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Surveiller et punir n’est plus une méthode de gouvernement

Alain Finkielkraut VS François Sureau 3/3


Surveiller et punir n’est plus une méthode de gouvernement
Le numéro de septembre 2020 de "Causeur" propose 18 pages de débat entre Alain Finkielkraut (à gauche) et François Sureau (à droite). Photo: Hannah Assouline.

C’est une méthode utilisée par médias, réseaux sociaux et certains magistrats contre les gouvernants



Suite de la première partie et seconde partie

Sale temps pour nos libertés. Si Alain Finkielkraut et François Sureau s’alarment tous deux de l’esprit du temps, ils n’ont pas les mêmes motifs d’inquiétude. Quand l’un perçoit dans les revendications individuelles et communautaires les ferments d’une régression antidémocratique, l’autre dénonce la menace que ferait peser l’État sur nos libertés individuelles. Des Gilets jaunes à l’immigration en passant par le confinement et la liberté d’expression, les deux hussards ferraillent dans la plus pure tradition française.

Causeur. [Si des gens] viennent chercher la liberté en France, c’est que nos libertés ne sont pas complètement détruites. Parlons du confinement. François Sureau, vous avez dénoncé l’infantilisation des Français par le gouvernement ; et vous, Alain Finkielkraut, vous avez dénoncé leur infantilisme. Ce que certains appelaient consentement ou soumission, vous l’avez appelé « civisme ». 

Alain Finkielkraut. Oui, civisme. Les Français ne se sont pas précipités dans la servitude, ils se sont mobilisés. Quand nous n’étions pas soignants, caissiers ou caissières de supermarché, nous avions notre rôle à jouer et avons pour cela consenti à un certain nombre de sacrifices. Nos libertés étaient suspendues, mais nullement menacées. Ceux qui, en revanche, vivaient sous la menace, c’était les gouvernants. On leur promettait un Nuremberg du Covid et la Cour de justice de la République est en train de classer les plaintes. Surveiller et punir, ce n’est plus une méthode de gouvernement, c’est une méthode utilisée par les médias, les réseaux sociaux et certains magistrats contre les gouvernants. Ce qui me frappe de plus en plus, c’est l’aptitude des êtres humains à se raconter des histoires. Comment fait-on pour vivre ainsi sous la domination de l’imaginaire ? Sonner le tocsin contre le danger totalitaire quand on voit ce qui se passe aujourd’hui à Hong Kong, où tous ceux qui osent penser par eux-mêmes sont pourchassés et emprisonnés, a quelque chose d’indécent. Au lieu de nous la jouer sans cesse résistants ou collabos, nous devrions avoir une conscience plus claire de notre situation et de nos privilèges.

François Sureau. Je ne suis pas très sensible à l’argument relatif à Hong Kong. Ce qui se passe à Hong Kong n’est pas bien. Pour autant, vais-je m’interdire de critiquer ce qui se passe ici ?
Je n’étais pas hostile au confinement lui-même et j’ai comme vous trouvé abusives certaines attaques contre le gouvernement. Il n’en reste pas moins qu’une sorte de disproportion, d’exagération m’a gêné. Quand j’ai émis une critique modérée de l’application StopCovid, j’ai été traité d’assassin par un ministre à l’Assemblée nationale. Ce n’est rien, mais ça en dit long. Et puis j’aimerais qu’on s’interroge sur le recours systématique à l’état d’urgence. Il a fallu batailler pour qu’on ne maintienne pas jusqu’au 10 novembre l’interdiction de manifester. On a assisté à la suspension temporaire des garanties constitutionnelles avec l’accord du Conseil constitutionnel, qui n’examinait plus les questions de constitutionnalité. Encore une fois, ce n’était pas nécessaire, et c’est sans doute pourquoi Pierre Manent a parlé de « jouissance répressive ». L’essentiel est plus grave. C’est la perte de foi dans la démocratie représentative, qui se voit mise en veilleuse à chaque fois qu’il existe un péril grave. On n’en respecte plus les principes, et l’on contourne les mécanismes. Quand surviennent les Gilets jaunes, ou des émeutes, on pourrait dissoudre le Parlement, comme le prévoit la Constitution de la Ve République, et que le peuple tranche. Au lieu de quoi on fait des réunions avec les maires dans les campagnes. Même chose s’agissant du climat. La démocratie parlementaire permet d’organiser de vrais débats, mais l’exécutif préfère s’en remettre à une improbable convention citoyenne. Enfin, il y a la question de l’arbitrage, de sa visibilité, de sa transparence. S’agissant du Covid, on savait que les gens touchés


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Septembre 2020 – Causeur #82

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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