Éditrice à Fayard, la compagne de Yannick Jadot s’est fait connaître en publiant de vastes enquêtes sur la malbouffe, la viticulture ou les coulisses de l’agriculture. Elle s’attaque dans son dernier ouvrage aux normes administratives. Très critique des maires EELV récemment élus, elle se défend de vouloir verser dans le populisme “vert”.
Causeur. Êtes-vous infiltrée à EELV pour préparer votre prochaine enquête-scandale ?
Isabelle Saporta. Non. (Rires) Je ne suis pas infiltrée à EELV, car je n’y suis pas du tout. Je n’ai jamais été encartée de ma vie. Lors des municipales à Paris, je me suis battue pour faire exister une coalition climat capable de rassembler des personnalités différentes. Je n’ai pas renoncé à faire de la politique. Je pense d’ailleurs en avoir toujours fait, même si je n’en dépends pas financièrement. La politique est aujourd’hui le travail de ceux qui se présentent et ils n’ont pas envie de le perdre. Je le comprends, mais ce n’est pas ma vision.
J’aime pouvoir réfléchir en dehors des cadres. J’aime garder une totale liberté de ton et de parole. Surtout, j’aime pouvoir parler à qui je veux. Je ne sais pas si les partis politiques sont définitivement dépassés, mais quand on écrit des livres, c’est précisément pour essayer de convaincre le plus grand nombre, indépendamment de la manière dont chacun vote. Je ne suis ni de droite ni de gauche, je suis écolo !
Mais vous publiez un bouquin de droite ! Vous y dénoncez les centaines de milliers de normes françaises aussi bien que le ferait Agnès Verdier-Molinié. C’est à chaque page la bureaucratie parisienne contre les solutions et le « bon sens » des provinciaux.
Au-delà des normes, mon livre s’attaque surtout à la technostructure, à son inclination à l’instabilité réglementaire et au manque de pérennité dans les subventions. Il y a trop d’étages en France. Après le Haut-Commissariat au plan confié à François Bayrou, on vient de nous rajouter une épaisseur de plus avec les sous-préfets à la relance, de jeunes diplômés placés sous le contrôle d’Amélie de Montchalin. Ne pouvait-on pas laisser les régions, les maires gérer les choses ? En France, pour chaque problème, on crée une nouvelle autorité administrative. Ces autorités sont toujours composées des mêmes : des gens qui viennent du Conseil d’État, de la Cour des comptes, de l’Inspection des finances, bref des énarques. Ce sont les mêmes gens qui aspirent à entrer dans les cabinets gouvernementaux. Il faut être capable de casser le moule et donc de casser l’ENA. La technostructure n’est pas à la hauteur, je vous rappelle nos déboires pendant le Covid. L’avenir de la France, ce sont les régions et donc les maires. Si je me suis énervée contre les maires écolos, c’est parce qu’on attend beaucoup d’eux.
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Il y a un petit côté populiste dans cette dénonciation de « la caste qui paralyse notre pays ». Vous verriez-vous incarner l’écologie populiste aux côtés de Yannick Jadot ?
J’appelle de mes vœux une écologie populaire. Selon moi, ce n’est pas populiste. C’est la gauche qui a un problème si elle s’est coupée des milieux populaires.
Yannick Jadot, c’est Yannick Jadot, et je suis moi. Je suis engagée depuis vingt ans, mes livres m’ont coûté cher et m’ont valu des procès. Il faut en finir avec cette image de la femme qui n’aurait plus de neurones dès qu’elle est en couple. J’ai 44 ans et je garde ma propre ambition.
D’où est partie la fronde des Gilets jaunes ? D’une énième taxe sur l’essence. Ce mouvement ne disait pas « on a envie de polluer », mais plutôt « on est dans la France de la diagonale du vide, on est abandonnés ». On ne peut pas retirer aux gens la voiture en les traitant de pollueurs, sans trouver de contrepartie.
Les polémiques du sapin de Noël ou du Tour de France sont absurdes. J’ai parlé d’un mépris de classe et je le maintiens.
Reste que vous faites partie de la famille écolo. Certains propos et décisions des nouveaux élus EELV ont défrayé la chronique. Mais il est interdit de les qualifier de « khmaires » verts ou d’ayatollahs de l’écologie…
Je n’ai pas de liens fréquents avec ce parti. Je ne fréquente pas les élus en question. Les polémiques du sapin de Noël ou du Tour de France sont absurdes. J’ai parlé d’un mépris de classe et je le maintiens. Jacques Boutault, élu à Paris, dit que ce sont des chômeurs avachis sur leur canapé qui regardent le Tour de France. Le Tour de France est au contraire une fierté pour tous les villages qu’il traverse. La France coule dans mes veines et j’aime ce qui la constitue. Je ne sais pas comment le maire de Lyon ou M. Boutault pensent, mais je ne vois pas comment ils comptent emmener les Français derrière eux vers la transition écologique après leur avoir craché au visage.
