Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, devrait être remplacé, selon des informations du Point. Et on laisse en place Jean-Louis Bianco, président de cette institution qui est de fait la cinquième colonne de l’islamisation de la France ?
J’ai débattu dans le passé avec Bianco, qui voulait bien passer avec les fanatiques des accommodements — c’était à propos de l’autorisation donnée aux étudiantes de venir voilées à l’université. J’en suis arrivé à réclamer (c’était il y a plus de quatre ans déjà — on en est toujours au même point, avec les mêmes verrous à faire sauter) la démission de ce béni-oui-oui de la laïcité à géométrie variable.
Or, il en est de la laïcité comme du « Je t’aime ». Toute variation est mortelle. Une flexion temporelle, « je t’aimais », ou l’adjonction d’un adverbe, « je t’aime bien » —, et l’histoire de Roméo et Juliette s’effondre. Toute entorse à la laïcité, tout compromis sur les principes, et c’est la porte ouverte à toutes les compromissions.
Laïcité est un mot intraduisible. L’équivalent qu’en proposent les dictionnaires français-anglais, « secularism », est une approximation. Les lexicographes ont bien compris que le mot implique le refus du religieux et le recours au temporel contre le spirituel, mais ils peinent à rendre compte des implications strictement françaises du terme. En fait, « laïcité » fait partie, avec « béarnaise », « maître d’hôtel » et « blasé », de ces mots que les Anglais conservent tels quels — tout comme nous conservons « snob » ou « dandy ». Il est des caractères spécifiques, irréductibles au passage d’une langue à une autre, parce qu’ils témoignent d’une culture particulière. Et la laïcité est de ceux-là.
Le mot d’ailleurs n’apparaît en français qu’à l’aube de la IIIème République, à laquelle il est indéfectiblement associé. Son apparition (en 1871, dit Littré) précède à peine l’enseignement public des années 1880 et les lois laïques de 1905. L’un nourrit l’autre.
Un Français ne supporterait pas qu’un Président de la République nouvellement élu prête serment sur la Bible. Il est incrédule (c’est le cas de le dire) quand il apprend que règnent, dans certains pays, des partis religieux. Ça lui est même si incompréhensible que cela peut le mener à des faux-pas (un autre terme que les Anglais nous ont emprunté tel quel) fort dommageables en diplomatie. Nous ne comprenons rien à l’Iran des mollahs, rien à l’Arabie saoudite wahhabite, rien à Israël, ni à une foule d’autres États — les États-Unis par exemple, dont des zones entières sont définies par cette « Bible Belt » qui conditionne largement le vote de ses concitoyens. Qu’il y ait en Utah un crime de sodomy nous fascine, tant cela nous paraît exotique.
Nous payons, via l’impôt, l’entretien des lieux de culte depuis 1905, mais nous ne supporterions pas que figure sur nos relevés fiscaux l’indication d’une foi qui nous amènerait à verser un pourcentage directement dans les caisses de telle ou telle congrégation — y compris, comme en Allemagne, dans celles d’une secte comme la Scientologie. Et nous n’autoriserions pas les religieux à ne pas payer d’impôts, comme en Grèce.
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C’est cela, être laïque : notre tolérance consiste à ne pas tolérer, parce que nous ne pouvons pas imaginer (et nous n’avons pas les mots pour cela, ce qui ne se conçoit pas bien ne s’énonce pas clairement) un État qui passerait des compromissions avec les Églises. En 2014, les contorsions de l’Observatoire de la laïcité sur le régime du Concordat en Alsace ont amené des protestations nombreuses : la tolérance dont font preuve en la matière Jean-Louis Bianco et ses acolytes ne nous paraît pas française. C’est, à la rigueur, celle de John Locke dans son Traité sur la tolérance — mais justement, 1689 n’est pas 1905, et toleration — le terme par lequel on a traduit immédiatement en anglais le tolerantia du philosophe — n’est pas la tolérance de Voltaire un demi-siècle plus tard, quelque anglophile qu’ait été le philosophe de Ferney.
Alors, que penser de la « laïcité ouverte », ou « aménagée », proposée jadis par la Droite, ou de la laïcité « aménagée » que cherche à imposer une Gauche communautariste ? Que penser de la présence de la France Insoumise ou de l’UNEF à une manifestation conspuant leurs amis d’il y a quelques mois ?
« Compromissions » : les mots qui viennent à l’esprit sont déjà péjoratifs. La « laïcité à la française » (on aura compris que c’est un pléonasme, tant la laïcité est essentiellement française) ne peut formuler, entre l’État (et le citoyen engagé dans la Cité) et les églises (et l’individu dans son particulier) d’autre règle qu’une ignorance réciproque (tout comme, quand on y pense, la sodomie condamnée aux États-Unis). La laïcité suppose une division bien nette entre ce que l’on doit à César et ce que l’on croit devoir à Dieu. Après tout, c’était le sens du message évangélique avant que l’Église ne s’aperçoive qu’il y a du pouvoir à glaner dans le champ de la foi. Il nous a fallu un peu plus d’un siècle, entre la Révolution française et la loi de séparation de l’Église et de l’État, pour retrouver le sens complet de cette injonction : l’État ne se mêle pas de la foi, et ne tolère pas que la foi empiète sur ses prérogatives. On en revient à la déclaration du comte de Clermont-Tonnerre à l’adresse des Juifs en 1789 : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus ».
Parce que de nation, il ne saurait y en avoir qu’une, et la nôtre est laïque. Mettez ce que vous voulez à la place de « Juifs » dans cette phrase célèbre et fondatrice — « Musulmans », « Catholiques », « Bouddhistes », que sais-je. Le principe est le même : la division bien nette entre la Foi et l’État.
Dès que l’on bâtit des ponts entre les deux, on entre en hérésie républicaine. La foi vampirise en ce moment la République. Elle la cannibalise. Dix millions de croyants (au mieux) prennent soixante millions d’agnostiques en otages — et les assassinent de temps à autre.
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Que 70% des jeunes musulmans pensent que la foi est supérieure à la loi témoigne de l’échec des politiques éducatives, vidées de leur contenu depuis trente ans par des pédagogues aventureux et parfois complices. Le discours de la tolérance moderne est en fait un discours d’exclusion : tolère-moi ou je te tue.
Alors, oui, redéfinissons les missions de l’Observatoire de la laïcité, et pour cela, débarrassons cet organisme de tous les croupions qui l’encombrent. Que le gouvernement, qui a peut-être enfin compris comment regagner le terrain perdu devant les gilets jaunes, la gestion catastrophique du coronavirus, la montée de la pauvreté et la faillite organisée des plus humbles, individus ou entreprises, se saisisse de cette croisade (le mot choquera les anti-colonialistes professionnels, mais qui s’en préoccupe ?) et redonne d’un côté aux enseignants des programmes clairs, un soutien sans faille de la hiérarchie contre les menées de quelques parents d’élèves téléguidés, un grand lessivage des suspects, et une tolérance zéro vis-à-vis de ceux qui croient grignoter pas à pas la République sous prétexte de respect de la démocratie — dont ils se fichent pas mal, à l’arrivée. La liberté de parole accordée imprudemment aux élèves par la loi Jospin en 1989 doit s’effacer devant la nécessité de se taire et d’écouter. Peut-être alors comprendront-ils que la laïcité autorise les garçons à être assis près des filles sans avoir peur d’être souillés, et qu’elle implique une connaissance des faits historiques, scientifiques, culturels sur lesquels est bâtie notre civilisation — la nôtre à l’exclusion de toute autre.
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