Je n’hésite pas à m’adresser publiquement à vous, même si certains de nos contemporains considèrent qu’ils ont déjà beaucoup, voire trop, entendu parlé de vous. Ils pensent, à mon avis à tort, qu’il faut éviter d’accroître votre notoriété, surtout depuis que vos provocations sont largement décriées. Mais tel n’est pas mon avis. Le nombre de vues et de ventes relatives à votre dernier album atteste, au contraire, de l’intérêt que vous suscitez.
Face à cette réceptivité réservée à votre discours contenant des éléments pro-nazis, j’oppose la nécessité de vous répondre. Il y a en effet un grand risque à laisser vos références admiratives à « Adolf » circuler sans réagir. L’Adolf ici mentionné, c’est Hitler, le dictateur dément qui a conduit à l’extermination de millions d’enfants, de femmes et d’hommes, sans parler des expériences faites sur des vivants. Votre ruse ne rend pas vos apologies moins dangereuses.
Vous avez en effet, dans au moins un texte, délibérément choisi de frapper plus fort que les négationnistes. Vous ne contestez pas la véracité de la Shoah, ni ne la minorez : vous dites (je vous cite) que vous n’en avez « rien à foutre. » Cette énonciation a chez vous, compte tenu de votre notoriété, valeur de recommandation : tout un chacun est donc invité, sous l’effet du magistère que vous vous attribuez, à ne plus en avoir « rien à foutre de la Shoah ».
Vous vous inscrivez ainsi dans la veine déjà ancienne de ceux qui voulaient « tourner la page », et qui auraient aimé qu’on « parle d’autre chose », selon la formule employée par Georges Pompidou. Nous étions dans les années soixante. Votre discours est très vieux. Il prend néanmoins une ampleur inédite : plutôt que l’oubli qui tue une deuxième fois, vous nous expliquez que la Shoah n’aurait aucune importance.
Elle serait un détail, en quelque sorte. Vous copiez ainsi le syntagme éructé par Jean-Marie Le Pen au cœur des années quatre-vingts, voici trente-trois ans. C’est certes un peu moins vieux. Mais vous ne vous contentez pas de recycler les propos de messieurs auprès desquels vous affichez une filiation d’opinion. Vous donnez dans l’inédit : vous vous identifiez au « jeune Adolf ». Vos références personnelles, si j’ose dire, puisent dans les années vingt et trente.
Nous voici revenus cent ans, ou presque, en arrière, et en Allemagne. C’est l’occasion pour moi de faire surgir ici la figure d’une jeune femme admirable, décapitée par les nazis à l’âge de vingt-deux ans. Vous en avez vingt-huit, et Hitler est votre modèle. Elle était votre cadette de six années au moment de son exécution, et avait compris à quelle catastrophe conduisait inexorablement le nazisme. Elle s’appelait Sophie Scholl.
Un demi-siècle avant l’année de votre naissance, Sophie Scholl rayait, avec ses compagnons du réseau de Résistance La Rose blanche, les croix gammées sur les murs de Munich. C’était en 1942. Elle écrivait même : A bas Hitler ! Liberté ! Elle et ses amis ont été, bien entendu, arrêtés sur dénonciation. Avant d’être décapitée, elle a consolé ses parents et regardé ses bourreaux. Elle n’a pas versé une larme car elle savait ce qui était en jeu : la liberté.
Cette liberté, vous en faîtes un très mauvais usage. Des femmes et des hommes ont délibérément donné leur vie pour que les nazis soient définitivement battus et pour que le totalitarisme dément disparaisse. Or vous puisez votre fantasme de puissance dans cette imagerie hitlérienne dont la Résistance et les Alliés nous ont débarrassé. Votre insulte s’adresse à la fois à la France et au Pacte national qui unit notre pays depuis 1945.
Vous veillez à placer les Juifs au centre de vos préoccupations. Un texte que vous déclamez précise que vos enfants doivent être « comme des rentiers juifs. » Ceux-ci seraient-ils, dans votre appréciation désinvolte, destinés à être abattus d’une balle ou assassinés dans une chambre à gaz, dont nul n’est jamais sorti vivant, avant d’être livrés au crématoire, cette mort sans sépulture réservée aux suppliciés qui « ont une tombe au creux des nuages » ?
Ce vers du poète Paul Célan me donne une idée. Et si vous faisiez volontairement le voyage jusqu’à Auschwitz-Birkenau ? Et si vous découvriez ce qu’il reste, de manière très parlante, de l’enfer concentrationnaire ? Et si, plutôt que d’évoquer les « allemandes », vous vous intéressiez au courage d’une Allemande, Sophie Scholl, quasiment seule face à un régime fou, et qui a sacrifié sa jeunesse, que vous piétinez par vos mots ?
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