Face au terrorisme islamiste, médias et politiques semblent refuser de décrire l’ennemi dans ses ressorts profonds. L’analyse de Philippe-Joseph Salazar, auteur de Paroles armées : Comprendre et combattre la propagande terroriste
Une hostilité nouvelle effraie, mais elle effraie d’abord le langage de notre discours. Il faut en finir avec la rhétorique à sensation des médias et des politiciens de profession, et nommer avec justesse le phénomène. Il y a peu du califat de Daesh, désormais du mouvement de radicale hostilité envers notre monde à nous, une guérilla qui s’étend du Tchad au Mozambique, de Nice à Conflans-Ste-Honorine.
La classe politique et les relais médiatiques résistent devant l’appellation de l’hostilité : même le mot de « haine », si vif à être infligé sur tout ce qui déplaît au consensus européen, n’est pas appliqué à la guérilla islamique. Notre discours hésite, vacille, s’intimide lui-même. La cause en est que la violence est, dans nos sociétés, encadrée par la loi (à chaque violence correspond un délit ou un crime) et réduite à des rhétoriques explicatives (sociologie, psychologie, etc.), en vue de la cantonner dans l’idéologie dominante des groupes humains comme objet de gestion (la prévention et la réinsertion) avec pour arme dérisoire et futile : la dissolution des groupuscules. Comme on dit en américain : technique policière du « wack a mole », « estourbir un mulot », qui ressort plus loin. Les terriers s’étendent en réseaux. Et que fait l’État ? Des discours. On discoure sur le mulot.
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Les guerriers de l’Etat islamique sont devenus les partisans d’une guérilla
Car quand surgit la véritable violence, avec sa bande son et sa bande image, ses sacrificateurs et ses victimes, ses appels et ses harangues, se crée un trouble de langage : pouvoir et médias veulent nous priver de mots exacts pour dire ce qui se passe, et nous voilà réduits à user d’un glossaire dévalué, face au défi insupportable de cette nouvelle violence : « islamo-fascisme ». Seul un ignorant peut dire ça. Le fascisme (ou le stalinisme) serait probablement le seul rempart efficace, et violent, contre la guérilla religieuse islamique.
La propagande djihadiste, encore nourrie et inspirée de l’immense bibliothèque virtuelle du califat de l’Etat islamique est claire : il faut tuer tout représentant de l’État ou de la religion honnie où le djihadiste vit, en attente de la reprise du territoire par la guerre, la démographie et la conversion. Pour le califat la France est occupée par des ennemis – des mécréants et leurs alliés et serviteurs, les « musulmans modérés ». La gendarmerie et la police, et désormais l’armée déployée, sont des forces d’occupation. Du coup le djihadiste doit résister à l’occupant en pratiquant la guérilla et devenir partisan. Les actions de partisans n’ont pas cessé depuis cinq ans. Chez nos voisins, Londres a même été surnommée « la capitale des attaques au couteau ».
Comme l’y incitait voilà cinq ans la propagande califale, il faut faire arme de tout objet. C’est-à-dire que non seulement, jusqu’à l’attaque, le partisan disparaît dans l’anonymat des foules, mais il peut faire disparaître l’arme dans la banalité des ustensiles de tous les jours – couteau, hachette, hachoir. Un partisan « se fond dans le décor » (une expression qui date, justement, de la guerre de partisans). S’habiller « jeune » ou en migrant sur un bateau est un déguisement. Un jour viendra où un partisan s’habillera étudiant Sciences-po pour assassiner un gendarme à Saint-Germain des Prés. « Loup solitaire » dit-on, mais oublie-t-on, à bien réfléchir à cette métaphore, qu’un loup marche en horde ? [tooltips content= »Anonyme, ISIS supporter threatens wave of terror attacks in major Western cities, offer operational advice to one wolves, MEMRI s Jihad and Terrorism Monitor, 22 janvier 2015, memrijttm.org »](1)[/tooltips] Il peut attaquer seul. Mais la horde est aux alentours, réelle sur le terrain ou sur le terrain Internet. Nous n’avons même pas le courage logique de nos métaphores.
C’est donc le combat de l’irrégulier contre le régulier, du soldat sans uniforme, qui se fond dans le paysage urbain, contre le soldat régulier qui devient une cible – les attaques visant des militaires en France, en Grande-Bretagne, aux États-Unis, au Canada ont été nombreuses ; celles dont on nous parle, et celles dont on ne nous parle pas, et celles dont on maquille la réalité. L’essentiel est ici : tout soldat régulier est cible du partisan. Les médias ont appelé le professeur de collège Samuel Paty un « hussard de la république », vieille expression radical-socialiste du temps de l’école obligatoire : le mot est juste pour les djihadistes un instituteur est un soldat. Un prêtre aussi, milicien du Christ. À égorger.
Les attaques terroristes sont des actes politiques
Une deuxième erreur que commettent volontairement nos faibles politiciens gestionnaires à vue est de ne pas vouloir nommer ces attaques pour ce qu’elles sont aussi : des actes politiques. L’acte dit de terreur commis par un partisan est en effet un acte politique, un acte qui l’aligne sur un parti. Le parti de dieu à ses yeux. Il ne s’agit pas de terrorisme mais de guerre politique au sens le plus acéré de l’expression – une guerre qui vise la nature même du politique tel que nous le vivons. Le djihadisme hérité du califat d’ISIS et toujours inspiré par lui a ceci de commun avec les organisations révolutionnaires qu’il exige une belligérance totale, une réquisition absolue de ses partisans. Le partisan djihadiste fait intégralement partie d’une mission politique. On peut médicaliser et psychologiser et sociologiser autant qu’on veut pour « expliquer une radicalisation », le fait est que tous ces partisans d’une guérilla islamique sont corps et âme à un idéal qui les rend autres et, à leurs yeux, mieux qu’eux-mêmes. Leur sacrifice n’est pas dans l’ordre du possible mais dans l’ordre du désir.
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Quand surgit face à nous ce retour du partisan politique, et donc d’une guerre politique, nous sommes mentalement désarmés, et nous nous confortons par des explications amorphes face à ce qui fait le fond du phénomène religieux de la croyance transférée ici dans l’acte politique : le sacré ne se distingue pas du profane par une différence de grandeur, un plus ou un moins sur l’échelle de nos codes et valeurs, mais par une différence de nature : une hostilité radicale à tout ce que nous sommes, à tout ce que nous voulons être, à tout ce que ceux et celles dont sommes les descendants furent et voulurent que nous soyons.
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