Cé-pa-ça-li-slam !


Cé-pa-ça-li-slam !
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Les défenseurs du pas d’amalgame usent de l’expression « ce n’est pas ça l’islam » après chaque attentat. La réalité est bien plus complexe. 


Constatant l’échec cuisant de ses jokers « contextualiser » et « intraduisible », le défenseur autoproclamé du Coran et de l’islam ne manquera pas d’affirmer la force : Cé-pa-ça-li-slam ! Ou parfois une de ses nombreuses variantes : « oui mais moi », « oui mais dans ma famille », ou encore « si vraiment tous les musulmans étaient jihadistes vous seriez déjà tous morts ». Inutile de prolonger inutilement le suspense : face au triste constat du fait que le Coran cautionne (entre autres) l’esclavage sexuel des prisonnières de guerre, ces arguments sont sans valeur. À une nuance près toutefois, qu’il sera intéressant d’examiner (ceci est du teasing, j’assume).

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Commençons par la dernière variante, toujours distrayante. « Si tous les musulmans étaient jihadistes, les kouffars seraient déjà tous morts/asservis/convertis de force. » Certes, ou alors la Russie et la Chine auraient conjointement sifflé la fin de la récréation sans s’embarrasser des scrupules chers aux démocraties occidentales. Ce faux argument regorge de confusions. D’abord, il limite l’islam théocratique au jihad, alors que les adeptes de cette idéologie ont depuis longtemps compris que le soft power est parfois un excellent substitut au hard power – les Frères Musulmans en sont une parfaite illustration. Ensuite, il repose sur un paradoxe : il demande de croire que certains musulmans sont violents et fanatiques alors que l’islam ne le serait pas, ce qui revient à dire qu’il y a des musulmans qui ne suivent pas les préceptes de l’islam. Et en même temps il affirme que si l’islam était intrinsèquement violent et fanatique alors dans ce cas tous les musulmans le seraient, et donc que dans ce cas tous les musulmans suivraient comme par magie les préceptes de l’islam. Enfin, il néglige une observation inquiétante et pourtant fondamentale : partout où les musulmans sont majoritaires, les droits des non-musulmans sont remis en cause (y compris en France à l’échelle de certains quartiers).

Revenons au cœur du sujet : cépaçalislam. Encore faut-il préciser ce que l’on entend par « islam ».

Si par « islam » vous désignez les croyances métaphysiques et la spiritualité de Mohammed Louizi ou Abdennour Bidar, alors en effet ce n’est pas « ça ». Leur religion n’est pas celle des hordes barbares qui voudraient rétablir le délit de blasphème et rêvent de condamner à mort les apostats. Elles portent le même nom, mais il serait absurde de les confondre : aussi j’ai pris l’habitude d’appeler l’une « islam humaniste » et l’autre « islam théocratique », faute de meilleurs termes.

Mais si par « islam » vous désignez le projet de société des minorités militantes cautionné par la majorité silencieuse, alors certes beaucoup disent refuser les méthodes des jihadistes, mais ils en partagent néanmoins les buts essentiels, ou du moins ne s’y opposent pas.

La réalité des sociétés musulmanes d’aujourd’hui

Si par « islam » vous évoquez la réalité des sociétés musulmanes aujourd’hui et depuis 14 siècles, alors il faut sans doute nuancer, mais aussi reconnaître que globalement vous désignez quelque chose de radicalement incompatible avec les fondements même de notre société à nous, et plus encore de notre civilisation. Ne l’oublions pas : l’islam est aujourd’hui la seule religion au monde au nom de laquelle des états punissent de mort l’apostasie, l’athéisme, le blasphème, l’homosexualité. La seule. Dans l’écrasante majorité des pays musulmans, l’apostasie est illégale. Dans beaucoup, l’apologie du nazisme est courante, et Mein Kampf reste un grand succès de librairie. Cette exception islamique, et ce refus quasi-systématique de reconnaître la liberté de conscience dès que l’islam est en position de force, ne peuvent pas être le fruit du seul hasard.

Et si par « islam » vous voulez parler de la doctrine de la religion musulmane, alors vous regroupez sous le même vocable des contradictions profondes. Parlez-vous du néo-platonisme spirituel de Sohrawardî, ou du fanatisme totalitaire d’Al-Qaradâwî ? Si vous voulez dire l’islam « par défaut » en Occident, donc le sunnisme postérieur au massacre des mutazilites par les hanbalites, alors entre la lecture littérale du Coran, le poids des hadiths, le « bel exemple » du prophète et la négation de la conscience morale au profit de la soumission aveugle à l’arbitraire divin, vous parlez bien de « ça » : l’islam théocratique totalitaire.

Et lorsque vos contradicteurs vous diront en boucle que vous n’avez pas compris, que ce n’est pas ce qu’ils croient eux, que ce n’est pas ce que croit leur famille, et que de toute façon il faut des dizaines d’années d’études pour comprendre l’islam ? Peut-être sont-ils sincères, et dans ce cas c’est tout à leur honneur d’avoir su donner à leurs convictions religieuses personnelles une colonne vertébrale humaniste. Mais pourquoi « leur » islam serait-il plus « l’islam » que ne l’est celui des Frères Musulmans ou des wahhabites ? Sans oublier que trop de musulmans sont résolument mutazilites lorsqu’il faut convaincre les kouffars de la supposée innocuité ontologique de l’islam (radicalement contredite, rappelons-le, par 14 siècles d’histoire) mais tout aussi résolument hanbalites dès lors qu’ils sont en position d’imposer leurs convictions…. Quant à ceux qui disent que vous ne pouvez par définition rien comprendre parce que vous n’avez pas assez étudié, demandez-leur quels sont les « savants de l’islam » dont l’approche leur paraît fondée. La plupart du temps, ils ne sauront pas ou n’oseront pas vous répondre. Parfois, vous aurez le plaisir de vous apercevoir que votre interlocuteur est sincèrement et sérieusement adepte d’un islam éclairé, spirituel et non théocratique, ce qui permet des discussions véritablement passionnantes. Mais dans mon expérience les adhérents de ces courants-là ont bien conscience du nécessaire travail critique à entreprendre, entendront vos arguments et y répondront sans prétendre vous disqualifier parce que vous n’avez pas fait cinquante ans d’études coraniques, et ne chercheront pas à vous faire croire que « leur islam » serait « l’islam ».

Une manière de rejeter la responsabilité de l’islam

En vérité, cépaçalislam n’est qu’une manière de fuir le véritable constat, parce que ce constat ouvre sur une responsabilité vertigineuse. En effet, l’islam n’est pas que « ça », mais « ça » fait partie de l’islam depuis ses origines. Et la seule manière de faire en sorte que l’islam ne soit pas « ça », qu’il ne soit plus « ça », c’est de commencer par reconnaître que pour l’instant « ça » est une part de lui, et même une partie dominante, et que l’en extirper, si c’est seulement possible, sera à tout le moins un travail titanesque sans garantie de succès. Mais accepter le déni, c’est se rendre complice du pire.

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Double responsabilité, donc. Pour les musulmans, s’atteler à cette tâche, car y renoncer c’est accepter que l’islam ne soit plus que « ça ». Pour les non-musulmans, exercer une vigilance exigeante, tendre la main franchement à ceux qui œuvrent honnêtement à libérer l’islam du poison qu’il porte en lui, leur apporter notre fraternité et notre soutien, mais aussi affirmer fermement que les autres, les adeptes et les complices de l’islam théocratique – y compris ceux dont la complicité s’exprime par le silence et le laisser-faire – n’ont pas leur place dans notre société.



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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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