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Trois Likoud pour le prix d’un !


Trois Likoud pour le prix d’un !

Au lendemain d’élections à suspense en Israël, chacun, calculette en main, s’est mis à échafauder les possibles coalitions. Reste qu’à se focaliser sur l’arithmétique électorale sous régime de proportionnelle intégrale, on passe à côté de l’essentiel qui est le bouleversement du paysage politique. Des urnes ont en effet émergé une droite constituée de trois Likoud : l’AOC, le Likoud-Canal historique de Netanyahu est flanquée à sa gauche du Likoud centriste de Tzipi Livni et à sa droite d’une variante poutiniste dirigée par Lieberman. La plupart des commentateurs se sont focalisés sur la percée du parti de Lieberman – qui semble occuper pour eux la même place que Le Pen dans le paysage français, celle d’une extrême droite infréquentable. En vérité, la droite israélienne est aujourd’hui plus forte, certes, mais elle est aussi plus diverse, plus pragmatique et surtout – et c’est la grande nouveauté – plus laïque. Et quoi qu’en pensent les amateurs d’indignation bon marché, c’est peut-être une excellente nouvelle.

Si, au milieu des années 1990, vous aviez été invité par le vieux Likoud à boire un verre pour le nouvel an, vous auriez sans doute croisé les trois vainqueurs d’hier soir. Bibi le chef, Lieberman (« Yvette »), son bras droit, directeur général et Tzipi (Livni) en « princesse[1. Dans le Likoud, les princes et princesses sont les enfants de résistants et des compagnons de route de la première heure de Menahem Begin.] » remarquée, grimpant l’échelle qui devait l’amener en 1999 à la Knesset comme député du Likoud. Ces trois-là recueillent aujourd’hui presque 60 % des suffrages. Ils incarnent aussi la mutation de la droite israélienne – une mutation qui ne se résume pas à une radicalisation.

Kadima, le Likoud canal centriste, a remporté un succès relatif. Arrivée en tête, Livni a passé avec brio son baptême du feu politique, surtout si l’on pense aux sondages des derniers jours de la campagne qui donnaient Netanyahu en première position. Le succès de la droite dure sinon extrême ne change rien au fait que le projet politique du centre est en position… centrale. Comme l’avait compris Haïm Ramon, père aujourd’hui presque oublié de la théorie du « big bang politique », les travaillistes n’ont plus de base électorale, sans doute parce que boboïsés comme leurs homologues français et européens, ils ont abandonné les couches populaires à leur sort et à la droite. L’Israël de Tel-Aviv a peut-être trouvé dans Kadima sa formule politique : compromis avec les Palestiniens sur la base des frontières de 1967 et libéralisme économique, le tout assaisonné d’un zeste de solidarité.

Quant à Liebermann qui a tout pour jouer le méchant de l’affaire, il renoue avec le nationalisme laïque. Il ne croit qu’à la force mais s’abstient d’invoquer le droit biblique. C’est un émule de Poutine plus que d’Ahmadinejad – et après tout, on a le droit de préférer le premier au second. Le succès de Liebermann marque une rupture dans l’évolution de la droite israélienne depuis la victoire du Likoud vers son aile national-religieuse. Begin et les parents d’Ehud Olmert et de Tzipi Livni étaient peut-être des genres de maurassiens, ils ont tenté de capter à leur profit la capacité de mobilisation des religieux. Leurs enfants n’ont pas grand-chose en commun avec les religieux qui ont monopolisé la droite nationale, l’emmenant dans la voie sans issue de la colonisation. Begin a toujours préféré reculer que de combattre ses frères ennemis sionistes, même quand il était en désaccord profond avec eux. La droite religieuse post-1977 a, elle, enfanté Igal Amir, assassin de Rabin.

Quand on connait la musique politique israélienne, on entend vaguement, derrière le discours odieux de Lieberman, les accents d’une droite politique et culturelle que l’on pensait disparue et qui croit, comme Theodore Herzl, que la place des rabbins est dans les synagogues plutôt qu’au Parlement et qui croit aussi que la paix civile vaut des territoires. Dans un entretien donné à Haaretz, il y a deux ans, Lieberman a revendiqué ouvertement cet héritage en rappelant la maxime de Begin : l’unité nationale a la priorité sur l’intégralité de la patrie. Autrement dit, s’il faut choisir entre la guerre civile ou le renoncement à la Cisjordanie, Lieberman optera quoi qu’il en ait pour la deuxième option. Il ne faut pas oublier non plus que sa base militante est formée d’immigrés russophones, plutôt méfiants vis-à-vis de la version rabbinique du judaïsme. Pour ses électeurs, bouffeurs de jambon et de rabbins, les questions d’état-civil (mariage et enterrement civils), du transport public le samedi et du service militaire pour les ultra-orthodoxes sont d’une importance majeure. Quant à Lieberman, il n’a jamais caché que pour lui, la question des frontières relève de la sécurité et de la géostratégie plutôt que de l’idéologie ou de la religion, ce qui fait de lui un compagnon de route difficilement fréquentable pour la droite religieuse et le noyau dur des colons.

Tout cela, diriez-vous, est une maigre consolation pour demain matin, et vous aurez raison. Mais pour après-demain, ce qui vient de se passer dans les urnes pourrait changer la donne. La perte d’influence des partis religieux continuera à désacraliser donc à politiser la question des frontières. Et si vous n’êtes toujours pas convaincus ne vous faites pas de souci : au train où vont les choses, les prochaines élections ne devraient pas tarder.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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