Si Jérôme Leroy se félicite qu’on n’entende plus désormais Donald Trump, il craint qu’avec la censure 2.0 mise en place par les Gafa on ne gagne pas forcément au change.
Donald Trump, au cours des quatre ans de sa présidence, a publié 59 553 tweets. Je vous laisse faire la division pour trouver la moyenne quotidienne mais c’est tout de même de l’ordre de l’addiction chez lui, comme le golf et la junk food. Quand il a convoqué ses fans le jour du 6 janvier, pour manifester à Washington et protester contre la certification des résultats de l’élection par le Congrès, cela a été par Twitter. On a vu le résultat.
Chauffés à blanc
Le gratin de l’ultradroite américaine constituée de charmants individus partisans du suprématisme blanc et des théories conspirationnistes de Q-Anon, était au rendez-vous. Avec de beaux drapeaux confédérés et des t-shirts célébrant Auschwitz, ils ont envahi le Capitole. Un genre de 6 février 34 à l’américaine à cette différence que les émeutiers du 6 février 34 n’étaient pas chauffés à blanc par le chef de l’État ou du gouvernement.
En France, dans la sphère médiatique qui va de l’extrême-droite à la gauche qui n’est plus de gauche, on a parfois risqué la comparaison avec les Gilets jaunes. À droite, pour dire, que c’était le peuple en colère et dans la gauche qui n’est plus de gauche pour discréditer un authentique mouvement de protestation contre la misère. On voit que ça ne tient pas. On peut ne pas être partisan de Trump et dire que les nazillons à l’assaut du Capitole n’étaient pas représentatifs de ses 74 millions d’électeurs. Et que ces dangereux excités n’étaient pas là pour protester contre la crise économique mais beaucoup plus simplement pour nier les résultats d’une défaite sans appel encore aggravée par Trump lui-même dont le déni halluciné a permis l’élection de deux sénateurs démocrates en Géorgie, ce qui revient à imaginer Arlette Laguiller élue maire de Neuilly.
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Trump vaporisé
Après ces événements qui ont tout de même fait cinq morts, Twitter et son PDG, Jack Dorsey, ont tout simplement suspendu le compte de Donald Trump. On pourrait y voir une illustration de la phrase prononcée dans l’évangile selon Mathieu par Jésus, le soir de son arrestation quand il frappe un serviteur qui s’apprête à le défendre contre les soldats romains : « Qui a vécu par l’épée périra par l’épée ». Trump a vécu par et pour Twitter, et c’est Twitter qui le fait disparaître comme disparaissent les personnages d’Orwell dans 1984 : en le « vaporisant ». On notera pour l’histoire que le dernier des 59 553 tweets de Trump était pour dire, mais on s’en doutait un peu, qu’il n’assisterait pas à la cérémonie d’investiture de Biden.
Totalitarisme invisible
Il y a pourtant quelque chose de gênant, et même un peu plus que ça, dans la décision du réseau social : c’est qu’une entreprise privée dispose d’une telle puissance. Réduire au silence un individu, même aussi dangereux que Trump, inquiète. Trump appartenait finalement à une tradition hélas ancienne, celle des chefs d’État habités par une pulsion autoritaire. Ne plus l’entendre est un soulagement pour la raison et la décence.
Prenons garde cependant à ce que cet autoritarisme vintage de Trump, qui n’a pas réussi malgré tout à renverser les institutions américaines, ne soit pas remplacé par un totalitarisme invisible, celui du capitalisme des GAFA, qui décideront qui peut parler et qui ne le peut pas, sans rendre de comptes à personne.
Remplacer Ubu par Big Brother, pas sûr que la démocratie y gagne au change.
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