Il en est de l’apprentissage cinéphilique comme de l’éducation sentimentale : on croit longtemps défendre ses propres opinions alors qu’il ne s’agit que d’idées reçues, et ce n’est qu’à l’occasion de rencontres inattendues que l’on parvient enfin à délivrer son regard. Voici donc dix films atypiques qui s’opposent à l’idée que l’on se fait ordinairement du cinéma français. Oubliés ou méprisés, ils démontrent qu’il existe en France, en dehors de la comédie poussive, du mauvais décalque hollywoodien et de l’auto-parodie parisianiste, un cinéma irrévérencieux et poétique. Comme l’affirme le critique Michel Marmin, « il n’existe pas de genre mineur, de petits ou de grands maîtres, mais des maîtres tout court »[1. Entretien dans La Revue du Cinéma n°2, 2006.]. Le cinéma français n’est pas celui que vous croyez.[access capability= »lire_inedits »]
La Nuit la plus longue, de José Bénazéraf (1964). Alliant de manière unique violence et sensualité, ce film conte les mésaventures d’une jeune femme séquestrée par une bande de malfrats. Les inventions cinématographiques les plus singulières s’y succèdent, témoignant du fait que Bénazéraf, auteur de quantité de bandes pornographiques dans les années 1960 à 1980, n’en était pas moins un cinéaste audacieux. Totalement méprisé par la critique de son temps, il œuvrait à une époque où le corps féminin n’était pas encore une marchandise comme les autres. De ce fait, sa représentation demeurait un sujet d’émerveillement et de trouble, donc de cinéma. (K-Films)
La Prisonnière, d’Henri-Georges Clouzot (1968). Dernier film du cinéaste, il fut très mal reçu, mais apparaît aujourd’hui comme une œuvre majeure qui, comme le dit Nabe « plantait un grand couteau en gros plan dans le ventre déjà bedonnant de l’avant-garde »[2. « Clouzot est un génie », in L’Imbécile de Paris n°3, 1992.]. Entre érotomanie et transports amoureux dans le milieu frelaté du pop-art, ce film, à la fois géométrique et fiévreux, traite de la place du regard, celui qu’on accepte sur soi comme celui qu’on ose sur autrui. Avec la très belle Élisabeth Wiener. (Studio Canal)
Solo, de Jean-Pierre Mocky (1969). Née de l’amère déception du cinéaste dans l’après Mai-68, cette course-poursuite entre des terroristes et la police, qui annonce d’une certaine façon Action directe et les Brigades rouges, est sans doute l’un de ses films les plus aboutis, polar poignant auquel un découpage exceptionnel confère un rythme haletant. (Pathé)
La Rose de fer, de Jean Rollin (1973). Joyau surréaliste d’un cinéaste encore aujourd’hui considéré comme une sorte d’Ed Wood vaguement lubrique, dont les films tournés avec des bouts de chandelle recèlent de précieux moments de grâce, tout particulièrement dans ce huis-clos onirique se déroulant entre tombes et caveaux, où l’on se permet de déclamer du Tristan Corbière. (LCJ Éditions)
Un Enfant dans la foule, de Gérard Blain (1976). Dans ce film d’apprentissage bouleversant qui raconte le quotidien d’un jeune adolescent durant l’Occupation, le cinéaste fait preuve, autant dans la conduite de son récit que dans sa mise en scène, d’une rigueur qu’on peut sans crainte qualifier de bressonienne. Il fuit le pathos, sans pourtant rien édulcorer des souffrances de cet enfant que sans doute il fut. (Éklipse vidéo)
Marie-Poupée, de Joël Séria (1976). Peu de films français grand public peuvent se flatter d’avoir autant dérangé que le truculent Galettes de Pont-Aven dont il est l’auteur, mais Séria fut aussi un cinéaste mélancolique et disert sur les rapports de domination, sexuelle et sociale. Ainsi, dans l’étrange Marie-Poupée, une jeune femme rencontre un vendeur de poupées qui souhaite faire d’elle son jouet, de manière littérale. Toujours aussi subversif près de quarante ans plus tard. (René Château)
Paradis pour tous, d’Alain Jessua (1982). Il a bien existé un cinéma politique en France : les fables d’Alain Jessua, « maître du fantastique social », selon la juste appellation de Jérôme Leroy. Des Chiens à Traitement de choc, Jessua a toujours réussi à rendre confondants de réalisme ses récits d’anticipation, traitant de la déshumanisation comme corollaire à l’efficacité des sociétés capitalistes. Dédié à Patrick Dewaere, qui se suicidera peu avant la sortie en salles, ce film, qui relate la transformation d’un homme en citoyen modèle à la suite d’un traitement, est l’un de ses plus noirs, illustrant, comme peu avant lui l’avaient fait, la fabrique des monstres modernes. (Studio Canal)
Pola X, de Léos Carax (1999). Subtile adaptation du Pierre ou les Ambiguïtés de Herman Melville, le film s’avère également un autoportrait sans concession du cinéaste, confirmant qu’on ne réussit vraiment à transposer qu’en s’exposant. Carax est bien l’un des tout derniers poètes d’un cinéma devenu la proie des sociologues et des publicitaires. (Lancaster)
Le Deuxième souffle, d’Alain Corneau (2007). Considérée par beaucoup comme un sacrilège, cette nouvelle version du Deuxième souffle de Jean-Pierre Melville, avec la beauté de ses cadres, l’artificialité revendiquée de ses décors et de ses éclairages, l’intelligence de ses glissements de sens par rapport à l’original, est en fait l’un des plus beaux films maniéristes français. (TF1 vidéo)
À l’aventure, de Jean-Claude Brisseau (2009). Dernier opus de la trilogie érotique comptant également Choses secrètes et Les Anges exterminateurs, ce film ne ressemble à rien de connu en ce qui concerne la représentation du sexe à l’écran. Ni morbide ni voyeur, c’est-à-dire jamais puritain, il s’approche des mystères du plaisir féminin à la fois en philosophe et en mystique, mais également en cinéaste, puisque érotisme comme cinéma supposent mise en scène et naïveté… (Optimale)[/access]
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