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Bernard Herrmann, l’ombre derrière l’écran


Nous sommes à New York, le soir du réveillon de Noël, en 1975. Sortant de l’une des dernières séances de Taxi Driver, film du jeune Martin Scorsese dont il a écrit la musique, le compositeur Bernard Herrmann s’effondre, terrassé par une crise cardiaque à l’âge de 64 ans. La presse signale discrètement l’événement. Pourtant c’est un monstre sacré qui s’éteint. Herrmann, à travers ses collaborations avec des cinéastes tels qu’Orson Welles (Citizen Kane) ou Alfred Hitchcock (Psychose, Vertigo), a réinventé la musique de film, en y introduisant des éléments destinés à agir sur l’inconscient du spectateur : dissonances, motifs harmoniques non résolus, suspension dramatique…[access capability= »lire_inedits »] Outre son génie mélodique, c’est ce type d’innovations qui a permis à Herrmann de s’imposer comme l’un des plus importants compositeurs que l’industrie du film ait connus. Avant lui, on écrivait de la musique pour les films : après lui, on écrira de la musique de films.

Musicien pour Hollywood est pourtant le dernier destin qu’aurait choisi cet enfant grandi dans le Bronx. Issu d’une famille juive d’origine russe, il rêve dans sa jeunesse de devenir un grand chef d’orchestre. Il étudie la musique à la prestigieuse Julliard School, que fréquentera également Léonard Bernstein, et noue très jeune des contacts avec d’importants compositeurs tels que Charles Ives, Aaron Copland ou Percy Grainger. Dès le début des années 1930, Herrmann entame une fructueuse collaboration avec la radio : il dirige, arrange et compose quantité de musiques pour des émissions variées, allant des documentaires aux dramatiques. C’est là qu’il fait la connaissance d’Orson Welles, pour qui il écrit la musique de l’émission War of the Worlds, en 1938, le faux reportage devenu culte qui a terrifié l’Amérique entière en annonçant en direct une attaque de Martiens. Herrmann a 27 ans.
Il suit Orson Welles dans l’aventure cinématographique, et pour Citizen Kane (1941), il renouvelle l’usage du « leitmotiv », qu’il n’attache plus seulement à des personnages, comme c’était souvent le cas jusqu’alors, mais à des sentiments, des émotions. Que serait le « mystère Rosebud » sans la mélodie subtile de Herrmann qui le signale sans cesse à notre inconscient?

Ce travail, Herrmann le poursuivra avec Alfred Hitchcock dès le milieu des années 1950. Dans la fameuse scène du meurtre dans la douche de Psychose, les notes stridentes de violons, tels des cris d’oiseaux sur la chair de la malheureuse Marion Crane, incarnée par Janet Leigh, renvoient le spectateur à l’une des scènes précédentes, où le gérant du motel infernal décrivait sa passion pour la taxidermie. Pour North by Northwest, Herrmann a l’idée géniale de développer tout au long du film d’infinies variations autour d’un même fandango obsédant. Pour Vertigo, le compositeur donne à Hitchcock l’une de ses plus belles partitions, mélange de somptueuses envolées post-romantiques et d’ambiances sonores inquiétantes qui apporte toute sa complexité à une histoire d’amour d’impossible. Boudé par Hollywood au milieu des années 1960, puis redécouvert par toute une génération de jeunes réalisateurs (Scorsese, Truffaut, De Palma), le compositeur ne cessera jamais d’écrire des œuvres « sérieuses » destinées au concert ou à l’enregistrement. En tout, il en laissera une vingtaine, dont une cantate sur le thème de Moby Dick (1938), une symphonie (1941), et le superbe quatuor à cordes Echoe (1965).

Taciturne, volontiers grognon, souvent méprisant, Bernard Herrmann n’était jamais si heureux que lorsqu’il pouvait consacrer du temps à une « grande œuvre », comme Wuthering Heights, opéra gothique de trois heures inspiré de l’œuvre d’Emily Brontë, qu’il écrivit au début des années 1950 et dont l’unique enregistrement, dirigé par le compositeur dans les années 1960, était devenu introuvable. Un coffret de trois CD permet aujourd’hui aux mélomanes et cinéphiles de découvrir l’intégralité de cet opéra dans une version de concert donné en 2010 lors du Festival Radio-France de Montpellier. Sous la baguette du chef Alain Altinoglu, les différents solistes parviennent à rendre avec délicatesse tout le charme sombre et tourmenté d’une œuvre qui, avec le temps, devrait s’inscrire tout naturellement dans le répertoire. L’occasion d’explorer l’univers original d’un compositeur dont la musique a toujours produit des images, même lorsqu’elle n’était pas faite pour l’écran.[/access]

Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heigths), Universal, 3 CD.

Juillet-août 2012 . N°49 50

Article extrait du Magazine Causeur



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Il est l’auteur de L’eugénisme de Platon (L’Harmattan, 2002) et a participé à l’écriture du "Dictionnaire Molière" (à paraître - collection Bouquin) ainsi qu’à un ouvrage collectif consacré à Philippe Muray.

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