Accueil Édition Abonné Décembre 2020 Reconfinement: on a préféré la punition collective à la frappe chirurgicale

Reconfinement: on a préféré la punition collective à la frappe chirurgicale

Éloge de la discrimination


Reconfinement: on a préféré la punition collective à la frappe chirurgicale
Emmanuel Macron en visite dans un Ehpad de Bracieux (Loir-et-Cher), 22 septembre 2020. © Yoan VALAT / POOL / AFP

Au nom de l’égalité, le gouvernement impose une réponse sanitaire pour tous : le confinement. Cette mesure désastreuse pour la société et l’économie s’avère aussi contre-productive car elle étale la crise dans la durée. Pourtant, une autre approche, plus efficace médicalement et moins coûteuse pour l’économie, est possible : cibler et protéger les plus fragiles. 


Depuis bientôt un an, le monde vit au rythme de l’épidémie de Covid-19. En mars, quand cette maladie nouvelle s’est répandue en France comme une traînée de poudre, il n’y a pas eu d’autre solution que d’imposer dans l’urgence un confinement généralisé. Devant l’impréparation générale et la pénurie de moyens (équipements de protection individuels, matériel de réanimation, personnel soignant, etc.), c’était la seule solution. Il fallait ralentir la propagation de la maladie, éviter l’effondrement des hôpitaux, permettre de s’organiser… ce que le premier confinement a permis, il faut en convenir.

Un pays sous cloche

Dix mois après l’émergence de la maladie, les conditions ne sont plus les mêmes. Sur le plan scientifique, on a beaucoup appris sur le Covid-19, ses modes de contamination, ses victimes privilégiées, son traitement, les façons de s’en protéger. On a développé des tests, PCR et maintenant tests antigéniques rapides. On a eu du temps pour réorganiser le système de santé qui avait été débordé pendant la première vague. Et pourtant, dans notre pays, on a l’impression d’avoir fait du surplace. Et le verdict est tombé : reconfinement !

Le confinement généralisé est un désastre. Ses conséquences économiques et sociales sont tellement évidentes qu’il n’est point besoin de les souligner à nouveau. Mais surtout, ces dommages collatéraux sont imposés en pure perte. En vérité, le confinement généralisé s’avère très peu efficace pour sauver des vies. Il permet juste de parer au plus pressé, de gagner du temps en attendant des mesures plus énergiques – dépister, soigner les malades et isoler les contagieux. C’est que le confinement ne vise nullement à en finir avec l’épidémie. Il transforme simplement une épidémie brutale, mais brève en une situation qui traîne et s’éternise. On passe d’un problème aigu à une situation chronique. En mettant le pays sous cloche, on diminue la circulation du virus et on soulage certes temporairement les structures de santé ; mais, bloquant l’évolution vers l’immunité collective, on ne peut empêcher que l’épidémie reparte dès que les mesures restrictives sont allégées ; d’où la nécessité de « reconfiner » régulièrement, au gré de la reprise épidémique. Pis encore : en ralentissant l’évolution vers l’immunité collective, le confinement pourrait pérenniser la maladie. Un scénario cauchemardesque pourrait même se profiler du fait de l’étalement dans le temps de l’épidémie : le virus circulerait encore au-delà de la durée de l’immunité obtenue chez les premiers infectés. Ces personnes seraient alors susceptibles de se recontaminer, et ce avant même que soit atteint dans la population générale le seuil protecteur qui arrête la circulation du virus (autour de 50 % de personnes immunisées) ! Seul un vaccin serait à même de rompre ce cercle vicieux. Dans l’intervalle, l’effondrement économique aurait de toute façon eu raison du système de santé, rendant impossible son financement et contraignant à diminuer les soins pour tous les malades, même ceux qui ne sont pas atteints du Covid. Avec le confinement, la catastrophe économique et sociale se double donc d’une catastrophe sanitaire, à court, moyen et long terme.

Les meilleurs experts plaident pour un confinement ciblé 

Fondés sur une sérieuse analyse scientifique, ces arguments ont été développés par les meilleurs experts. Ils sont à l’origine de la « déclaration de Great Barrington », initiée par Kuldorff, Gulpa et Bhattacharya, professeurs d’épidémiologie qui exercent respectivement à Harvard, Oxford et Stanford. Le grand public en trouvera une présentation détaillée dans l’excellent « Tract » de Jean-Loup Bonnamy et Renaud Girard, Quand la psychose fait dérailler le monde (Gallimard, 2020).

