Dans son cuir noir moulant, comme une greffe de nuit sur un corps fluide et musclé, Elvis revient, en 1968, après une dépression, et quelques films bien propres à composer une soupe de navets. Sa voix est intacte, sonore. Le beau gosse qui fait la moue est de retour au camp de base : il incarne nerveusement l’origine gospel de sa vocation, augmentée de rhythm’n blues. Il administre sur la plainte noire des fondateurs une brusque impulsion « pelvienne » de jeune blanc, déchiré entre les imprécations du pasteur contre le démon de chair et les fous rires nerveux des filles choucroutées à la peau laiteuse. On cherchera en vain une trace de guimauve dans son rock viril, même dans ses protestations les plus sentimentales. Au physique, amusé de lui-même, généreux, gai, terriblement et naïvement « sexe », il est la beauté américaine au sang mêlé d’indien cherokee et de vieille Europe, avec quelque chose du Tennessee, plus exactement du Mississipi.
Auprès de lui, quelques-unes des plus belles « cordes » du pays : Dominic Joseph Fontana, batteur (sur une caisse de guitare), Alan Fortas, Charlie Hodge, Lance LeGault et Scotty Moore (ce dernier et Fontana suivaient Elvis depuis le début de sa gloire). Leur son, impeccable, est souple et sec, maîtrisé parfaitement, comme produit par un matériau d’enchantement.
Cette forme de récital, en direct, au milieu d’un public restreint, fonde la manière qu’on nommera plus tard « unplugged ». Elvis et ses boys se trouvent sur une estrade, entouré d’un public sage en apparence, mais en transe contenue, essentiellement féminin, fasciné par ce mâle très brun en peau d’agneau aussi lustrée que sa chevelure.
Il ne retrouvera jamais plus une telle intensité, une telle aisance, un tel bonheur dans l’interprétation. Elvis est jeune et sauvage pour la dernière fois.
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