Le projet de vente par la Région Bourgogne Franche-Comté de l’abbaye de Pontigny dans le département de l’Yonne a provoqué un début de polémique. Fallait-il privilégier le projet de la fondation François Schneider prévoyant, en plus d’activités touristiques et culturelles, un complexe hôtelier haut de gamme (finalement choisi) aux dépens du projet de la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre?
N’ayant pas eu accès aux dossiers, nous ne réglerons pas la question, mais cet événement est l’occasion de revenir sur une question qui fait l’actualité depuis plusieurs mois: la restauration du patrimoine. Nous avons interrogé Guillaume Ull, architecte du patrimoine qui travaille depuis de nombreuses années dans la restauration du patrimoine historique et qui, en 2019, a racheté avec son compagnon l’Abbaye de Chéhéry dans les Ardennes.
Causeur. La région Bourgogne Franche-Comté vient de valider la vente du domaine de l’abbaye de Pontigny à la fondation Schneider pour la somme de 1,8 million d’euros. On a appris à cette occasion que l’entretien du monument par la collectivité coûtait 200 000 euros par an! Finalement vendre de tels monuments historiques au privé n’est-il pas, au vu des charges pesant déjà sur les comptes publics, le meilleur moyen de les sauvegarder ?
Guillaume ULL. C’est une question de société : aujourd’hui le ministère de la Culture consacre trois cents millions d’euros par an à la restauration du patrimoine sur les trois milliards d’euros de son budget (hors plan de relance qui consacre un budget supplémentaire sans précédent pour l’année 2021). La protection d’un bâtiment au titre des Monuments historiques est une décision émanant de l’État qui implique des investissements de sa part. Mais avec un tel budget, il n’est pas toujours en mesure d’assumer les contraintes financières qu’il s’est pourtant lui-même créées.
Cela dit, l’État ne peut pas tout et ne sait pas tout faire et on ne peut pas considérer que cette politique ne fonctionne pas, car chaque année de nombreuses opérations de restaurations se montent partout sur le territoire. Cette politique n’est juste pas suffisante. L’initiative privée a tout à fait sa place dans le processus, étant plus à même de mener des projets dont l’aspect économique est primordial au regard des coûts d’entretien très importants et des investissements nécessaires.
Dans le cadre d’un projet de restauration et de valorisation d’une telle abbaye cistercienne, quelles seraient, selon vous, les actions à mener, les écueils à éviter?
L’objectif de tout projet de restauration est la conservation des bâtiments afin de garantir leur pérennité dans le temps et de les transmettre aux générations futures dans de bonnes conditions. Le parc des Monuments Historiques français est immense et très varié, chaque bâtiment appelle donc une réflexion spécifique, en fonction de sa nature, aussi bien en termes de restauration que de valorisation.
Un programme hôtelier peut être une réponse économique pour garantir le bon entretien et donc la pérennité du monument dans le temps
Par exemple, une église paroissiale reste encore aujourd’hui dans la plupart des cas un édifice cultuel et est restaurée comme telle. Tout programme doit être construit en tenant compte de la nature, de l’histoire, des espaces, de la fonction d’origine du monument (entre autres). Il n’y aurait rien de pire que de chercher à faire rentrer une fonction prédéfinie dans un monument sans réflexion profonde de ce type. Ce serait sa dénaturation à coup sûr. En résumé c’est le programme qui doit s’adapter au monument et non le monument qui doit s’adapter au programme.
