Accueil Édition Abonné Décembre 2020 Jean-Loup Bonnamy: « Le problème n’est pas l’autoritarisme, mais les mauvaises décisions »

Jean-Loup Bonnamy: « Le problème n’est pas l’autoritarisme, mais les mauvaises décisions »

Entretien avec Jean-Loup Bonnamy


Jean-Loup Bonnamy: « Le problème n’est pas l’autoritarisme, mais les mauvaises décisions »
Jean-Loup Bonnamy. © Capture d'écran Front Populaire

Pour cet agrégé de philosophie, gouvernants et gouvernés ont surréagi par rapport à la réalité de la menace. Le résultat, c’est que, pour défendre les plus fragiles, on les a abandonnés. Reste à savoir si nous serons capables d’apprendre de nos erreurs. Propos recueillis par Elisabeth Lévy.


Causeur. Vous parlez d’une « psychose qui fait dérailler le monde ». Vous n’allez pas dire que cette épidémie n’existe pas.

Jean-Loup Bonnamy. Je vous rassure tout de suite. L’épidémie est bien réelle. Et elle pose un très grave problème de santé publique, notamment à cause de l’engorgement des hôpitaux.     De plus, je n’adhère absolument pas aux discours complotistes. Je pense que le virus, bien loin d’avoir été inventé dans je ne sais quel laboratoire, est une création de la Nature, tous comme les autres virus, bactéries et bacilles qui sont à l’origine des milliers d’épidémies que l’humanité a déjà affrontées. C’est d’ailleurs cette naturalité de l’épidémie qui me rend sceptique envers les procédés artificiels comme le confinement. Si je devais résumer ma position, je me qualifierais donc de « critique, mais pas barjo ».

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Cependant, le remède (le confinement) semble pire que le mal (le Covid-19). Nous sommes en pleine surréaction. L’épidémie est grave, mais n’a rien d’apocalyptique : elle a tué 1,4 million de personnes dans le monde, mais il meurt 60 millions de personnes chaque année. Tous les ans, le cancer fait 9 millions de morts. Idem pour la faim ! (Il suffit donc de 50 jours à la faim pour atteindre le bilan du Covid.) Les broncho-pneumopathies obstructives font, elles, 3 millions de morts chaque année.
De plus, la mortalité du Covid est bien inférieure à 0,5 %. Sur le Charles de Gaulle, le plus grand navire de guerre de la marine française, 1 046 marins ont été contaminés : aucun n’est mort. En France, 50 % des morts du Covid ont plus de 84 ans. La moyenne d’âge est de 81 ans, ce qui correspond à l’espérance de vie. Sur 45 000 morts français du Covid, seuls 28 avaient moins de 30 ans et l’écrasante majorité de ces 28 malheureux était en fait atteinte aussi d’autres pathologies très lourdes. Les démographes de l’INED ont calculé que le Covid-19 ne nous ferait perdre qu’un mois et demi d’espérance de vie. Était-il nécessaire de mettre le pays à l’arrêt, d’empêcher les proches de voir les cadavres des défunts, de suspendre les libertés publiques, de saccager l’économie et le tissu social pour une maladie aussi peu létale ? Je ne le pense pas. Notre réponse est disproportionnée.

En tout cas, la psychose frappe autant les gouvernants que les gouvernés, on peut même dire que celle des seconds répond à celle des premiers. N’est-ce pas un signe de civilisation de refuser d’abandonner à leur sort les fameux plus fragiles, qui sont aussi les moins actifs ?

Premièrement, dans votre question, vous faites comme s’il était certain que le confinement soit la solution la plus efficace sur le plan sanitaire pour lutter contre le Covid. Or, cela n’a rien d’évident. Avec un confinement moins long et moins strict, mais en s’appuyant bien davantage sur ses médecins de ville, en dépistant massivement et en soignant précocement, l’Allemagne a cinq fois moins de morts par habitant que la France.

