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Mohammed Ben Salmane, le trône et l’hôtel

L’absolutisme 2.0


Mohammed Ben Salmane, le trône et l’hôtel
Mohammed Ben Salmane en visite à Alger, 2 décembre 2018. © RYAD KRAMDI / AFP

Féru de nouvelles technologies, le prince héritier d’Arabie saoudite a rompu avec l’équilibre traditionnel entre les différents clans du royaume. Comme le montre l’assassinat de Jamal Khashoggi en Turquie ou la séquestration du Premier ministre libanais dans un hôtel, son despotisme 2.0 ne connaît pas de frontières.


En mai 2018, les forces de sécurité saoudiennes arrêtent la féministe Loujaine al-Hathloul, qui milite pour le droit de ses concitoyennes de conduire une voiture et de voyager sans chaperon masculin. Selon l’explication officielle, al-Hathloul aurait « établi des contacts avec des éléments étrangers dans le but de déstabiliser » le royaume. Quelques semaines plus tard, Mohammed Ben Salmane (MBS) autorise les femmes à conduire puis abolit la nécessité d’une autorisation masculine pour quitter le pays. Pour qui connaît mal le prince héritier, l’épisode peut sembler contradictoire. D’après Ben Hubbard, journaliste au New York Times et auteur de la biographie The Rise to Power of Mohammed Bin Salman, aux yeux du probable prochain monarque saoudien, les libertés ne sont pas des droits, mais des privilèges accordés gracieusement par un souverain à ses sujets. On pense à la célèbre scène du film Lawrence d’Arabie quand le chef de tribu incarné par Anthony Quinn tergiverse avant de céder à l’argument massue de l’officier anglais : vous n’agirez ni par contrainte ou obligation ni par appât du gain, mais parce que c’est votre bon plaisir !

The Rise to Power of Mohammed bin Salman fourmille de ce genre d’anecdotes. S’y dessine le portrait d’un personnage aussi fascinant qu’effrayant, mélange unique de modernité technologique et managériale d’un côté, d’archaïsme de l’autre. Un alliage d’autant plus surprenant que ce jeune homme de 35 ans n’était pas destiné à gouverner.

MBS est non seulement parvenu à concentrer tous les pouvoirs mais aussi à changer le régime

C’est seulement grâce à une série d’« incidents dynastiques » (la mort de ses frères) que son père Salmane, vingt-cinquième fils du fondateur de l’Arabie, le roi Abdelaziz, et simple gouverneur de Riyad pendant cinquante ans, est devenu prince héritier en juin 2012 puis monarque le 23 janvier 2015. Quant à MBS lui-même, né le 31 août 1985, il n’est que l’aîné de la troisième épouse de son père, occupant donc une position en principe très basse dans l’ordre de la succession. Autre singularité, Salmane n’a pas amassé de fortune considérable ni exercé de postes ministériels importants le mettant en contact avec le monde extérieur. Dans ces conditions, MBS, qui avait peu de chances d’accéder au pouvoir, est l’un des rares princes qui n’avaient pas étudié à l’étranger, ne maîtrisaient pas l’anglais et n’avaient que rarement quitté les frontières de leur pays. En somme, MBS et son père sont les plus « bédouins » des princes saoudiens.

À défaut de lui ouvrir les portes du monde, Salmane a méticuleusement fait découvrir son pays à son fils préféré. En accompagnant son père à ses rendez-vous, MBS a rencontré les personnages clés des différentes tribus, s’initiant aux subtilités, us, coutumes et rapports de forces de la politique tribale. MBS a également mis à profit ce long apprentissage – commencé à 16 ans – pour connaître le système religieux saoudien, particulièrement complexe. Il faut rappeler que la longue ascension de la maison des Saoud est intimement liée à leur alliance au xviiie siècle avec Mohammed Ben Abdelwahhab, promoteur d’un islam radical (au sens littéral de « retour aux sources ») et puritain.

Bon connaisseur de la société et du système politico-religieux de son pays, MBS a compris que l’Arabie saoudite était otage de sa rente pétrolière. Au-delà du spectre de l’épuisement des ressources, maintes fois annoncé depuis les années 1970, l’enjeu est de diversifier l’économie,


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Octobre 2020 – Causeur #83

Article extrait du Magazine Causeur




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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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