L’éditorial de février d’Elisabeth Lévy
J’ignore à quelle sauce nous sommes claquemurés à l’heure où vous lisez ces lignes – confinera, confinera pas, semi-confinera, chacune de ces hypothèses a été, à un moment ou à un autre, présentée comme une certitude. Mais la seule certitude, c’est qu’on aura droit aux ausweis et aux 135 boules. Il est peu probable que l’exécutif soit parvenu à faire fléchir le corps médical et à arracher à son inflexibilité sanitaire quelques concessions à la vie. Le 26 janvier, le Premier ministre a déclaré, dans son outrageant sabir d’énarque, qu’il « prioriserait » toujours la santé. La santé contre la vie ? Soyons rassurés, nous mourrons guéris.
Tout au long du mois de janvier, scientifiques et politiques se sont livré une guerre à la fois tonitruante et feutrée, tonitruante parce qu’elle se déroule à coups de déclarations choc sur les plateaux de télévision, feutrée parce que tout le monde feint de ne pas la voir. Entre le gouvernement et ses conseillers scientifiques, le « vous en êtes un autre » est de rigueur. N’empêche, quand le Pr Delfraissy réclame que l’on interdise ceci et que l’on ferme cela, on se demande qui gouverne la France. Il serait abusif de parler d’un coup d’État médical, car dans cette crise sanitaire, les politiques, tétanisés par les comptes qu’ils auront à rendre, ont renoncé au pouvoir. Les médecins n’ont eu qu’à le prendre.
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Ces derniers ne sont pas les seuls à mettre au défi les institutions représentatives. Dans le fascinant entretien qu’il a accordé à Jeremy Stubbs (page 21-23), Christopher Caldwell montre comment, aux États-Unis, la législation sur les droits civiques de 1964 est devenue, au fil des décisions de justice, une crypto-constitution qui supplante le texte sacré des Pères fondateurs et soumet toute la vie publique aux exigences des minorités.
Un processus comparable est à l’œuvre en France où des forces extra-parlementaires fomentent des putschs à bas bruit, sapant l’armature juridique invisible qui soutient notre société et disputant leurs prérogatives aux gouvernements issus des urnes.
Nombre de ces attentats à l’équilibre des pouvoirs sont à mettre au compte des « autorités administratives indépendantes », dont le nom en forme d’oxymore résume l’ambiguïté diabolique. Dépourvues de toute légitimité et ne procédant que d’elles-mêmes une fois nommées, elles ont la faculté d’affecter significativement nos vies, nos libertés et nos imaginaires. Investi d’un pouvoir de police du PAF, le CSA décide de ce que nous devons voir et entendre pour notre édification morale. À cette fin, il compte inlassablement, comme les Shadoks pompaient : les femmes, les handicapés, les transgenres, les Noirs, les gros, les Arabes, bref, tous les racisés et/ou discriminés, dont il conclut invariablement qu’ils ne sont pas assez nombreux sur nos écrans.
Le Défenseur des droits est tout aussi nuisible, et tout aussi acquis aux lubies minoritaires. C’est en réalité, le défenseur de la France McDo – venez comme vous êtes. Son dernier exploit est d’avoir soutenu, fin décembre, le port du burkini, sur saisine du CCIF, association dissoute le 2 décembre pour cause de séparatisme. En somme, un bras armé de l’État met en œuvre le programme d’une association déclarée hors-la-loi par ce même État. Ma main droite vote une loi pour défendre la République, ma main gauche encourage ses adversaires. Ce n’est plus du grand écart, mais de la schizophrénie.
Ce n’est pas tout. Transformées en machines de guerre, toujours au service de la même idéologie différentialiste et multiculti, des associations antiracistes et anti-discriminations en tout genre parviennent également à faire plier à leur profit l’ordre constitutionnel. Investies du droit d’aller en justice et ne se privant pas de l’exercer, elles font de tout contentieux individuel l’étendard de leur cause, érigeant par la jurisprudence des interdits et prescriptions qui dessinent une nouvelle prophylaxie sociale.
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Or, grâce à la loi de modernisation de la Justice votée en 2016, ces associations ont la faculté de lancer des actions collectives pour obliger le gouvernement à mettre en œuvre telle ou telle politique. En 2019, quatre organisations de défense de l’environnement ont assigné le gouvernement pour « inaction climatique ». Le 27 janvier, six ONG ont mis le gouvernement français en demeure de faire cesser dans les quatre mois « les contrôles d’identité discriminatoires, pratique stigmatisante, humiliante et dégradante pour toutes les personnes qui en sont victimes en France ». Faute de quoi elles saisiront un juge pour qu’il enjoigne l’État de procéder à des réformes. Elles réclament une modification du Code de procédure pénale, l’établissement d’un récépissé lors des contrôles et la création d’un mécanisme de plainte indépendant : rien de moins en somme, que la mainmise sur notre politique policière. On peut toujours rêver que le gouvernement les enverra sur les roses.
Il n’est pas anodin que les plaignantes soient de grandes boutiques internationales qui carburent au post-national et défendent le droit à tout des individus-rois contre les États, même démocratiques. Il y a notamment Amnesty International, qui pense que les droits de l’homme sont plus menacés en France qu’au Soudan, et la Fondation Soros, où l’on tient pour raciste notre interdiction du voile islamique à l’école. Or, les voilà qui prétendent exercer un droit de regard sur l’action de nos forces de l’ordre. De quoi je me mêle ? À ce compte-là, on préfère encore que la politique de la France se fasse à la corbeille.
P.-S. À compter de ce mois, l’avant-dernière page du journal sera la galerie du photographe Antoine Schneck qui publiera dans chaque numéro le portrait d’un intellectuel. Qu’il soit le bienvenu. Bien avant que l’actualité ne nous impose une « une » sur l’affaire Finkielkraut, nous avions décidé d’inaugurer cette série avec notre « maître à penser par nous-mêmes » (formule de Cyril Bennasar).