Dans la guerre contre le terrorisme, on ne peut se contenter de nommer l’ennemi: l’islamisme. Pour la gagner, il nous faut aussi défendre nos valeurs, savoir qui l’on est.
C’est l’histoire d’un peuple ignorant tout des fondements moraux qui l’ont vu grandir. Il en jouit mais il ne sait les défendre. Pire encore, il en a oublié les noms. C’est en tout cas le sombre constat que l’on retient des pléthores de commentaires qui firent suite à l’assassinat tragique de Samuel Paty, professeur d’histoire à Conflans-Sainte-Honorine. Son seul crime fut celui d’enseigner le sens profond d’un droit séculaire, la liberté d’expression. À cet affront, les lâches de l’islamisme ne pouvaient répondre que par le sang, une mission macabre pour laquelle les volontaires sont malheureusement aujourd’hui légion.
Cette France, on en vient même à lui dérober son nom, on lui préfère la « République » et de peur d’émouvoir quelques sensibilités jacobines, on invoque inlassablement la fameuse « communauté nationale » à défaut de parler du peuple
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Une fois de plus, nous n’avions rien d’autre à offrir que des bougies et des fleurs, armes redoutables avec lesquelles la France se défend depuis plus de 30 ans. Ces moments d’émoi national que les Français ne connaissent maintenant que trop bien, dévoilent souvent l’état philosophique d’une société et de ce point de vue, le bilan est encore sans appel. Une fois de plus, les mots sont vides, les concepts se confondent et les débats se noient dans les vieilleries d’un discours républicain fade et désuet.
Rapidement, les platitudes fusent. On entend parler de « laïcité », de « droit au blasphème », on défend le droit de caricaturer et on parle même de démocratie. Autant d’incantations qui illustrent malheureusement bien un vieux réflexe français, celui de tout diviser, de fragmenter, c’est cette fameuse France des statuts. Cette France, on en vient même à lui dérober son nom, on lui préfère la « République » et de peur d’émouvoir quelques sensibilités jacobines, on invoque inlassablement la fameuse « communauté nationale » à défaut de parler du peuple.
À croire qu’en commettant l’innommable, le terroriste tchétchène qui s’était acharné sur ce pauvre professeur exprimait simplement sa désapprobation d’un système politique. Qui sait, peut-être préférait-il la monarchie constitutionnelle à l’anglo-saxonne ? À défaut de l’avoir protégé physiquement, on doit bien à la mémoire de Monsieur Paty le courage de défendre pleinement, passionnément et sans l’once d’un quelconque compromis sémantique ce pour quoi il est tombé, la liberté.
Défendre notre liberté
Étonnamment, plus de deux siècles après la plus grande révolution libérale de l’histoire politique moderne, la Révolution Française, le même peuple qui avait alors décidé de s’affranchir des chaînes de l’État se retrouve aujourd’hui incapable d’en assumer les inspirations philosophiques.
Lorsque l’on caricature, lorsque l’on blasphème, lorsque l’on insulte, lorsque l’on provoque, lorsque l’on rit, lorsque l’on nie, en somme lorsqu’on offense, on exerce purement et simplement cette liberté.
Nul besoin de la décomposer, de la subdiviser, ou bien de la déguiser derrière des sous-droits, la liberté est une ou elle n’est rien. D’ailleurs parler de droit au blasphème dans un pays qui prétend ne connaître aucun culte est au mieux contradictoire, au pire hypocrite. Qualifier une caricature de « blasphématoire » c’est reconnaître la supériorité sacrée d’un dogme religieux et de fait, ménager ses fidèles irrités en les assurant du statut spécial que revêt cette forme d’expression. Or, la liberté d’expression ne peut reconnaître aucune exception et ne peut fléchir face aux indignations philosophiques, idéologiques ou religieuses.
Alors comment expliquer autant de frilosité, autant de réticence à arborer fièrement le premier mot de notre devise nationale ? La réalité est que nous souffrons encore de ce vieux mal français qui préfère déléguer le bien à la force d’État et qui par peur ou abus de pouvoir, refuse de faire confiance à l’individu. Ainsi, au fil des années se sont multipliés les tribunaux idéologiques tels que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ou encore les lois mémorielles comme la loi Gayssot qui réprime pénalement le négationnisme. Ces appareils contraignants ont une double conséquence, la première est morale, la seconde est pratique. Morale parce que limiter la liberté d’expression aux frontières de la haine, c’est cristalliser la séparation de ce qui est idéologiquement acceptable de ce qui ne l’est pas. Réprimer la haine, c’est accepter que la fin justifie les moyens et décider qu’afin d’éviter le désastre on musèle l’individu pour le salut des masses. Aussi louable qu’en soit l’intention, la censure est par essence immorale.
Pratique car dès la première contrainte, on assume de confier à la justice le soin d’arbitrer le bien et le mal. Or nul appareil, aussi précis soit-il, ne saurait se targuer de savoir définir les limites du convenable. Comme l’explique Jordan Peterson, psychologue et intellectuel canadien, « pour être à même de réfléchir, il faut risquer d’être offensé ».
À l’inverse la censure, aussi juste soit son intention, entraine mécaniquement la régression intellectuelle. Plutôt que d’user de sa voix pour combattre le mal et éradiquer la haine, on s’en remet lâchement à la force pour la bâillonner, pire, on héroïse ceux que l’on réduit au silence forcé. À l’image du système immunitaire qui s’affaiblit en l’absence d’agressions extérieures, les idées et réalités qui demeurent hermétiques à toute remise en question se fragilisent. Lutter contre le négationnisme de la Shoah, c’est au contraire savoir défendre son historicité, c’est se confronter à l’ennemi. Protéger le camp du bien c’est savoir le défendre. Lorsque la mémoire de millions d’innocents est en jeu, il incombe à l’individu le devoir moral de l’argument. De même, honorer la mémoire de Samuel Paty c’est avant tout, savoir nommer, assumer et exercer pleinement ce pourquoi on s’en est pris à lui.
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