Un livre de Christine Goguet sur le rapport des grands hommes à la divinité
Lors de ses ultimes vœux télévisés au peuple français, le 31 décembre 1994, François Mitterrand a surpris en disant : « Je crois aux forces de l’esprit, je ne vous quitterai pas. » Catholique de tradition familiale, élevé chez les jésuites d’Angoulême, le président socialiste a toujours cherché la foi sans qu’elle parvienne à s’imposer à lui. Il entrait dans les églises, priait, sans savoir qui au fond.
Mitterrand le mystique
Il espérait qu’il atteindrait à une forme d’éternité sans dire s’il la devrait à Dieu ou à l’Histoire. C’était un mystique avant tout, quêtant le moindre signe de l’Invisible. Il avait surpris son entourage en partant en Égypte, en décembre 1987. Il avait décidé de gravir le mont Sinaï, là où Dieu avait confié les Dix Commandement à Moïse, malgré le cancer et la douleur, les cailloux, le froid, la nuit. Il avait testé sa résistance sous les hourras des touristes espagnols qui l’avaient reconnu. Parvenu au point sacré, il se tenait droit dans ses chairs meurtris, la volonté intacte, à guetter le soleil se lever. Il vit alors un disque jaune, des rayons orange, une lumière de plus en plus vive, le paysage grandiose enfin. Il y eut le silence. Mitterrand redescendit. L’Invisible avait délivré son message. Son entourage avait compris qu’il serait candidat à sa propre succession.
Je me suis souvenu de ce moment extraordinaire en lisant l’excellent livre de la journaliste Christine Goguet, directrice de la mission mécénat et partenariats au centre des monuments nationaux, dans lequel elle raconte le rapport à la foi de treize personnalités : Charles de Gaulle, Albert Einstein, Winston Churchill, Victor Hugo, Napoléon, Mère Teresa, Van Gogh, François Mitterrand, etc. Sa démarche consiste à montrer comment le divin les a durablement inspirés et a influencé leur action.
Le portrait du général de Gaulle montre un homme que la foi a toujours habité. Il y avait en lui une dimension messianique. À un moment crucial de l’Histoire, il serait amené à sauver la France. Ce pays avait une âme catholique, il savait se ressaisir lorsque tout semblait perdu, à condition que quelqu’un se dressât pour indiquer le chemin à suivre. Le Général et son épouse furent durement éprouvés lorsqu’ils apprirent que leur fille, Jeanne, était née trisomique. De Gaulle : « Son âme était dans un corps qui n’était pas fait pour elle. » Mais il parvint à surmonter l’ordalie. À son aumônier, il déclara, humblement : « Lorsque cette enfant vint au monde, elle fut la source d’un immense chagrin. Aujourd’hui, c’est un don de Dieu. »
Dieu, pour tenir en respect la souffrance
Christine Goguet rappelle les mots de son petit-fils, Yves de Gaulle : « Mon grand-père se reconnaissait particulièrement dans une valeur chrétienne : la liberté. » Il ajoute: « L’étoile du berger domine sa trajectoire. Pour lui, le monde était un chaos mais avec au bout l’espérance. »
Le cas Van Gogh est passionnant. Son père est pasteur dans l’Église calviniste. Il est sévère, froid, rugueux. Vincent développe un caractère mélancolique. Après une jeunesse austère, il finit par découvrir la vie de Jésus, son sacrifice. C’est décidé, il sera pasteur. Il étudie la théologie à l’université d’Amsterdam. Il mange peu, travaille beaucoup, s’affaiblit. Il rate ses examens. Puis il suit des cours à l’école protestante de Laeken, en Belgique. Dépressif, rebelle, c’est un nouvel échec. Christine Goguet raconte son parcours qui le conduit à partager son amour du Christ avec les mineurs de Borinage. Il vit avec eux, prêche l’Évangile, tente d’adoucir les maux des travailleurs brisés. Les autorités ecclésiales traditionalistes lui mettent alors des bâtons dans les jambes. Ce prédicateur ouvrier dérange. Ils suspendent sa mission. Vincent retourne chez ses parents. Il est violent. Le père veut le faire interner. Il trouvera le salut dans la peinture. Dans ses œuvres, on retrouve la puissance du divin, son mouvement, ses ciels tourmentés où luisent les étoiles des brûlés de Dieu. Mais cet écorché vif, ce solitaire sans amour, finit par se suicider à 37 ans. Dans une lettre à Émile Bernard, Vincent écrit: « Le Christ a vécu sereinement, en artiste plus grand que tous les artistes, dédaignant et le marbre et l’argile et la couleur, travaillant en chair vivante… » Que peut-on ajouter ?
Préface posthume de Denis Tillinac
Comme le note le regretté Denis Tillinac, dans sa préface, Napoléon vécut « une spiritualité tourmentée ». Ce n’est qu’au soir de sa vie qu’il eut un « véritable retour de foi ». Christine Goguet rappelle les paroles de l’Empereur au général Bertrand : « Je connais les hommes et je vous dis que Jésus n’était pas un homme. »
La France voit ses églises désertées, transformées en hôtel ou en brocante, détruites. La marchandisation du monde est implacable. La nation française n’y échappe pas. Nous vivons des temps où les spectres s’agitent pour nous précipiter dans la dictature de l’uniformisation et de l’égalitarisme. Les politiques sont dépassés, ils mettent en avant la laïcité. Mais la laïcité ne peut pas tout. Il conviendrait également de réaffirmer les valeurs fondamentales du christianisme, sans lesquelles la France ne serait pas. Le livre de Christine Goguet rencontre le succès parce qu’il rappelle que, sans la spiritualité qui élève, il ne peut y avoir de liberté.
Christine Goguet, Les grands hommes & Dieu, préface de Denis Tillinac, Editions du Rocher.
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