Montées en épingle par le petit marigot politico-médiatique, les images de la bavure policière sur le producteur de rap Michel Zecler permettent aussi de remettre une pièce dans la machine de la victimisation racialiste. Les difficultés importantes de la police nationale, que la loi “sécurité globale” entendait combattre, sont-elles oubliées ?
Aux yeux des élites françaises et occidentales, le noir est devenu une sorte de bibelot, un objet fragile et précieux que l’on installe dans la pièce la plus luxueuse de la maison, là où on fait salon en compagnie de la bonne société. Un fétiche rapporté d’un voyage lointain, un masque africain qu’il faut garder à une certaine température et sous certaines conditions d’humidité. Et à chaque fois que la femme de ménage passe, on a un haut-le-cœur de crainte qu’elle ne fasse tomber le bibelot ou qu’elle marque de ses gros doigts sa délicate texture.
C’est ainsi que l’on peut décrire l’état d’esprit de nos élites. Dès qu’un noir est victime de violence, le racisme est systématiquement convoqué comme la seule et unique explication. Et ce n’est pas n’importe quel racisme, c’est le racisme systémique issu du privilège blanc c’est-à-dire un crime collectif qui exige bien entendu une punition collective de tous les Français, tous coupables au fond.
La vidéosurveillance ne dit pas le réel
Le tabassage d’un producteur musical par des policiers indignes de leur uniforme est une répétition générale de ce que nous venons de décrire. La femme de ménage blanche a encore cassé le bibelot noir. O indignation, ô exaspération, les élites font la moue, elles sont désolées de la grossièreté des manières de leurs sous-fifres.
Personne n’attend les résultats de l’enquête pour être sûr que les policiers étaient motivés par le racisme. Moi, je n’en sais rien et vous non plus ne devriez pas sauter aux conclusions car une vidéo n’a jamais remplacé la vérité. Si la vidéosurveillance urbaine disait le réel, nous pourrions économiser des centaines de postes de commissaire et de magistrat ! Les seuls qui savent réellement ce qui s’est passé cette nuit-là dans le 17e arrondissement sont les mis en cause (les policiers) et les victimes (le producteur et les jeunes musiciens). Si on les laisse s’exprimer sans mettre de mots à leur bouche, l’on entendra peut-être les échos de la peur (toujours mauvaise conseillère), de la colère (ennemie du discernement) et peut-être du racisme le plus abject.
A lire aussi: Ils voient dans les nécessaires lois sécuritaires notre «asservissement de demain»…
Or, nos élites se fichent éperdument de la vérité et de la justice, elles courent après la nausée (pensez à la une de Libération le 27 novembre). Cette nausée leur permet de poser leur supériorité morale et de se distinguer de la plèbe qui ne peut goûter de tels tourments. Le peuple est trop occupé à survivre pour s’autoflageller. Le luxe a été toujours le privilège du petit nombre.
Et peu importe que ce hobby de riches finisse par créer chez certains noirs un syndrome de persécution qui les amène à craindre réellement la police et les blancs qui sont leurs concitoyens, leurs collègues et leurs frères. Victimes éternelles et systémiques, ces noirs sont repoussés dans les marges, loin des centres de décision et des cercles d’influence.
Si Frantz Fanon était encore de ce monde, il serait très en colère contre cette nouvelle aliénation de l’homme noir, sans cesse empêché d’être un homme comme les autres. Ses drames sont toujours vus comme le fruit d’un complot ourdi par les méchants blancs. Et ses succès sont toujours présentés comme des justes réparations.
Fétichisation raciale
L’arabe lui aussi a été fétichisé par les bien-pensants qui le placent au-delà de tout, même de la morale la plus basique. Il a le droit de voler et de détruire car lui, plus que tout autre, est victime de la pauvreté et des discriminations. Pensez toujours au bibelot que l’on pose soigneusement sur un meuble en acajou, derrière une vitrine qui l’isole de la poussière, du froid et de la chaleur c’est-à-dire de la vie. On l’aime mais on le méprise en même temps car on l’estime indigne de vivre dans la réalité, celle des droits et des devoirs. Le monde des adultes en somme.
La gouvernance dont je viens d’esquisser les contours a pensé aussi aux blancs et aux Français de souche. Elle leur assigne le rôle du tapis de bain. Leur place est symboliquement par terre, au contact du carrelage froid et humide.
