Imaginez un drôle de livre de plage, aussi agréable à lire qu’indispensable pour comprendre la vie politique des trente dernières années, donc aussi des trente prochaines. C’est signé Giesbert, ça s’appelle Derniers carnets et c’est vraiment les derniers, foi de FOG ! Après, l’auteur consacrera le reste de son âge à sculpter ses oliviers le jour et ses romans la nuit ; plus jamais, c’est promis, il ne donnera dans la chronique politique.
La preuve : notre corsaire brûle ses vaisseaux ! Pour cet ultime opus, il a « vidé les carnets à spirale » dans lesquels il notait tout depuis toujours, comme en témoigne le sous-titre du livre, Scènes de la vie politique en 2012 (et avant).
Giesbert nous entraîne jovialement, à travers le temps, dans les coulisses et les bas-fonds d’un milieu qu’il connaît mieux que quiconque. Pour pimenter ses révélations, ce hooligan n’hésite même pas à trahir les secrets du vrai-faux « off » en vigueur de nos jours. Une pratique sévèrement condamnée par les deux vigies déontologiques de « On n’est pas couché ». Pour Mesdemoiselles Pulvar et Polony, c’est du « journalisme de spectacle », par opposition à un « journalisme d’idées » qu’elles sont, croit-on comprendre, censées incarner.
De fait, FOG vide ses carnets comme on viderait un sac, d’où tombe pêle-mêle tout le personnel politique des trente dernières années, et souvent avec un bruit sec.[access capability= »lire_inedits »] C’est le côté trash du bouquin, qui n’est pas le moins plaisant. À grand renfort d’anecdotes qui tuent et de tableaux assassins, l’auteur (du massacre) assaisonne ses victimes comme des tartares au couteau.
Mais l’exercice n’est pas gratuit. Derrière ricanements et emportements, l’ami FOG manifeste un authentique souci de la France. S’il s’en prend à une classe politique désespérément médiocre, c’est au nom de la haute idée qu’il se fait de la chose publique : « La France a des hommes d’État […] mais elle leur préfère les ramenards, les pompeux, les bateleurs de foire. »
« Des noms ! » a-t-on envie de scander − mais on n’en a pas le temps, tant Giesbert lui-même est pressé de balancer. Sarkozy, bien sûr, en prend pour son grade (de l’époque). Tour à tour « pitbull » et « serpent à sonnette », il reste en tout cas l’arriviste par excellence, fort avec les faibles et duplice avec tous.
Mais ce n’est rien encore comparé à Balladur, pour qui FOG sort carrément la tronçonneuse. Son idéologie ? Un « mélange d’affairisme et de goinfrerie ». Les années Balladur ? « Le Fouquet’s tous les jours ! » Quant à Édouard, qualifié de « pire premier ministre de toute l’histoire de la Ve République », soit j’ai mal lu, soit Franz-Olivier le traite carrément de trou du cul. « Cet homme, écrit-il, semblait toujours vous présenter son postérieur avec sa bouche en forme de fondement, ce qui expliquait son air si pénétré. »
« Violence hallucinante ! » se récrient nos deux commères-pas-couchées. Apparemment, elles n’ont jamais lu ni Bloy ni Daudet ni Trotski, ni aucun autre Léon.
La cible favorite de Giesbert, ce sont les « dettophiles » : un assemblage hétéroclite de « trotskistes et souverainistes, syndicalistes et patrons », persuadés contre toute évidence qu’il y aurait une « bonne dette », comme il y a un bon cholestérol.
Mais le pire, c’est qu’au-delà des « insouciants » à la Guaino ou Chevènement, cette « idéologie stupide » gangrène l’État à son plus haut niveau, et ce n’est pas nouveau : « Mitterrand-Chirac-Sarkozy, même combat ! » scande FOG, qui n’a pas de mots assez durs pour dénoncer cette « impéritie » fatale à la France. « Nos dirigeants depuis trente ans ont sacrifié l’avenir du pays […] Capables de rien mais prêts à tout, ils se seraient fait damner pour une cantonale ! »
Cette philippique, soit dit en passant, réduit à néant les accusations de « superficialité spectaculaire » lancées par les vamps de chez Ruquier. En vérité, la politique a toujours passionné Giesbert, même si elle l’a, aussi, toujours déçu.
D’un côté, le diariste adore les personnages romanesques qui peuplent cette comédie humaine. De l’autre, hélas, il y a l’épreuve du pouvoir, dont ils sortent rarement grandis : « Leur comportement, dès qu’ils arrivaient au pouvoir, relevait de la faiblesse, de la lâcheté ou de l’absence totale de convictions. »
On est moins frappé, à vrai dire, par la violence de cette charge que par sa formulation au passé. Une aube nouvelle se lèverait-elle donc sur la France avec l’accession au pouvoir de Supernormal ?
Faute d’y croire vraiment, FOG aimerait s’en persuader. En tout cas, dans son chamboule-tout, force est de constater qu’il ménage également François Ier le Mitterrand et François II, son « successeur normal ». L’un le fascine encore malgré tout ce qu’il a fait, ou pas. L’autre lui plaît déjà, peut-être parce qu’il n’a encore rien fait.
Mais comme disait Rivarol, « c’est un grand avantage que de n’avoir rien fait ; encore faut-il ne pas en abuser ». Alors ce hollandien de la première heure s’inquiète à juste titre pour son poulain, dont c’est la première grande course ; et pourtant, avec lui, notre vieux sceptique se surprend à espérer encore en un redressement de nos mœurs politiques affaissées. Tout est possible, avec ce président frais émoulu qu’on n’a même pas connu ministre − y compris qu’il se montre à la hauteur de sa charge. L’épreuve, c’est maintenant !
« Maintenant que les ennuis commencent pour le nouveau président, conclut Franz-Olivier, il lui reste à dominer son programme, son parti et, surtout, le pays. » Autrement dit, bonne chance François !
Comment cet ardent néophyte se glissera-t-il dans les habits du chef de l’État ? Pétera-t-il les plombs comme un Sarkozy normal ? Ou deviendra-t-il, mutatis mutandis, un Pompidou-bis, comme il l’espère lui-même, et Franz-Olivier et moi avec ?
Nul n’en sait rien encore, et c’est peut être là l’ultime secret de ces Derniers carnets : l’auteur préfère sans doute arrêter avant d’être déçu par Hollande aussi. C’est prudent.
En attendant, j’aime son mépris aristocratique de simple citoyen envers une élite qui a perdu sa légitimité. J’admire cette plume pleine et déliée qui, sans avoir l’air d’y toucher, « efface par le travail les traces même du travail ». Bref, je ne saurais trop vous recommander ce Giesbert, pour ses rires et ses coups de colère, ses scoops et ses détours culturels. L’ensemble donne un réjouissant mélange entre Saint-Simon et Voici, parfaitement adapté aux tempora et autres mores dont il nous rend compte.[/access]
Derniers carnets. Scènes de la vie politique en 2012 (et avant), par Franz-Olivier Giesbert (Flammarion).
*Photo : rsepulveda
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