À lire aussi, Renaud Girard et Jean-Loup Bonnamy : “Si le confinement était un essai médicamenteux, on l’arrêterait tout de suite à cause des effets secondaires terribles”

Ces spécialistes plaident pour un confinement ciblé, appelé « protection focalisée » dans la déclaration de Great Barrington. Il s’agit de séparer la population en deux groupes, en fonction de critères mesurant le risque de développer une maladie grave. Le groupe « à haut risque », constitué par les personnes âgées et/ou présentant des comorbidités (insuffisance respiratoire, maladie évolutive, obésité, etc.), doit être protégé de la contamination par un confinement strict. Le groupe « à faible risque » (personnes jeunes et bien-portantes) doit reprendre une vie normale, notamment sur le plan professionnel, sans limitation des interactions sociales. L’objectif est de faire progresser l’immunité collective dans le groupe à faible risque, ce qui permet d’espérer un arrêt de l’épidémie, tout en protégeant le groupe à haut risque qui doit rester indemne de la maladie. Une fois l’immunité collective installée dans le groupe à faible risque, le virus ne circule plus, et les personnes à haut risque peuvent reprendre une vie sociale normale. En attendant cette libération, les jeunes/bien-portants, potentiellement contaminants pour leurs proches, doivent conditionner leur fréquentation des personnes âgées/fragiles à la réalisation de tests (tests PCR ou tests antigéniques rapides), respecter strictement les gestes barrières, le port du masque et la distanciation physique, essayer de mener leurs visites à l’extérieur… à moins qu’ils ne soient déjà guéris, donc immunisés et non contaminants… ou à moins que les personnes âgées/fragiles, dûment informées des risques encourus, décident de braver le danger pour continuer à mener une vie sociale ! (Situation qui peut par exemple se justifier en toute fin de vie : à quoi sert de se priver de ses proches si on est atteint d’une maladie létale à très court terme ? Faut-il vivre le peu de temps qui reste dans la solitude, ou accepter le risque d’écourter ce peu pour maintenir le lien social ?)

Protocole sanitaire renforcé dans un Ehpad à Nice, à l'occasion de la visite de Christian Estrosi, 23 septembre 2020. © Arié Botbol / Hans Lucas / AFP
Protocole sanitaire renforcé dans un Ehpad à Nice, à l’occasion de la visite de Christian Estrosi, 23 septembre 2020. © Arié Botbol / Hans Lucas / AFP

Avec cette approche, l’immense majorité des jeunes/bien-portants développent une forme bénigne de la maladie. Dans les rares cas où il s’agit d’une forme grave, ils sont bien sûr traités avec tous les moyens de la réanimation moderne, ce qui permet une évolution le plus souvent favorable. Quant aux personnes âgées/fragiles, le but est qu’elles n’attrapent pas du tout le Covid. Si cela survient quand même, malgré toutes les précautions prises, les malades âgés sont soignés avec des moyens proportionnés : les formes bénignes (tout de même 80 % des cas à 90 ans !) ne posent pas de problèmes moraux ; mais pour les formes graves (20 % des cas à 90 ans), il faut bien peser le pour et le contre des traitements lourds. La réanimation notamment n’a pas fait la preuve de son bénéfice à cet âge. On doit lui préférer une prise en charge palliative, visant à accompagner jusqu’au bout les personnes en fin de vie.

Le risque zéro n’existe pas 

Bien sûr, la protection focalisée n’empêche pas complètement les morts : quelques jeunes/bien-portants développent quand même des formes très graves, et quelques personnes âgées/fragiles attrapent la maladie quand même. En la matière, comme d’ailleurs dans toute la médecine, le risque zéro n’existe pas. Le but est d’arriver à l’immunité collective, donc à l’arrêt de la circulation du virus, avec le moins de morts possible. Notons que cette immunité pourrait être acquise plus rapidement grâce à la vaccination. Tout le monde espère cette fin heureuse du fléau qui dévaste notre société.