A lire aussi, Driss Ghali: Carrefour et le racisme imaginaire
Le blanc est le souffre-douleur. Les faits divers dont il est la victime sont passés sous silence. Quand il est attaqué par un noir, un arabe ou un tchétchène, ce n’est jamais un crime raciste mais un simple contentieux qui mérite une médiation et non une punition.
Du matin au soir, il est l’objet d’un procès de Nuremberg, instruit à charge par les universités et les médias autorisés. Certains jours, le service public audiovisuel me rappelle un peu la Radio des Mille Collines, dans sa monomanie obsessive et sa diabolisation systématique d’une partie de la population. Le blanc est coupable de tous les crimes imprescriptibles : esclavage, colonialisme, racisme, machisme, masculinité toxique, homophobie, réchauffement climatique etc. De là à considérer licite sa disparition, de là à justifier les agressions dont il est victime au quotidien, il n’y a qu’un pas…
Naufrage
Pas besoin d’être gaulois pour être blanc, il suffit d’être policier : combien de gardiens de la paix issus de l’immigration ont été agressés voire tués sans que cela ne fasse la une des journaux ? L’on peut aussi être déclassé c’est-à-dire passer du statut du bibelot au statut du tapis de bain si on « pense mal » ou l’on « s’exprime mal ». C’est ce qui arrive, je crois, à votre humble serviteur à chaque fois qu’il n’adopte pas le point de vue attendu d’un maghrébin. Je suis, comme tant d’autres, assigné à résidence : je dois condamner la colonisation, excuser la délinquance et disculper l’Islam de toute dérive fanatique. Sinon, eh bien sinon je deviens un « arabe de service » donc un compagnon de route et d’infortune du Français de souche.
Défaite de la pensée. Naufrage de l’esprit français. Le pays des Lumières s’est laissé brûler par le soleil américain. À force de nous frotter au contre-modèle anglo-saxon, nous sommes en train de devenir une annexe du Bronx où rien ne pousse à part le ressentiment croisé. Un mur de lamentation doublé d’un mur de séparation entre les races et les religions. Quelle honte.
A lire aussi, Elisabeth Lévy: Flics Lives Matter
La mission première de la génération actuelle est de dynamiter ce mur. Elle doit recommencer à penser l’homme dans sa plénitude. Elle doit faire l’autodafé de l’idéologie dominante qui réduit tout à la couleur de la peau, au genre et à l’orientation sexuelle. Si les élites nous veulent myopes, achetons-nous des lunettes pour voir loin. Si les puissants nous prennent par les émotions (pour ne pas dire autre chose), réfugions-nous dans les idées. Prendre de la hauteur, c’est déjà résister.
Quand quelqu’un vous intime de vous agenouiller au nom du racisme, méfiez-vous. Dans neuf cas sur dix, il veut vous empêcher de voir la pleine lune et vous priver de sa lumière céleste. Rebellez-vous quitte à lui mordre le doigt.
L’imbroglio de l’article 24
La loi sécurité globale est bien mal partie! Et l’on peut redouter que le déni d’autorité et la haine anti-flic aient encore de beaux jours devant eux.
D’importantes manifestations sont prévues ce samedi pour protester contre le fameux article 24 (qui veut punir la diffusion malveillante d’images de policiers). Des députés de la majorité LREM, Richard Ferrand et le président du Sénat Gérard Larcher pestent contre la nomination – voulue par le Premier ministre – d’une commission indépendante, chargée de réécrire l’article incriminé.
Les images de l’arrestation violente du producteur de musique dans le 17e par des policiers douteux sont venues perturber, encore d’avantage, cette situation politique déjà passablement compliquée autour de la loi “sécurité globale”.
Pendant ce temps, l’écrasante majorité de policiers fait convenablement son travail et est oubliée, quand elle n’est pas vilipendée dans son ensemble par des médias mainstream trop contents de nous rejouer une affaire George Floyd, version tricolore. Pendant que toute l’attention est portée sur une bavure, pendant que médias et politiques pinaillent, les violences contre les forces de l’ordre ont doublé en dix ans, 7399 policiers ont été blessés en intervention en 2019 (soit une vingtaine par jour!) et 59 se sont suicidés. Depuis janvier, 63 commissariats ont été ciblés par des attaques.
La rédaction.
Mon père, le Maroc et moi: Une chronique contemporaine
Price: 18,00 €
13 used & new available from 18,00 €
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !