Le billet du vaurien
Rien n’est plus simple, ni plus naturel que de mourir. Certains paniquent à l’idée qu’ils vont quitter la scène. D’autres voient dans la mort une remise de peine. Mais elle permettra à chacun de rompre avec la monotonie du quotidien. Voilà qui est au moins à porter à son crédit. C’est ce que je me disais en lisant la première page d’un texte prémonitoire de mon cher Stefan Zweig : L’uniformisation du monde, publié en édition bilingue par les éditions Allia. Outre son intérêt intrinsèque, il présente un double avantage. Son prix d’abord : 3 Euros. Et son nombre de pages : 43. Ce qui est bref et bon est deux fois bon : on ne le répétera jamais assez.
La monotonie du monde
En 1926, voici ce qu’écrit Stefan Zweig : « Malgré tout le bonheur que m’a procuré, à titre personnel, chaque voyage entrepris ces dernières années, une impression tenace s’est imprimée dans mon esprit : une horreur silencieuse devant la monotonie du monde. » Tout est dit. Celui qui n’a pas ressenti cela vient sans doute d’une planète étrangère et je crains fort de n’avoir pas grand-chose à lui dire. Je le laisserai donc s’émerveiller tout en étant excédé – mais je n’en laisserai rien paraître – par la joie qu’il éprouve à découvrir partout et toujours du neuf, là où je ne vois qu’une morne répétition.
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Il est vrai qu’il y a chez nos contemporains, comme l’écrit encore Zweig, un appétit féroce pour la monotonie, appétit conforté par la mondialisation. Paradoxalement, lui qui fut et qui reste un des auteurs les plus lus dans le monde entier, avait le sentiment que tout ce qu’il écrivait n’était qu’un bout de papier lancé contre un ouragan. « À vrai dire, note-t-il encore, au moment où l’humanité s’ennuie toujours davantage et devient de plus en plus monotone, il ne lui arrive rien d’autre que ce qu’elle désire au plus profond d’elle-même. »
La fuite en nous-mêmes
La plupart des humains n’ont pas conscience d’être devenus des particules. Ils se jettent dans l’esclavage et tout appel à l’individualisme n’est qu’arrogance et prétention. Il ne nous reste qu’un recours, un unique recours : la fuite, la fuite en nous-même. Ne se révélera-t-elle pas, elle aussi, vaine, comme en témoigne le suicide de Stefan Zweig, après une ultime partie d’échecs. L’appel des ténèbres, si typiquement viennois, ne l’a pas épargné. Nul ne peut dire s’il faut s’en réjouir ou le déplorer.
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