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Au-delà de la question du programme, le patrimoine fait partie de notre bien commun. Il doit donc, selon moi, être ouvert le plus largement au public, ce qui ne s’oppose pas à un développement économique. C’est une question d’équilibre à trouver. Si de nombreux monuments publics sont souvent des musées ou développent des programmes à visée culturelle, c’est parce que les institutions les financent. L’aspect économique n’est pas primordial dans ce cas. Cela donne simplement l’avantage d’être très ouvert et éducatif. Cependant, certains aspects du monument ne seront pas mis en avant, aspects que des propriétaires privés seront plus susceptibles d’assumer parce qu’ils poursuivent, en autre, une certaine rentabilité économique. Ainsi, dans le cas d’une abbaye, un projet économique tourné autour de la production, comme on essaye de le faire à l’Abbaye de Chéhéry, est très cohérent car ces édifices cultuels étaient aussi d’immenses domaines de production qui assuraient d’importants revenus aux communautés. Les enjeux de notre époque sur l’origine et la qualité des produits alimentaires sont devenus centraux. Quoi donc de mieux que de redonner à une abbaye une de ses fonctions premières, et de la présenter ainsi telle qu’elle fonctionnait à l’origine ?
Enfin, pour les programmes culturels qui restent très fréquents, là aussi la créativité doit rester de mise. Pour ma part je milite pour des activités et manifestations très variées de manière à ne pas exclusivement toucher un public d’initiés. Le patrimoine appartient d’une certaine manière à tout le monde. C’est encore une fois une question de cohérence et d’équilibre à trouver.
Le projet retenu pour l’instant par la région est centré sur un complexe hôtelier. Finalement, le fait que le monument soit classé au titre des monuments historiques ne garantit-il pas à lui seul, du fait des règles qui s’imposent aux propriétaires, que le projet soit respectueux du monument et de son histoire ?
Le classement au titre des Monuments Historiques est un statut particulier qui interdit la démolition de tout ou partie du monument. Il soumet également un propriétaire au droit de regard des institutions culturelles qui évaluent le projet afin que celui-ci soit respectueux des bâtiments. Cela ne veut pas dire qu’aucun aménagement, transformation, voire extension n’est possible mais il devra se soumettre à l’avis des institutions, être conçu et évalué en partenariat avec elles. Si certains projets sont très réussis, d’autres sont préjudiciables à l’authenticité du monument, et ce malgré ces garde-fous. Un système n’est jamais parfait, mais il fonctionne globalement plutôt bien dans notre pays. Si nous avons tous en tête certaines destructions traumatisantes ou certains monuments très transformés, c’est aussi une question d’époque. Ces mutilations, sans dire qu’elles n’existent plus, se font de plus en plus rares aujourd’hui.
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Pour complètement répondre à la question, un programme hôtelier est très courant dans ce genre d’édifice. Il peut être une réponse économique pour garantir le bon entretien et donc la pérennité du monument dans le temps. Il est ensuite difficile de préjuger du résultat. Un programme d’hôtellerie est très lourd en termes de normes, très formaté selon qu’on vise telle ou telle clientèle. Il peut donc s’avérer très destructif pour l’authenticité d’un bâtiment. Même si l’aspect final est très qualitatif, c’est souvent au prix de lourdes interventions et d’éléments refaits à l’identique.
Dans la mesure où la France rurale rencontre de grandes difficultés économiques et semble s’éloigner de la France des métropoles, n’a-t-elle pas finalement besoin de grands projets économiquement ambitieux pour remonter la pente ? Et dans ce cadre, ne peut-on pas un peu « violer l’histoire (ou le patrimoine) pour faire de beaux enfants » ?
La chance avec le patrimoine c’est qu’il est présent partout, dans les villes comme dans les campagnes voire dans des lieux extrêmement isolés. C’est donc un formidable vecteur de projets. Il y a là encore un véritable potentiel de développement économique rural de toutes les échelles. Ces monuments appartiennent en grande majorité à des privés, ils tiennent donc une partie de ce potentiel entre leurs mains, d’autant que les possibilités et aides de la part des institutions sont parfois très importantes aussi bien pour les travaux de conservation et de restauration que pour les investissements nécessaires au montage d’un projet économique. Beaucoup de projets se développent depuis quelques années et l’on voit fleurir de plus en plus de projets intéressants, multiples et variés.
Rien ne nécessite donc d’être violé, car comme je l’expliquais, un monument est une chose complexe et tout programme est envisageable mais cela dépendra de son caractère, de la qualité du projet et de sa mise en œuvre.
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