Ou comment un vieux pays usé se suicide en confiant son destin à des ministres et des hauts fonctionnaires qui appliquent strictement et souvent de travers un invraisemblable principe de précaution, non seulement pour se dédouaner d’avance de leurs erreurs, mais également pour effrayer et culpabiliser leurs concitoyens.
Les meilleurs experts en économie dans les think tanks spécialisés y perdent leur latin. Ils nous disent qu’ils n’ont jamais vu une telle pagaille dans la façon de gérer un pays. Agnès Verdier-Molinié, qui dirige la fondation iFRAP : « Vos chaussettes sont trouées et vous avez besoin d’en acheter une paire rapidement ? Ce n’est pas essentiel. Vous avez envie de fumer ? C’est essentiel. De lire un bon livre ? Pas essentiel. Besoin d’un vêtement d’enfant en deux ans ? Essentiel. En trois ans ? Interdit. »
Nicolas Lecaussin, qui anime l’IREF : « Les livres me sont essentiels en ces temps de confinement, mon voisin préfère une bouteille de vin : pas de chance pour moi, les librairies sont fermées, mais tant mieux pour lui, les cavistes sont ouverts… Ma voisine, une vieille dame seule, recevait régulièrement une coiffeuse à domicile : interdit ! Et, allez dire à un croyant que l’office religieux est moins “essentiel” que la messe des journaux télévisés… »
Quant à Maxime Sbaihi, le directeur de GénérationLibre, il note que « dans un pays à l’orgueil normatif gonflé de 318 000 articles législatifs et réglementaires en vigueur, l’illisibilité et l’insécurité juridiques sont des maux bien connus […] mais seule la France a osé étendre sa passion bureaucratique jusque dans nos vies quotidiennes en imposant de remplir un formulaire et demander une dérogation pour aller acheter sa baguette ».
Le dernier gros couac vient du président lui-même
Les Français ne savent plus où donner de la tête, tourneboulés qu’ils sont par une parole publique totalement controversée, éparpillée et démonétisée. Le dernier gros couac en date vient du président lui-même qui, dans son allocution radiotélévisée urbi et orbi du 29 octobre dernier, destinée à justifier le reconfinement, a déclaré ceci : « Quoi que nous fassions, près de 9 000 patients seront en réanimation à la mi-novembre. » Pas de chance pour lui : Santé Publique France nous a donné le chiffre officiel au 15 novembre : ils n’étaient pas 9 000 ces pauvres patients en réanimation, mais deux fois moins, 4 880 pour être précis.
En matière d’imprévoyance, on aurait pu penser que nos dirigeants, qui avaient complètement raté la gestion des masques au départ de la pandémie, sans compter celle des tests, auraient retenu la leçon. Pas du tout : le vaccin contre la grippe, laquelle tue 10 000 personnes par an en moyenne, a totalement disparu des pharmacies alors qu’on est encore loin de l’hiver et qu’il faut un temps fou pour reconstituer les stocks ! Tout cela est très inquiétant sur la façon dont l’Élysée et Matignon gèrent cette crise tout en sortant l’arrosoir à milliards versés à tout-va et parfois n’importe comment dans l’économie.
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Le Premier ministre de son côté a été pris la main dans le sac en insistant lourdement sur le télétravail qui, chaque fois que c’est possible selon lui, doit être appliqué « cinq jours sur cinq dans le secteur privé ». Jean Castex, n’ayant jamais travaillé de toute sa vie dans une entreprise privée du monde concurrentiel, est bien mal placé pour donner des instructions aux chefs d’entreprise. Quant à la ministre du Travail, Élisabeth Borne, qui a soutenu mordicus le Premier ministre dans sa croisade pour le télétravail, elle a pour seule référence entrepreneuriale sur son CV un passage de deux ans à la tête de la RATP, une entreprise d’État ingérable, comme la SNCF, où les PDG se contentent de faire de la cogestion avec la CGT, ce qui n’est pas spécialement affaire de compétence.
Un découragement mortifère devant l’écroulement d’une vie de travail
À l’étage en dessous de Matignon et du gouvernement, ce sont des préfets qui interviennent pour dire quel commerce pourra vivre et quel autre devra mourir, quelle église pourra obtenir une dérogation, quel match de foot pourra se jouer devant zéro ou 1 000 spectateurs et quel agriculteur devra détruire ses récoltes et aura le droit de se suicider silencieusement dans son coin. Pendant ce temps, une majorité de petites entreprises, d’artisans, commerçants et indépendants n’arrivent pas à obtenir les aides annoncées, noyés qu’ils sont par la paperasse à gérer, les contreparties exigées à certaines aides, les numéros verts qui ne répondent pas et par le découragement mortifère qui leur fracture la tête devant l’écroulement de toute une vie de travail.
Et on ne parle pas des restaurateurs ! S’il y a bien une profession en France qui devrait être intouchable c’est celle-là qui concentre presque à elle seule, avec les vignerons, le rayonnement planétaire de l’art de vivre à la française. Un trésor national. Abandonner les restaurateurs dans le caniveau comme le font nos dirigeants est une insulte brutale à l’histoire de la gastronomie française. Un véritable abus de pouvoir d’une administration sans respect ni humanité à force de vouloir toujours sévir.
L’exploit de Fabien Sudry
Comme ce nouveau préfet de la Côte-d’Or et de la région Bourgogne-Franche-Comté, Fabien Sudry, installé à Dijon depuis seulement deux mois et qui n’a rien trouvé de mieux à faire, à peine arrivé, que d’interdire la 160e vente de vin des Hospices de Beaune prévue le 15 novembre. Un gros travail pourtant avait été fait par les organisateurs de cette très ancienne et historique vente aux enchères de charité au profit des hospitaliers de France et au retentissement mondial, avec des normes sanitaires très pointues, une vente à distance avec les équipes de Christie’s et retransmission par Zoom… Et vous savez quoi ? Ce préfet obtus l’a purement et simplement annulée la veille au soir, le samedi 14 novembre, pour le lendemain dimanche 15, comme ça, d’une pichenette administrative de dernière minute. L’œuvre d’un gougnafier mal embouché et mal élevé!
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Un grand malheur, un désastre économique et social se prépare ainsi en France, l’écroulement d’un système opaque, injuste, inefficace, effroyablement lourd et traumatisant pour les forces vives et les citoyens de l’Hexagone. Au moment où l’on commençait à entrevoir le bout du sombre tunnel du Covid grâce aux deux premiers vaccins annoncés aux États-Unis et en Allemagne, il va falloir se rendre à l’évidence : il n’y aura jamais de vaccin en France contre l’incompétence, l’arrogance et la démagogie de nos dirigeants. Le résultat tragique de quarante ans de socialisme bureaucratique, de matraquage étatique permanent, d’excès syndicaux et du travail de sape d’énarques irresponsables qui ont géré et qui continuent de gérer la France depuis leurs palais nationaux comme leurs ancêtres administraient nos colonies il y a un siècle depuis leurs palais de gouverneurs.
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