L’historien François Broche passe Les Mitterrandiens en revue dans un ouvrage captivant
Il faut bien admettre que le dernier Président de la Vᵉ République fut François Mitterrand. Sa stature pharaonique malgré sa taille modeste, sa brutalité byzantine, son goût des livres et du secret, sa parfaite connaissance de la province chardonnienne et de ses paysages désolés, son autorité naturelle comme si l’Élysée lui était dû et que nous étions ses sujets redevables à vie, son appétit pour les belles femmes et les oiseaux protégés, sa fidélité corrosive et ses manières de prince vénitien le plaçaient hors-catégorie, dans une galaxie à part.
Stratégie et talent
Après lui, nous n’avons connu que des ébauches, des personnages en pointillé n’incarnant pas totalement le rôle et la mission d’un Président élu au suffrage universel direct. Mitterrand, sur le modèle gaullien, a fait du romanesque, le squelette de son ascension politique. Il a écrit une fable, s’arrangeant avec la vérité et les faits, brusquant le réel, le tordant afin qu’il entre dans ses rêves d’adolescent.
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Les idées sont accessoires dans une démocratie, les débats trop ennuyeux, les journalistes idiots, les militants un mal nécessaire, l’argent un moyen comme un autre dans cette quête absolue du pouvoir, le seul être qui compte demeure l’électeur, cet anonyme dans la foule. C’est vers lui que l’énergie et la persuasion sont orientées, c’est pour lui que la stratégie et le talent se mettent en action. On lui raconte n’importe quoi et il le sait pertinemment. Une élection est un jeu de séduction, de dupes aussi, il faut être deux pour y participer.
Cet électeur réagit comme un lecteur d’Alexandre Dumas, il souhaite s’extraire de son état de citoyen, il veut croire lui aussi aux forces de l’esprit, à la beauté d’une épopée. Se rendre dans l’isoloir un dimanche pluvieux, c’est un moyen de transcender son existence, d’enjoliver un triste quotidien. Alors, cet électeur attend de l’exceptionnel, de l’inattendu, des mots qui blessent, de la dramaturgie, des enfants cachés, des zones d’ombre, des rebondissements, des échecs à la limite de l’infamie et des retours de flamme, de flambe même.
Libéral déguisé sous les oripeaux du socialo
Cet électeur en a marre des doublures en tissu synthétique et des remplaçants en carton-pâte, il a encore en tête le froissé de la soie sauvage à la sortie d’un conseil des ministres et le visage d’un aigle dans l’hémicycle, prêt à dépecer son adversaire. Un type qui impose par sa simple présence, le silence et le respect, la crainte et l’émotion gamine. Malgré un bilan plus que mitigé et une haine tenace des deux bords, on reproche encore aujourd’hui à Mitterrand d’avoir été le fossoyeur de la Gauche et de la souveraineté, l’allié objectif du Front National, le libéral déguisé sous les oripeaux du socialo, le démago de l’antiracisme, le droitard maquillé en progressiste, le démarcheur de la mondialisation ou le technocrate câblé, peu importe les appellations disgracieuses, car, même ses plus féroces détracteurs regardent cette vie politique folle, démarrée au stalag jusqu’à sa scénarisation au Panthéon comme une tapisserie du moyen-âge.
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Chacun se dit que l’époque actuelle est bien terne, bien décevante, insipide et terrible, elle ne peut faire émerger que des premiers de la classe. Charles Pasqua regrettait que la classe politique qui n’a pas connu les affres et les émotions intenses de la guerre ne puisse rien comprendre à l’âme humaine. La nouvelle génération manque de repères, de toucher et de hargne, d’instinct et de flamboyance. Nous sommes à l’ère des ânonneurs officiels et non plus des meneurs au charme vénéneux. Pour se remémorer un tel destin qui nous semble déjà si lointain, Les Mitterrandiens viennent de paraître aux éditions Pierre-Guillaume de Roux. François Broche, historien spécialiste de la France libre et du général de Gaulle, auteur notamment de L’Armée française sous l’Occupation (2002-2003) ou du Dictionnaire de la Collaboration (2014) nous fait voyager dans le temps. « Cinquante ans durant, il ne nous a jamais laissés indifférents. Quoi qu’on ait pensé de lui, cela ne pouvait que créer des liens que la mort ne pouvait rompre, ni même distendre » écrit-il dans son avant-propos.
Cartographie des miterrandiens
François Broche, par son don de la synthèse et la précision de son regard cartographie les Mitterrandiens, il y a les Charentais, les étudiants du 104 de la rue de Vaugirard, les prisonniers, les vichystes, les vichystes-résistants, les résistants, les hommes de la IVème, les journalistes, les femmes, les écrivains, les hommes de l’ombre et même les médecins. Par ses entrées multiples, on est fasciné par l’épaisseur du personnage Mitterrand qui a constitué des cercles étanches tout au long de sa carrière, sans jamais ne rien retrancher de son passé, sorte de mille-feuilles politico-sentimental abyssal. Sous la plume plaisante de François Broche, le monde d’avant prend forme, il se met à s’animer devant nos yeux, nous entendons résonner des noms sortis des douves de l’histoire tels que Claude Roy, Pierre de Bénouville, François Dalle, Georges Dayan, Paul Guimard ou François de Grossouvre. Et les 350 pages de ce solide ouvrage se lisent d’une seule traite.
Les Mitterrandiens de François Broche – éditions Pierre-Guillaume de Roux
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