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Mon ami Michel Polac


Tout a été dit sur Michel Polac. Et, pourtant, j’ai l’impression que personne n’a pris la mesure du talent exceptionnel de cet homme modeste qui avançait masqué mais qui, dès qu’il se mettait à l’œuvre bouleversait les règles du jeu, moins par anticonformisme que par fidélité à ce qu’il éprouvait. Jamais il ne s’est soucié de son image et moins encore des honneurs. Il ne cherchait ni à être connu, ni à être aimé, mais à ne pas se trahir. Le résultat paradoxal est qu’il a été célèbre et adulé, tout en demeurant toujours aussi simple et naturel. S’il avançait masqué, ce n’était pas pour tromper son monde, mais uniquement pour que le monde le laisse en paix.

Écrivain, bien sûr, il l’était et son Journal vaut bien ceux d’Amiel, de Jules Renard ou de Gide. Cinéaste, bien sûr, il l’était aussi. Et viendra le jour où l’on reconnaîtra en lui un Lubitsch français. Journaliste, cela va de soi, et l’un des rares à non seulement dire ce qu’il pensait, mais aussi à avoir un appétit insatiable pour les littératures étrangères. À vrai dire, il n’était jamais autant chez lui qu’à l’étranger et sa biographie constitue en soi une œuvre marquée par le dépaysement. Ce Casanova en velours côtelé n’hésita pas à sauter dans le Transiranien pour sauver une belle iranienne.

Homme de télévision enfin et, pour une fois, plus fort que la cage où l’on enferme les pitres, les exhibitionnistes et le pitoyable bataillon de ceux qui visent une gloire éphémère dans ce bocal où, placide, il tirait sur sa pipe et sur toutes les formes d’imposture.

Je ne lui ai pas connu beaucoup d’amis vraiment proches. Il en est un pourtant, sans doute son meilleur ami, avec lequel il avait bien des points communs. Je veux parler du philosophe Clément Rosset. Nous dînions souvent tous les trois dans un petit restaurant italien et je sentais entre les deux hommes une complicité touchante. L’un, Clément Rosset, goûtait les vins, cependant que l’autre, Michel Polac le regardait avec cet œil attendri et moqueur que je lui connaissais bien. Nous parlions aussi bien de la thèse de Jankélévitch que des romans de Theodor Lessing ou des affaires du monde. L’un et l’autre étaient des agnostiques aussi bien en politique qu’en religion. Ils raillaient les vendeurs d’illusions et carburaient à l’humour le plus dévastateur.

Maintenant que Michel Polac est mort, j’ai l’impression qu’il me reste tout à redécouvrir de lui. Il nous a légué ce qu’un homme peut laisser de plus précieux à la postérité : le souci d’être soi en toutes circonstances, sans jamais être prisonnier de son moi. Il souhaitait être hors de lui à la manière d’un maître zen (c’était le titre de son livre : Hors de Soi). Il l’est enfin.



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