Ainsi la solution tient en un mot : discrimination. Discriminer, dit le dictionnaire, c’est établir une différence entre des personnes ou des choses en se fondant sur des critères distinctifs. Discriminer, on pourrait dire aussi différencier ou distinguer – et on éviterait alors le sens déplaisant qu’a pris ce mot à l’heure de la « lutte contre toutes les discriminations » –, c’est exactement ce que vise la médecine moderne : le bon soin au bon patient. Chaque patient doit recevoir une prise en charge adaptée à son cas particulier, une prise en charge personnalisée. La personnalisation repose sur la discrimination entre les différents cas pathologiques. Ce classement repose sur des critères scientifiques, tenant compte des caractéristiques physiologiques de chacun, et n’a évidemment rien à voir avec une quelconque « médecine à deux vitesses » qui consacrerait l’injustice sociale.

Une personnalisation grandissante de la médecine

Pour comprendre cette évolution de la médecine vers plus de personnalisation et donc plus d’efficacité avec moins d’effets secondaires, on peut considérer l’histoire de la lutte contre le cancer, par exemple le cancer du sein, une des formes les plus fréquentes de cette méchante maladie. Dans un premier temps, la médecine est impuissante face au cancer. La maladie suit son cours spontané, naturel, qui évolue vers la mort. On se contente d’accompagner le patient en soulageant comme on peut ses symptômes. Dans une deuxième période, on commence à traiter la maladie avec l’espoir de la guérir. Dans l’ignorance des variations d’une tumeur à l’autre, d’un patient à l’autre, on applique à tous un traitement maximaliste : chirurgie étendue (mastectomie totale et curage ganglionnaire dans notre exemple), radiothérapie, chimiothérapie lourde. Ce traitement permet des guérisons, mais au prix de pénibles séquelles (dans notre exemple, le « gros bras », qui a empoisonné la vie de millions de femmes après chirurgie extensive). Le troisième stade est celui de la médecine personnalisée. Les différentes tumeurs ont été analysées finement et classées selon leur comportement biologique et leur extension anatomique. Si certaines restent dans la catégorie « haut risque de récidive » et imposent de persévérer dans un traitement lourd, beaucoup passent dans la catégorie « faible risque de récidive », permettant d’engager une « désescalade thérapeutique », c’est-à-dire de diminuer les séquelles liées au traitement sans perdre en efficacité.

À lire aussi, Lydia Pouga : Covid-19: errance en terre inconnue

En jugeant la prise en charge du Covid à l’aune de cet exemple, et puisqu’une épidémie est bien une maladie de toute la société, on peut dire que le confinement appartient au deuxième stade de la médecine : efficacité moyenne sur la maladie, effets secondaires lourds et même très lourds sur le malade. Le confinement revient à tenter d’écraser une mouche (ou plutôt un frelon… asiatique !) avec une massue ; on ne peut éviter d’assommer du même coup le malade (la société). Ne serait-il pas temps de passer au troisième stade, celui d’une médecine moderne, ingénieuse et raffinée, une médecine personnalisée, plutôt que d’en rester à une médecine de masse, rustique, voire archaïque ? D’autres pays ont fait ce choix : des pays asiatiques qui ont tout misé sur le dépistage, le traçage et l’isolement des seules personnes contaminées ; la Suède qui compte sur la discipline individuelle pour protéger les sujets à risque. Ils obtiennent des résultats sanitaires meilleurs que les pays ayant recours au confinement indifférencié, tout en évitant la faillite économique.

Mais il y a des freins à l’adoption de la protection focalisée. Particulièrement dans notre pays, ces freins tiennent en une formule : la passion de l’égalité. C’est la passion de l’égalité qui explique le refus de discriminer du gouvernement. Rappelons les mots du président de la République : « Pour des raisons de solidarité entre les générations, […] il ne saurait être question de confiner les plus vulnérables d’entre nous. » Ligoté par une idéologie politiquement correcte, le gouvernement a choisi l’indifférenciation contre la personnalisation, l’archaïsme contre la modernité, la paralysie contre l’activité, et au final, pour notre malheur, le dépérissement contre la vitalité.

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Décembre 2020 – Causeur #85

Article extrait du Magazine Causeur




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