L’auteur du Grand Remplacement et de tweets cinglants est poursuivi pour injure raciale par des associatifs qui n’ont jamais lu ses livres. Selon lui, s’il est proscrit, c’est pour voir et dire que le changement démographique détruit la culture et la civilisation des Européens d’Europe. Entretien (2/2)
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Causeur. Au-delà de votre cas, et de vos ennuis judiciaires, la liberté d’expression est menacée par les censeurs en tout genre et encadrée par des lois protégeant les réclamations mémorielles des diverses communautés. On peut trouver cela insupportable, mais fallait-il laisser les négationnistes répandre l’idée que la Shoah était une invention des juifs ?
Bien sûr que non, il ne le fallait pas. Il ne le faut pas. Mais ce n’est pas la compétence de la loi. Je suis hostile à toutes les lois mémorielles, estimant qu’une vérité, si rigoureuse soit-elle, n’est plus tout à fait une vérité s’il est interdit de la contester, quitte à se ridiculiser ou se déshonorer ce faisant. La liberté d’expression dans la France de 2020 n’est absolument pas menacée : la liberté d’expression dans la France de 2020 n’existe pas. Nous vivons sous le régime du négationnisme de masse, puisque le phénomène de loin le plus important de notre société, à savoir le changement de peuple et de civilisation, le génocide à l’homme, la destruction des Européens d’Europe par submersion migratoire, y fait l’objet d’un tabou absolu. Cette occultation est si radicale que c’est le réel lui-même, la réalité du réel, qui est ébranlé, mis hors la loi ; et que nous vivons dans ce que je nomme le faussel, le faux réel, le règne du faux – un monde imaginaire, aussi imaginaire que les habits neufs de l’empereur, sur lesquels tout le monde s’extasie. Il faut noter à cet égard que le faux est consubstantiel au remplacisme global, puisque celui-ci est le règne de la substitution, de la copie, du fac-similé, du simili, de la simulation généralisée : l’Âge de l’ersatz, du makeshift, bien repéré dès la fin du xixe siècle par William Morris ; ou si vous préférez du simulacre, pour parler comme Baudrillard.
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Vous exagérez ! Sur la question migratoire, comme sur l’islam, on peut dire beaucoup de choses qui étaient juste imprononçables il y a quelques années. Et par ailleurs, nous avons toujours la même controverse. Vous parlez de phénomènes qui résultent de millions de décisions comme d’entreprises organisées !
Ah, si vous estimez que la liberté d’expression fait de considérables progrès en France, je ne puis que vous envier cette plaisante conviction. Quant à notre controverse, vous m’attribuez la foi en des entreprises organisées, au pluriel, et non pas à une entreprise organisée. C’est assez juste. Je crois en effet en les décisions de milliers d’entreprises organisées, multinationales, fonds de pension, GAFA, tous les instruments, avec les banques, les médias, la publicité, de mécanismes, ou, si vous voulez, d’une machination, au sens littéral et heideggérien du terme, d’un devenir machine, qui les dépasse et les englobe comme elle nous englobe tous, nous broie, et nous dépouille de l’humaine condition.
Pour Charlie Hebdo et les caricatures, notre pays ne défend-il pas une position courageuse et singulière dans notre monde globalisé ?
Charlie Hebdo n’est en rien hostile au remplacisme global, il est bien normal qu’il fasse l’objet des attentions du pouvoir remplaciste. Remplacisme et islamisme ne sont pas une seule et même force. Ce sont deux totalitarismes rivaux : provisoirement alliés, certes, mais fondamentalement rivaux, comme le nazisme et le communisme au temps du pacte germano-soviétique.
Cher Renaud, vous ne pouvez pas avoir une unique grille de lecture de tout : remplaciste ou pas ! Charlie Hebdo s’oppose à l’islamisation et au rétablissement du blasphème, ce n’est pas rien !
Ah, si, là, désolé, j’ai une unique grille de lecture de tout, et ça c’est une théorie, contrairement au Grand Remplacement. Je crois au remplacisme global, qui reconnaît en le remplacement le geste fondamental et universel des sociétés post-post-industrielles. Je crois même au remplacisme global davocratique, c’est-à-dire à la gestion managériale du parc humain par « Davos », terme par lequel je désigne, d’après le nom de son congrès annuel en Suisse, de son Nuremberg helvétique, la conception purement économiste, financière et numérique, et matriculaire du monde. On dirait aussi bien la gouvernance par les nombres, pour parler comme Olivier Rey, Alain Supiot, Jean Vioulac ou Johann Chapoutot.
Le remplacement affecte aussi bien les hommes que les peuples, les corps que les âmes, les matières que les produits, les objets que les sols
Pour vous, le remplacisme est un phénomène global. Mais vous lui cherchez des coupables alors qu’il agit sur les cerveaux. Si on le considère comme une idéologie plus que comme une entreprise, il prospère sur la débâcle de l’esprit voltairien.