Pour rappel, à Grenoble, le maire pense que les Français attendent le déploiement de la 5G pour regarder du porno dans les ascenseurs. À Lyon, le maire envisage de ne plus accueillir le Tour, s’il n’y a pas aussi une course féminine. Le maire de Bordeaux ne veut plus d’un « arbre mort » qui lui fait honte. Quiconque n’est pas de son avis est en outre qualifié de facho. Et ajoutons le maire de Colombes qui compare des opérations de police à la rafle du Vel d’Hiv’. Ces bigoteries un peu bobo sont largement rejetées. On finit par se dire qu’ils n’aiment pas la France.
Je ne sais pas s’ils n’aiment pas la France. En fait, simplement, je ne les comprends pas. Ma colère ne vient pas tant de ces polémiques, qui ne sont pas très intéressantes, que du fait que ce n’est pas là qu’on les attend. Ils ne sont plus chef de section ou chef de parti. Élus de la République, ils ne parlent plus à des militants, mais à des concitoyens, même à ceux qui n’ont pas voté pour eux. Ils ne peuvent pas braquer les gens, les mépriser et espérer les convaincre. Ça n’a pas de sens.
La transition énergique, la rénovation thermique, la fin de l’incinération de nos déchets, la végétalisation des villes, le renouveau des transports, la réinvention du rapport avec les banlieues, le Grand Paris ou le Grand Bordeaux, ce sont des chantiers colossaux. Qui demandent une adhésion de la population. Quand on voit le taux d’abstention, avec 60 % aux municipales, il convient d’être modeste et de travailler.
En revanche, à Causeur, vous prétendez qu’il n’y a pas de vague verte. Mais quand on voit Bordeaux, Marseille, Strasbourg ou Lyon, vous ne pouvez pas nier qu’il y a une très forte envie d’écologie dans les métropoles. Il faut transformer cette envie en véritable phénomène national. Il ne faut pas laisser croire que l’écologisme est fait pour le bobo urbain.
En attendant, l’écologie politique n’est-elle pas vouée à l’échec par sa volonté obsessionnelle d’être à gauche ? Dénoncé comme un réac par son camp, Jadot refuse de nous parler, par peur de voir son image droitisée. Si c’est comme ça qu’il rassemble…
Pardonnez-moi de vous répondre un peu sèchement, mais je ne suis ni la porte-parole ni l’attachée de presse de Yannick Jadot. Je vous parle. Et je continuerai à parler à tout le monde, car je pense qu’il faut convaincre ceux qui ne le sont pas encore. Et briser l’entre-soi.
L’écologie ne peut pas être un championnat de collapsologie ou de décroissance
Reste à résoudre une équation impossible : comment concilier croissance économique et transition écologique ? Même s’il est agaçant de voir des élus boire les paroles de Greta Thunberg comme celle du Messie, on peut comprendre qu’ils jouent sur la peur de l’apocalypse pour mobiliser.
L’écologie ne peut pas être un championnat de collapsologie ou de décroissance. J’ai deux enfants et j’aspire pour eux à un monde meilleur, à un futur. Par ailleurs, la transition écologique pourrait au contraire générer une très belle croissance économique, pourvoyeuse d’emplois indélocalisables. Par exemple, pour la rénovation thermique des seuls bâtiments publics, il faudrait 12 milliards d’euros par an pendant trois ans ! Cela créera 600 000 emplois en France. Et si on fait la même chose pour les bâtiments privés, à hauteur de 30 milliards pendant dix ans, ce seront 1,5 million d’emplois supplémentaires.
On ne peut pas donner pour seul horizon à notre jeunesse et à la population la vision de la fin du monde. Il faudra aussi réimplanter les industries. En France, les énarques ne s’intéressent pas à l’industrie, on ne peut pas continuer comme ça. Cela demande beaucoup d’ambition politique. Nous devons agir aujourd’hui pour construire des champions européens pour les transitions énergétique, médicale ou sanitaire. Au lieu de rejeter les nouvelles technologies comme la 5G, les écologistes devraient se saisir des opportunités qu’elles recèlent : par exemple, la 5G peut aider à combattre les déperditions d’eau (il y en aurait jusqu’à 20 % aujourd’hui). Le rapport de l’Arcep sur la 5G, très attendu, est primordial. Pour autant, et dans le même temps, nous devons œuvrer à la création d’un champion européen de la 5G ! Il faut réfléchir, mais il faut avancer.
Nous ne devons pas pleurer avec Greta Thunberg, mais nous retrousser les manches pour œuvrer à une transition énergétique créatrice d’emplois, pour accompagner les paysans vers une autre agriculture moins consommatrice de pesticides. Pour repenser et relocaliser des emplois pérennes dans nos régions. J’écris pour fournir des armes aux militants engagés.
Isabelle Saporta, Rendez-nous la France !, Fayard, 2020.