qui sont autant de grands classiques à relire.
Séduction flottante
Les romans de Patricia Highsmith étaient davantage que des polars, en réalité des œuvres littéraires complexes à part entière. Avec Tom Ripley, elle a créé un héros fascinant, dont l’ambiguïté se glisse sans complexe dans les anfractuosités de l’existence humaine. Ripley utilise sa séduction flottante dans un combat de tous les instants pour survivre.
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Le volume le plus extraordinaire est à ce titre le premier, Monsieur Ripley (1955), qui tire parti de l’identité incertaine du personnage. Le film de René Clément arrivait à le faire sentir de manière paroxystique, lors de la scène de la banque, lorsque Delon, jouant de sa ressemblance avec son ami, essaie de retirer de l’argent en son nom.
Entre Amérique et vieille Europe
Chez Patricia Highsmith, il y a toujours une morale, derrière le cynisme apparent. Ripley, par exemple, n’aime pas du tout la mafia. Il voudrait vivre en bon père de famille, à Fontainebleau, en compagnie de sa femme Héloïse. Est-ce cette tranquillité qu’il recherche vraiment ? Lorsqu’il a l’occasion de revenir aux Etats-Unis, il se dit avec nostalgie qu’il n’aurait jamais dû en partir. À cheval entre Amérique et vieille Europe, comme Patricia Highsmith elle-même, Tom Ripley ne s’affirme jamais d’un bloc parmi les apparences qui s’offrent à lui. Dans Ripley entre deux eaux, venant à bout d’une sombre histoire de tableaux et de maître chanteur, il tire à nouveau parti de son absence d’identité, de son invisibilité, pourrait-on dire, sans qu’un tel dénouement, pourtant positif, ne vienne ajouter quelque chose à ce mécanisme humain.
La vérité sur Tom Ripley
J’ai entendu dire que Patricia Highsmith avait, après ce cinquième tome, le projet d’en écrire un dernier, dans lequel elle aurait fait mourir Ripley. Elle n’en aura pas eu le temps, et c’est peut-être mieux ainsi. Le mystère propre au personnage de Ripley ne se serait sans doute pas accommodé d’une fin si radicale. Il nous reste le loisir de nous replonger dans cette petite saga, pour découvrir la « vérité » sur Tom Ripley – une tentative similaire, si l’on veut, à celle de Kafka poursuivant « la vérité sur Sancho Panza »…
Ripley entre deux eaux, Patricia Highsmith. Éd. Calmann-Lévy.
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