Ce n’est pas seulement notre esprit voltairien qui est menacé par le remplacisme : c’est l’esprit en général, ce sont les forces de l’esprit, et c’est l’humanité de l’homme. C’est l’espèce, c’est sa présence sur la Terre, c’est la Terre elle-même. Le remplacement affecte aussi bien les hommes que les peuples, les corps que les âmes, les matières que les produits, les objets que les sols. L’artificialisation est un autre de ses noms. Mais enfin, pour s’en tenir précisément à votre question, il est certain qu’une représentation du Mahomet de Voltaire ne semble pas tout à fait à l’ordre du jour, et qu’une statue de ce grand homme a déjà été mise au placard, significativement.
Pardon, mais dans cette acception fort large, le remplacisme n’est-il pas l’autre nom du Progrès qui, avant d’être une machine à éradiquer la pensée livre, a été le fruit des belles inventions de l’esprit humain ? Galilée a remplacé tous les défenseurs de la Terre plate. L’alternative au remplacisme, c’est l’immobilisme…
Oh, tous les remplacements ne sont pas mauvais. Quand on n’a plus de cœur, j’imagine qu’on est bien content de trouver un cœur artificiel, ou celui d’un autre. D’ailleurs, ce n’est presque jamais le mal qui triomphe du bien, mais un autre bien de qualité inférieure, une imitation de bien, et qui a pour lui les médias, dont je ne sais s’ils sont une des branches de la publicité, ou l’inverse. Le so-called « politiquement correct » n’est rien d’autre que la recette industrielle de la MHI, du Nutella humain, du nutelhom. L’alternative au remplacisme n’est pas l’immobilisme, c’est l’âme, c’est la durée, c’est l’inscription dans le temps, la voix des morts, l’autre rive, la transmission, la culture, la création.
Le concept central de ma réflexion est celui d’in-nocence, de non-nocence, de non-nuisance, de non-violence
On vous accuse d’avoir inspiré le tueur de Christchurch. Cela vous attriste-t-il ?
Cela m’attriste, certes, mais cela m’indigne bien davantage encore. C’est la preuve absolue que ceux qui formulent cette accusation, et que d’ailleurs je poursuis en justice en la personne de Mme Marlène Schiappa, la ministre, n’ont jamais lu une ligne de moi et n’ont pas la moindre idée de mes écrits et de mes vues. Le concept central de ma réflexion est celui d’in-nocence, de non-nocence, de non-nuisance, de non-violence : vous pensez comme j’ai pu inspirer le tueur de Christchurch ! L’expression « Grand Remplacement », sans doute parce que, hélas, elle est juste, est aujourd’hui répandue dans le monde entier. On apprenait cette semaine même qu’Emmanuel Macron, figure paradigmatique du remplacisme global et de la davocratie, l’employait couramment. Le tueur de Christchurch l’a rencontrée pendant son séjour en Europe, ou peut-être avant. Elle lui a semblé juste parce qu’elle l’est. Il n’a pas poussé plus loin ses investigations, il est probable qu’il ne connaît même pas mon nom, qu’il ne cite nulle part, et il est certain qu’il n’a jamais lu une ligne de moi, serait-ce seulement parce que Le Grand Remplacement, le livre, n’est pas traduit en anglais. Il y a d’ailleurs une preuve éclatante qu’il ne m’a pas lu, ou que, si par miracle il m’avait lu, il n’est pas influencé par moi, c’est qu’il a procédé à un massacre. Il a écrit une brochure nommée « The Great Replacement », qu’il avait sur lui au moment de son crime, et que Mme Schiappa confond avec mon livre. J’ai eu la curiosité de jeter un coup d’œil à cette plaquette, et il y est fort visible que les vues de ce monsieur sont fort éloignées des miennes. Par exemple, il est un très ardent nataliste. Le « tweet banquise » prouve suffisamment que je ne le suis pas et, si je ne le suis pas, ce n’est pas seulement pour l’Afrique, mais pour l’Europe aussi bien, la Terre, la Terre entière, la pauvre Terre en son ensemble, qui n’en peut plus de l’homme.
Dernière question pour ceux qui ne vous connaissent pas. Parmi votre importante production, quel livre conseilleriez-vous en priorité à un néophyte ? Duquel êtes-vous le plus fier d’un point de vue littéraire ?
Pour donner un tel conseil, encore faudrait-il que je connusse le néophyte en question, sa formation, ses curiosités, ses goûts. Mais s’il ne craignait pas d’aborder le massif par une face un peu abrupte, je lui désignerais sans doute Du Sens, qui est en quelque sorte, pour la réflexion politique et… comment dirais-je… « philosophique », avec beaucoup de guillemets, mon « laboratoire central ».
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Quant au livre dont je serais le plus fier, non, je n’y songe pas en ces termes-là. En revanche, il y a dans mon abondante production des ouvrages avec lesquels j’ai de meilleurs rapports qu’avec d’autres, sans doute parce que j’ai l’impression d’y avoir dit à peu près ce que je voulais dire, et comme je voulais le dire. Je m’entends par exemple assez bien avec Éloge du paraître, avec Vie du chien Horla, ou bien avec Vaisseaux brûlés, l’hypertexte, sans doute parce qu’il s’agit d’un chantier si vaste et si complexe qu’on y trouve tout et son contraire : toutes les orientations, toutes les ombres, toutes les lumières – something for everyone.
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