Maurice Genevoix est entré au Panthéon. Et avec lui, tous «Ceux de 14». Il faut lire ou relire cette œuvre magistrale.
Par ciel clair, on entend vibrer, en haut du Panthéon, les couleurs du drapeau français. Sur le fronton du Panthéon : « Aux grands hommes la patrie reconnaissante ». C’est dans ce haut lieu de la mémoire qu’est entré, ce 11 novembre 2020, au pas lent de la garde républicaine, un sous-lieutenant de 24 ans, normalien brillant, parti le 2 août 1914, de Châlons-sur Marne, à la tête du 106 ème régiment d’infanterie, blessé à la Tranchée de Calonne, invalide de guerre, écrivain et Académicien : Maurice Genevoix. Et, avec lui sont entrés « tous ceux de 14 ». Ainsi s’achève le cycle du centenaire de la Grande Guerre qu’Emmanuel Macron a voulu clore « d’une manière digne et marquante » par l’entrée, au Panthéon, d’un « écrivain français, à l’âme française. » On connaissait l’écrivain de la Loire et de la nature, d’Alice et les garçons, de Raboliot et du Chat Rrou. Dans cette nuit transfigurée, on découvre un écrivain d’une ampleur inouïe. Ceux de 14, c’est cinq récits de guerre (dont Sous Verdun et les Eparges) écrits entre 1916 et 1923, retravaillés en 1949. Ce récit épique, écrit d’une écriture minutieuse et lumineuse, à partir de notes prises sur le vif rend compte de la violence inouïe de la guerre sur le front de la Meuse, de la fraternité des hommes, de la tendresse humaine. Grâce à ce livre, on connaît, sur le vif, la vie des tranchées, on entend « miauler les obus » (Apollinaire) mais l’on sent aussi la fraîcheur d’un matin sous le pas des soldats, la chaleur d’un lit dans un village, on sent l’odeur de la terre sous la neige, on voit éclore les premiers crocus, et ces grands ciels où giclent les obus, ces têtes qui éclaboussent de leur sang les étoiles. C’est un livre énorme, sidérant, foisonnant d’événements, de personnages, impossible à lâcher, une fois ouvert, où le temps se contracte et se dilate au gré des événements. « Ce que nous avons vécu, aucun homme n’aurait pu le vivre. Pourtant, nous l’avons vécu » écrit Genevoix. Et encore : « Il faut qu’on sache, on ignore la vérité brutale. » « Tout dire, et qu’on n’en parle plus » écrira Céline, dans un autre registre, à la fin de Voyage au bout de la nuit, que Genevoix avait lu de très près.
Un livre qui a déplu à Gide
La Muse épique, Calliope, est fille de Mémoire. Qui, plus que Maurice Genevoix, eut cette mémoire, et l’amour qu’elle suppose ? Surtout, ne rien oublier, des événements et des êtres. Ceux de 14, dans la force singulière et plurielle du pronom démonstratif qui les désigne, à nous, vivants, ce sont les Poilus tendrement aimés par le sous-lieutenant qui les arrache à l’oubli. C’est le soldat Sicot dont « les yeux éteints montrent la certitude et la peine de mourir. » C’est ce soldat qui, paralysé, sur le point de mourir, désigne, par un regard, à Genevoix, la mort qui le guette s’il ne se déplace pas. C’est aussi ce cheval blanc qui, « agonisant, soulève lentement la tête et nous regarde passer. »
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André Gide n’aimait pas « les romans de guerre » : il ne vit pas le génie de Genevoix, trop style ancien combattant. « Orages d’acier » d’Ernst Jünger, en revanche, fut, pour l’auteur des Caves du Vatican, une révélation. C’est donc un lecteur franco-américain, au nom étrange, qui vit le génie de Maurice Genevoix : Jean Norton Cru. Norton Cru qui n’aimait pas les romans cocardiers et menteurs qui commençaient à faire florès, trouva en Genevoix la vérité des faits (lui-même avait participé à la guerre du côté français) ainsi qu’un art du récit singulier. Il vit que ce récit d’un jeune homme de 24 ans, était le monument de notre époque. Par un hasard du sort, Ernst Junger et Genevoix se trouvèrent face à face aux Eparges et furent blessés le même jour. Bernard Maris, le gendre de Genevoix, qui les réunira dans un récit, écrit : « Genevoix aime les hommes même s’il aime parfois la guerre, Jünger aime la guerre même s’il pleure parfois les hommes. »
Une entrée dans la vie d’une violence inouïe
Ce jour de commémoration du 11 novembre 2020, c’est au peintre allemand Anselme Kriefer et au musicien Pascal Dusapin qu’avait été confiée la confection de six grandes vitrines— pour accueillir des vestiges de cette guerre —ainsi que la tâche de « faire chanter les pierres dans un sentiment doux et affectueux pour honorer la mémoire de Ceux de 14 ». Dans la première partie de cette œuvre inspirée, des voix chantent des textes en latin, tirés de l’Ecclésiaste et de Virgile. Dans l’autre partie, sont énumérés les noms des milliers de morts pour la France lus par des comédiens. Musique qui fait écho à la litanie de pierre des monuments aux morts de nos villages. Idée originale, en tout cas, que de faire dialoguer, en ce lieu, l’Histoire et l’imaginaire contemporain.
Que notre mémoire ne soit pas oublieuse, une fois la nouveauté passée. Ce n’est pas tout de faire entrer, au Panthéon, l’auteur de Ceux de 14. Encore faut-il lire cette œuvre magistrale, rééditée chez Flammarion, en 2013, précédée d’une belle préface de l’écrivain Michel Bernard. Le même Michel Bernard qui a écrit un beau livre « Pour Genevoix » rappelant, si besoin était, que Maurice Genevoix, qui laisse une œuvre romanesque immense, fut un amoureux de la littérature et de notre langue. Elu à l’Académie en 1946, dont il fut le secrétaire perpétuel, il servit la francophonie partout dans le monde.
Pour lui comme pour tous les écrivains — les plus grands, et qu’ils sont nombreux !— la grande guerre fut une entrée dans la vie d’une violence inouïe. Au soir de sa vie, pourtant, Maurice Genevoix qui avait côtoyé la mort de près, revisite son passé déchiré dans un livre magnifique : « La mort de près ». Miracle, là encore, de la mémoire. La « contracture à l’âme » causée par la mort de son ami Porchon, tué aux Eparges, à qui est dédié le chapitre « Sous Verdun » est devenue le regard apaisé de celui qui a vu la mort en face à laquelle est promis tout homme.
Amoureux de la Loire, Maurice Genevoix aimait aussi l’Espagne. Il mourut, le 8 septembre 1980, à Javéa, en lisant un Arsène Lupin.
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