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Le bruit et la fureur en deuil


Le bruit et la fureur en deuil

La génération punk atteindra t-elle l’âge de la retraite ? Après Joey Ramone, Dominique Laboubée ou Joe Strummer (et j’en passe beaucoup), Lux Interior est mort le 4 février à 62 ans, des suites d’une maladie cardiaque. C’était bien la peine d’échapper au suicide ou à l’overdose…

Lux était le chanteur des Cramps, OGM issu du croisement entre le rock n’roll le plus pur et le grand guignol, entre Eddy Cochran et Alice Cooper. Les Cramps ont émergé à la fin des années 1970, dans le joyeux bordel de la scène underground new-yorkaise, aux côtés des Ramones, de Patti Smith ou Television. Leur marque de fabrique était l’absence de guitare basse, la batterie minimaliste et la folie furieuse.

Lux Interior sur scène, c’est très exactement comme si Nosferatu venait de s’emparer du micro pour mettre à nu l’âme du rock n’roll, la dégager, comme disait Althusser à propos d’autres choses, de sa gangue d’inessentiel. A l’arrivée: une prestation hallucinante et hallucinée, à faire passer Iggy Pop pour un végétarien sous Xanax. Qui a assisté à un concert des Cramps sait qu’il s’agissait d’un moment pas forcément agréable où planait un vrai doute sur la santé mentale des musiciens mais aussi du public. Un petit tour sur Youtube permettra à chacun d’en prendre la mesure, en visionnant leur version de Tear it up du Johnny Burnette Trio ou les images glaçantes de leur concert de 1978 dans un hôpital psychiatrique de Californie.

Mais attention, Lux Interior et son épouse-guitariste, Poison Ivy, étaient avant tout des intellos new-yorkais pur jus. Lux était un collectionneur : d’obscurs singles rockabilly du fin fond des Appalaches, d’affiches de films érotiques de série Z, de lingerie fétichiste. Il aimait le cinéma d’horreur, les trains fantômes et toute la face obscure de la sous-culture américaine des années 1940 à 1960, celle qu’a exhumée et réhabilitée Tim Burton.

Comme de nombreux rockers américains décalés (Alan Vega, Johnny Thunders, Stiv Bators, Willy DeVille), comme Jim Jarmusch et Woody Allen, les Cramps avaient beaucoup plus de succès en Europe, et spécialement en France, que dans leur propre pays. Le fantastique album de 1986 A date with Elvis se vendit à 250 000 exemplaires sur le vieux continent avant de trouver une compagnie US qui accepte de le sortir.

A la différence de tant d’autres, les Cramps ne se sont jamais séparés. Atypiques jusqu’au bout, ils n’ont fini ni dans les hit-parades ni dans les arrière-salles de bistrots. Ils ont gardé le cap et maintenu le style, le faisant juste évoluer au fil des découvertes dans les cinémathèques et les bacs de disquaires. Ils ont su apprivoiser la technique et même tourné quelques clips d’anthologie (avec une mention spéciale pour Bikini girls with machine guns).

Contrairement au cliché musical le plus répandu depuis la première guitare d’Elvis, ils étaient bien meilleurs à la fin qu’à leurs débuts héroïques au CBGB. Leur disparition posera un sérieux problème à la jeune génération : ce qui vient de disparaître, c’est la dernière occasion de voir sur scène un authentique groupe de rock n’roll. Je croyais qu’à part moi tout le monde avait oublié les Cramps. Mais depuis trois jours, mon téléphone n’arrête pas de sonner, et tout le monde me dit la même chose.

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