Protection anti-Covid intégrale pour ce client d'un marchand de fruits et légumes, Paris, 23 avril 2020. © Karine Pierre / Hans Lucas / AFP
Protection anti-Covid intégrale pour ce client d’un marchand de fruits et légumes, Paris, 23 avril 2020. © Karine Pierre / Hans Lucas / AFP

Deuxièmement, les plus fragiles, sous prétexte de les protéger du Covid, ont bien été abandonnés. Regardez ce qui s’est passé dans les Ehpad au printemps : des personnes âgées séquestrées dans leur chambre, abandonnées et privées des soins les plus élémentaires.

Troisièmement, l’effort du confinement risque de provoquer des drames humains bien pires que le Covid. Le premier confinement a jeté un million de personnes en plus dans la pauvreté. Le nombre de bénéficiaires de la soupe populaire a bondi de 30 %. Les problèmes d’addiction, de violences conjugales et de dépression ont explosé. La crise économique et son impact sur les finances publiques vont encore appauvrir notre système hospitalier. C’est donc bien vers une société moins civilisée, plus violente, plus barbare que nous mène le confinement. 

Il est vrai que l’héroïsme a déserté nos sociétés. Faut-il regretter qu’on ne nous demande plus de mourir pour la patrie ?

Le recul des valeurs traditionnelles nous affaiblit face à nos ennemis, qui, eux, n’ont pas baissé les bras. Comment une société qui récuse toute forme d’héroïsme ou de courage, qui se calfeutre pour une maladie fort peu létale, pourra-t-elle faire face à des djihadistes prêts à tuer et à mourir ? Comment un État devenu une super-nounou obèse, juste bon à distribuer des aides sociales, empêtré dans sa lourdeur bureaucratique, peut-il encore bâtir une stratégie à long terme ?

Beaucoup de gens critiquent l’autoritarisme du gouvernement. N’est-ce pas plutôt son indécision et sa peur qui sont problématiques ?

Oui, le problème n’est pas tant l’autoritarisme des décisions que le fait qu’elles soient mauvaises, chaotiques et incohérentes. Mais les deux se tiennent : le gouvernement réprime, car il craint que sa fébrilité, son indécision, ses incohérences rendent ses choix difficilement acceptables.

Cela dit, quand on est au pouvoir, il y a des raisons d’avoir peur. Être accusé d’être responsable de la mort de gens, c’est déjà insupportable politiquement et moralement. Mais si on y ajoute le fameux risque pénal, cela devient carrément insupportable.

Certes, la tâche du pouvoir est aujourd’hui difficile. Mais elle l’a toujours été. Cette difficulté ne doit pas empêcher de garder ses nerfs. Par exemple, Olivier Véran a perdu son calme en pleine Assemblée nationale. Or, on n’a jamais vu le Général de Gaulle se mettre dans des états pareils, alors que la Seconde Guerre mondiale était bien plus stressante que la crise du Covid-19.

À lire aussi, Elisabeth Lévy: Peur sur l’État

Ce qui complique la tâche de nos gouvernants actuels est le fait qu’ils doivent gérer leur risque juridique, dans une époque dominée par « l’envie du pénal », selon l’expression de Philippe Muray. L’excès de volonté de punir inhibe l’action et empêche les retours d’expérience approfondis. Comment Édouard Philippe peut-il parler sincèrement devant une commission parlementaire (ce qu’il devrait pourtant faire afin que nous comprenions les erreurs du passé pour ne plus les commettre à nouveau), alors qu’il sait que tout ce qu’il dit pourra être retenu contre lui ? Comme l’analyse le sociologue Christian Morel, la non-punition des erreurs est un élément fondamental pour éviter les décisions absurdes.

Alors qu’on assiste à un défilé permanent de corporations plaintives, et qui ont des raisons de l’être, comment définir l’intérêt général ?

Il faut nous libérer de la dictature de l’émotion. Prenons enfin des décisions rationnelles sur la base d’un bilan global coûts/avantages. L’intérêt général, c’est ce qui va dans le sens d’un renforcement du pays, de son économie, de son système de santé, de sa sécurité, de sa puissance dans le monde à moyen et long terme.

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Décembre 2020 – Causeur #85

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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